C’est l’ensemble de notre rapport au vivant et aux territoires qu’il nous faut reconsidérer. De la domination et de la destruction, il nous faut passer à des alliances, des associations, des mélanges. Or on ne sait pas comment faire parce qu’on ne comprend rien au monde, on méprise les plantes et les bêtes, 40 % des océans nous demeurent inconnus.
June arrive un soir à Calcutta. (…)
Il y a ces porteurs qui trimballent des dizaines de tonnes de marchandises dans les rues de la ville, il y a ces taxis jaunes aux banquettes d’arrière-monde, il y a ces marchés de viandes étalées au-dessus desquelles rôdent les vautours, il y a ces visages de filles reflétées par l’écran de leurs portables, il y a un monde et June s’y jette.
Le voyage évidemment se joue aussi immobile, assise allongée des mois, des années, quand le mouvement des jambes, longuement insufflé se prolonge, on sent que ça bouge encore quand ça ne bouge plus, et on entame alors la meilleure partie, le délire statique.
June a le visage à peine plus marqué, les cheveux toujours courts qu’elle rase régulièrement. Ici, en Inde on la prend parfois pour l’une de ses saintes aux cheveux pareillement ras qu’on voit passer dans les rues et les trains.
Elle se sent instable et légère, Calcutta entre dans sa chair.
On apprend comme naturellement à ne plus regarder par éclipses mais tout le temps, à ce que tous les membres soient actifs et aux aguets, à ce que rien de ce qui nous constitue ne soit déconsidéré et inutile dans un ensemble aussi vorace.
Elle comprend lentement que le voyage est un exercice de dépouillement, une mise à l'épreuve, l'exact contraire de l'agrément que l"on vend dans les suppléments des magazines et les compagnies low cost, c'est aller loin au bout et voir qu'il n'y a rien.
L’hyper-capitalisme est une guerre, avec plusieurs fronts, des batailles et des morts, une avancée tranquille vers le néant.
Il suffit d’appuyer trois secondes sur l’icône de l’application pour que le globe percé rejoigne immédiatement les toilettes numériques, ces sous-mondes dans lesquels on ne sait jamais trop si les choses disparaissent à jamais ou viennent flotter dans des marécages de zombies en forme d’octets.
Le voyage évidemment se joue aussi immobile, assise allongée des mois, des années, quand le mouvement des jambes longtemps insufflé se prolonge, on sent que ça bouge encore quand ça ne bouge plus, et on entame alors la meilleure partie, le délire statique.
Nous savons tout à présent de la destruction des écosystèmes mais rien n’y fait, notre fonctionnement économique demeure exactement le même, et nous continuerons à produire, à consommer et dégrader jusqu’à ce que les mers montent tant qu’elles nous empêchent finalement de le faire. Et ce n’est pas une image : ce n’est que lorsque nos pieds et nos mains ne pourront plus atteindre les leviers que nous cesserons de les actionner.
Aimantées par le mystère de ses gestes lents et précis, de son allure pensive, jamais affectée, les filles soufflent fort à son passage. Il ne les voit pas, il avance dans les courants puissants de novembre, plongé dans les racines des plantes vivaces.
Nous savons tout à présent de la destruction des écosystèmes, mais rien n’y fait, notre fonctionnement économique demeure exactement le même, et nous continuerons à produire, consommer et dégrader jusqu’à ce que les mers montent tant qu’elles nous empêchent finalement de le faire