Des trois grandes sagas écrites par
Alexandre Dumas (il faut préciser Alexandre Dumas ET Auguste Maquet), soit la trilogie des Mousquetaires, la trilogie des Valois, et la tétralogie des Mémoires d'un médecin, la quatrième est la plus imposante, en volume comme en densité. C'est peut-être la raison pour laquelle elle n'a pas le prestige des deux premières, bien que le matériau historique soit aussi important. Mais nous avons changé d'époque : si au XVIème et au XVIIème siècle, les bretteurs avaient la part belle, au XVIIIème siècle l'heure est plutôt aux intrigues de cour, voire d'alcôve et aux sociétés secrètes… Même si le style de l'auteur reste toujours aussi attractif, et même addictif, le sujet abordé est moins susceptible d'exciter les foules, moins emballant pour tout dire.
« Les Mémoires d'un médecin » est un ensemble de quatre romans : «
Joseph Balsamo » (1846-1849), «
le Collier de la Reine » (1849-1850), «
Ange Pitou » (1850) et «
La Comtesse de Charny » (1852-1853), qui couvre les dernières années de la monarchie, de 1770 (dernières années du règne de Louis XV, à 1792 (massacres de septembre, en pleine Révolution) ? Bien que ne faisant pas partie de ce cycle, il est d'usage d'y ajouter «
le Chevalier de Maison-Rouge » (1846) qui relate les derniers jours de
Marie-Antoinette.
Le premier roman «
Joseph Balsamo » met en place les personnages et donne le fil rouge de la tétralogie :
Joseph Balsamo, comte de Cagliostro, est un personnage mystérieux, grand maître d'une société secrète, se disant sorcier, immortel, alchimiste, devin. Il est surtout manipulateur et joue avec les ambitions ou les sentiments des protagonistes, comme la comtesse du Barry, le duc de Richelieu, ou le Cardinal de Rohan. Son but : manoeuvrer en coulisse pour renverser la monarchie française. Une autre intrigue vient s'insérer dans ce canevas : le baron de Taverney, vieil aristocrate raciste (suprématiste dirions-nous aujourd'hui) est aussi borné que réactionnaire. Il a un fils, Philippe, jeune idéaliste, attiré par la philosophie des Lumières, et une fille, Andrée, fière et imbue de sa noblesse, nouvellement nommée dame d'honneur de la Dauphine (
Marie-Antoinette). Autour de la famille on trouve aussi Gilbert, fils de domestiques, amoureux fou d'Andrée, aussi intelligent que têtu, un temps élève de Rousseau, ainsi que Nicole, une soubrette classique, qui a la particularité de ressembler étrangement à la Dauphine (on en reparlera dans «
le Collier de la Reine ». On s'en doute, la passion que Gilbert éprouve pour Andrée n'est pas réciproque. Notre philosophe n'en a cure, pour se venger, il la viole et enlève le fils qu'elle a eu de lui (joli coco, n'est-ce pas ?) On le retrouvera dans les volumes suivants, sous l'habit de médecin.
Roman long et dense, «
Joseph Balsamo » se lit quand même de façon très agréable grâce au style des auteurs (ce n'est pas une surprise), et aussi grâce à une galerie de portraits d'une grande vraisemblance (celui de la comtesse du Barry est tout à fait exceptionnel de vivacité et d'esprit : on croirait voir
Danielle Darrieux !). Plus sombre que la plupart des autres romans signés par les deux auteurs, «
Joseph Balsamo » ne ménage pas les portraits négatifs, les âmes noires, et les situations paroxystiques. L'esprit chevaleresque n'a plus sa place dans ce récit où règnent le cynisme, la duplicité et le calcul. Mais Dumas, à son habitude, a le don du dosage, et le lecteur y trouve toujours son compte.