Malamute

L’église était noire de monde. Il se dégageait de la masse humaine rassemblée sous la nef une chaleur humide de troupeau fraîchement rentré à l’étable.

À quoi bon supporter ce déballage permanent de drames et de misère, de guerres, de catastrophes, ce voyeurisme imposé qui n’apportait rien de bon ? Allumer la télé, c’était laisser entrer le malheur dans la maison.

Germain lisait les arbres de la même manière que d'autres lisent les livres, passant d'un cerne à un autre comme on tourne des pages, sans aucune prétention que celle d'interroger les géants sur la marche du temps, à la recherche d'une certaine logique dans ces successions concentriques.

Germain lisait les arbres de la même manière que d’autres lisent les livres, passant d'un cerne à un autre comme on tourne des pages, sans autre prétention que celle d’interroger les géants sur la marche du temps, à la recherche d’une certaine logique dans ces successions concentriques.

L’opportunité du poste de conducteur d’engins de damage n’avait fait que la conforter dans sa décision et à la mi-septembre, Emmanuelle posait ses valises à La Voljoux dans cette maison-sépulture où ses parents avaient un jour enfoui leurs rêves. Et peut-être plus encore. 

Il ne voulait pas de cette prison dorée. Trop loin des forêts, trop près des hommes.

Après chaque bouchée, le vieil homme balayait du plat de la main les miettes et le sucre glace échoués sur son tricot. Il y avait quelque chose d'attendrissant à voir ainsi cet homme tout en rudesse, ce type qui en son temps avait été une force de la nature, brosser délicatement son lainage à l'aide du battoir qu'il avait en guise de main.

Plus encore que l'épreuve physique que représentait l'ascension jusqu'au calvaire, la démarche religieuse l'insupportait. Il n'aimait pas ça, cette demande d'intervention divine sur le climat. Le Grand Manitou avait bien d'autres chats à fouetter qu'un manque d'enneigement sur des pistes de ski. Mêler Dieu aux affaires des hommes n'avait jamais rien donné de bon par le passé, à part des guerres. On commençait par une procession et puis après, on faisait quoi si l'Autre restait sourd aux supplications ? On passait aux sacrifices ? D'abord un coq puis un agneau et si ça ne suffisait pas, un boeuf ? Et ensuite ? On montait encore d'un cran sur l'échelle de la bondieuserie, un pauvre pécheur que l'on porte au bûcher pour un joli autodafé comme au bon vieux temps de l'Inquisition ? Et quand bien même le Très-Haut dans sa grande bonté se déciderait à faire un geste, on n'avait toujours pas fini de lui rembourser le solde des intérêts pour le don de son Fils. inutile donc d'en rajouter, aux yeux de Germain.

Debout sur le perron, il extirpa de la poche de son gilet le paquet de cigarettes, saisit une cibiche du bout de ses doigts calleux et en tapota le cul machinalement sur le dos de sa main. Au moment de l'allumer, la voix de Françoise sa fille résonna sous son crâne : " Cette cochonnerie va finir par te tuer". "La vie finit toujours par nous tuer".

Constater à chacun de ses réveils que son organisme n’était plus que ruine constituait une souffrance plus terrible encore que les douleurs physiques. Il en arrivait à envier parmi ses congénères ceux partis vadrouiller au pays des absences sur le continent Alzheimer, l’esprit envolé avant le corps, en éclaireur.