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Critique de Christw


Quoi de plus sain pour une romancière, un romancier que de se poser de bonnes questions sur le roman ? Alors que depuis trente ans, une chape anti-théorique s'est abattue sur les écrivains, Sophie Divry en soulève une autre, celle des idées reçues qu'elle époussette avec à-propos, de manière engagée et tonique, sans se départir d'une sage modestie. Et elle tente de proposer quelques "chantiers" sur l'art d'écrire.

À la présentation de "Rouvrir le roman" dans La Grande Librairie, on l'imagine intimidée entre E. E. Schmitt (gros tirages assurés) et Kamel Daoud (réputation et fatwa). le premier s'étonne qu'on puisse se préoccuper du Nouveau Roman (sous-entendu mort et enterré) : mademoiselle Divry s'explique et incarne une fraîcheur empreinte d'honnêteté artistique et intellectuelle, à l'encontre de ce qu'elle nomme le roman «as usual» qui fait de la vente au risque d'abêtir.

Dans une première partie de l'essai, la plus copieuse, il s'agit d'analyser ce que peut le roman et les raisons de continuer la recherche. Et surtout démonter minutieusement des contraintes qui peuvent inhiber un jeune auteur.
- "Le style c'est l'homme" (Buffon) : Divry défend la pluralité stylistique pour un même auteur.
- Pourquoi le narrateur omniscient, le passé simple seraient-ils proscrits ? Elle convoque et critique clairement Pierre Bergougnioux et son essai "Le style comme expérience" : "C'est un peu fatigant de voir sortir des lapins politiques de chapeaux littéraires". La question est moins de bannir certaines techniques que de se poser la question de ce qu'il faut en faire et quand.
- L'illusion que les histoires sont des outils de combat politique : selon Divry, les romans ne peuvent changer le monde au contraire de l'engagement actif. "Si on veut changer la donne politique, il faut se frotter à la fois au réel et aux groupes humains ; deux choses pénibles pour les écrivains qui ont choisi la rêverie et la solitude."
- Vient ensuite la question de l'autonomie du roman, le fameux "l'art pour l'art" de Pierre Bourdieu, contestée par l'auteure. Utile exposé synthétique du Nouveau Roman avec lequel Sophie Divry éprouve la nécessité de régler des comptes, dont elle rejette la composante soustractive (tout ce qu'il ne faudrait jamais plus faire) mais acquiesce vivement à la composante créatrice porteuse d'innovations nécessaires. Divry est pour un "roman à haute dose" (hétéronomie), par opposition aux oeuvres "ascétiques" d'un Robbe-Grillet et d'autres nouveaux romanciers. [À cet égard, Sophie aurait pu citer l'intelligent "L'imitation du bonheur" de Jean Rouaud, qui me semble répondre parfaitement au cahier des charges.]

Parmi les aspects de la fabrique du roman suggérés dans la seconde partie de l'essai, on retient "le comique comme stimulant littéraire". Il ne s'agit pas de traiter gravement l'art comme une chose sacrée – le sacré incite davantage à la soumission et à la déférence – car "l'esprit de sérieux est, avec le snobisme et la peur de fâcher, un des grands stérilisants artistiques". Par le comique, l'artiste peut travailler les oppositions et bousculer les certitudes.

Enfin Sophie Divry appelle (à continuer) à changer le roman, par l'innovation, par une magie de l'écriture, sans laquelle le roman restera sur le quai "en voulant répondre à un lectorat prédéfini". Si la narration (raconter une histoire) est constitutive, plaisir archiconnu, il est important que l'écrivain propose d'autres plaisirs (voir l'extrait De Maupassant). "C'est très efficace de raconter une histoire, mais ça ira toujours plus vite ailleurs", écrit-elle en pointant le cinéma et les séries télévisées, "machines narratives si puissantes qu'il est à mon avis vain de chercher à les concurrencer". Les écrivains doivent mettre dans leurs textes une beauté, une finesse, une profondeur que ne peut l'écran. Et une esthétique.

Innover ne signifie pas faire du tape-à-l'oeil littéraire, mais admettre que "les formes littéraires courantes dirigent notre propos et écartent de notre champ de vision une grande partie du réel [d'aujourd'hui]."

La qualité du livre repose sur des références judicieuses, maintes citations de choix (Christian Prigent, Jacques Roubaud,...), des influences littéraires intéressantes et une mine d'auteurs à (re)découvrir : Günther Grass, Edgar Hilserath, Raymond Federman, Hubert Selby, Annie Ernaux, Michel Butor, ...

Voilà pour l'essentiel. Un travail combatif et bien informé, que la Lyonnaise a mis six ans à boucler, clair, rassérénant et stimulant. Merci à elle, au service presse des éditions Noir sur Blanc et à Babelio.

Lien : https://christianwery.blogsp..
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