Le contexte du récit de Kimiâ est un peu particulier puisque c'est dans la salle d'attente d'une consultation en PMA qu'elle ouvre la porte à ses souvenirs. La perspective de devenir mère la ramène des décennies en arrière, au moment de sa propre naissance, puis au-delà, à l'histoire de sa famille. Les allers et retours sont nombreux dans ce récit, entre les époques, les personnages, les lieux... pouvant rendre la lecture un peu confuse si l'on n'y prête pas attention. C'est quand j'ai eu le temps de m'y plonger pleinement et d'y consacrer le temps qu'il était nécessaire, que j'ai pu savourer ma lecture.
Ce que j'apprécie dans ce genre de récit, c'est l'imbrication entre
L Histoire (avec un grand h) et les récits intimes d'une famille. Ici, l'auteure nous accompagne en Iran et nous fait partager la vie d'une famille iranienne s'opposant aux gouvernements successifs et rêvant de démocratie. Nous traversons un siècle de régimes autoritaires, laïc ou islamique et (re)découvrons que ce pays est d'une grande richesse, culturelle et économique, traversé par des intérêts politiques contradictoires, et fortement bouleversé par les multiples pressions occidentales qui cherchent avant tout à protéger leurs intérêts (pétrole, vente d'armes...) même si c'est au détriment de la stabilité du pays et de la sécurité de sa population.
Les décennies passent, et dans cet Iran chahuté, se construit petit à petit la famille de Kimiâ. L'auteur nous montre la place des hommes et celle de leurs épouses, de leurs filles et de leurs fils. On y découvre également tout un tas de croyances qui donnent une patine un peu merveilleuse au récit. le poids de la famille et des traditions est très lourd, mais l'envie de liberté également. C'est dans cet environnement que naît Kimiâ, troisième et dernière fille de Darius et Sara. Ces derniers sont des intellectuels en vue dans l'Iran de l'après seconde guerre mondiale. Darius écrit pour changer le monde, Sara partage ses avis dans ses salles de cours. Mais très vite la famille se met en danger et finira, après avoir longtemps résisté, par devoir quitter l'Iran.
En Iran, nous partageons l'évolution de la famille, sous le regard critique de Kimiâ. En Europe, et à Paris plus particulièrement, c'est à la transformation de Kimiâ que nous assistons. Jeune femme écartelée entre des origines qui se trouvent à plusieurs milliers de kilomètres de chez elle et une France qui n'est pas à la hauteur de ses rêves et de l'éducation qu'elle a reçue, elle peine à trouver sa place. La question de son homosexualité vient ajouter de la confusion à sa construction identitaire.
Ce roman, très ambitieux, ne se laisse pas résumer facilement. Très dense, il mêle les récits et les réflexions, pour une analyse passionnante sur l'époque qui est la nôtre. Dernière remarque, sur le titre, "
Désorientale" : un superbe néologisme, qui résume magnifiquement ce que peut être l'exil.
Un premier roman prometteur.
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