Le Rock'n'roll bouge encore
L'auteur et moi partageons des chemins parallèles depuis qu'il m'accueillit à New York il y a quarante ans. Des passions communes pour Kerouac et le rock, au début, avant que nous fondions les "French Fries" où j'apportais les compositions et lui les musiciens: des rockers new-yorkais, ça swinguait! Et nous répétions dans les studios de Giorgio Gomelsky, le monde est petit. L'auteur le raconte très bien en début de livre, les lieux n'étaient pas très confortables, juste indispensables avant d'aller enregistrer, ailleurs.
Il raconte surtout son amitié avec Giorgio Gomelsky tout en nous instruisant: l'homme fut l'un des mythes du rock à ses débuts. Un temps où cette musique incarnait la rébellion et secouait le cocotier: début des sixties, l'hédonisme s'impose rageusement malgré l'opprobre des tenants de l'establishment. Et c'est là l'une de qualités du livre qui nous ramène au passé par le biais d'une analyse fouillée de son parcours chaotique mais excitant. Artiste avant tout.
Francis Dumaurier se montre d'une grande précision, véritable encyclopédie, travail d'un authentique fan de rock'n'roll.
Oui, Giorgio Gomelsky fut un artiste de la scène rock, au même titre que les musiciens, plus porté sur la création que sur l'argent. Sa légende débute lorsqu'il lance les Stones dans son club de la banlieue londonienne, les présente aux Beatles et... "oublie" de les lier par contrat. Un petit gourmand,
Andrew Oldham, en profitera, également évincé, plus tard, mais soyons justes, ils ne seront pas les seuls à se voir ainsi évincés par "the greatest rock'n'roll band in the world"... Cela a toujours été ainsi, "the show must go on" et la suite fut à l'avenant quand le colosse russe managera les Yardbirds, autre groupe mythique. Mais lisez donc ce livre.
Une drôle d'époque ce début des sixties où tout semblait facile car à faire et salement difficile à réaliser. Poids du conformisme, le rock ne s'imposera qu'à la force du poignet et fut donc violent; émeutes de fin de concert, débordements en tous genres, bien loin des spectacles aseptisés d'aujourd'hui. Politique également, associé à la lutte contre la guerre du Vietnam, il libérera les libidos, vantant le sexe et brisant les codes de la morale. On lui doit partie de la révolution sexuelle qui balaya tout sur son passage, une autre histoire.
Tout cela sert de toile de fond à une partie du livre car nous basculons vite sur le New York des décennies suivantes. L'auteur et son sujet nous baladent de fêtes en soirées plus intimes où, éméchés, ils contemplent la grande ville à leurs pieds. On en sent la palpitation, sa pulsion, les deux expatriés la vivent sur la crête de la vague, tout le monde vient à New York pour son énergie. C'est alors un autre rock que décrit le livre, souterrain, alternatif, dans une métropole où il reste roi.
Cerise sur le gâteau, F. Dumaurier nous offre en bouquet final des témoignages touchants de ceux et celles qui approchèrent Giorgio Gomelsky à plusieurs étapes de son existence. Un portrait s'en dégage, celui d'une nature exceptionnelle, sa vie antérieure d'apatride fut-elle à l'origine d'une telle force? Et surtout, cette attitude typiquement rock'n'roll où l'on fête avant tout, brûlant la chandelle par les deux bouts, ignorant l'argent: des crachats sur la banquette de la Rolls Royce! Alors, oui, à cette lecture, on se sent fier que le rock'n'roll bouge encore.
Et pour finir, "last but not least", Ronnie Bird, autre ami dont parle l'auteur du livre. Ce chanteur tenta d'imposer un son british au rock français et fut vite balayé par le show business parisien pour non respect des codes. Hommage à lui, sincère, j'assistai à son concert au casino de Saint Malo à l'été 1965, public clairsemé mais déchaîné, rock'n'roll, man!
Ai-je plus à vous dire: lisez ce livre!
Patrick Kurtkowiak, auteur de "
Sexy Sixties, mon doux chaos" (Edition Librinova/Amazon Livres)
Lien :
https://patrick.kurtkowiak@w..