A l'occasion de la sortie de "Arthur Rimbaud : Une saison en enfer", aux éditions Gallimard, Augustin Trapenard a rencontré Patti Smith à Chuffilly-Roche, dans la maison où Arthur Rimbaud a écrit "Une saison en enfer". L'artiste américaine se confie à l'animateur sur son lien avec le poète, ce qu'il lui a appris, ce qu'il représente pour elle, encore aujourd'hui et depuis son adolescence.
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Le rire. Un ingrédient indispensable à la survie. Or, nous riions beaucoup.
Le destin a voulu que je suive un chemin fort éloigné de celui de mes ancêtres, et pourtant leurs façons étaient aussi les miennes. Et dans mes voyages, lorsque je vois une colline constellée de moutons ou une équipe d’ouvriers agricoles qui se reposent à l’ombre des noisetiers, je suis prise d’un désir nostalgique de redevenir celle que je n’ai pas été.
En regardant Jim Morrison, j'ai eu une réaction étrange. Tout le monde autour de moi semblait cloué, mais moi, j'observais le moindre de ses mouvements dans un état d'hyperconscience froide. Je me souviens de cette impression bien plus nettement que du concert. J'ai senti en voyant Jim Morrison, que j'étais capable d'en faire autant. Je ne saurais dire ce qui m'a fait penser ça. Rien dans mon expérience, ne me permettait de me dire que ce serait jamais possible, pourtant j'ai nourri cette prétention. J'ai ressenti à son égard à la fois de l'attrait et un certain mépris. Je sentais sa gêne profonde aussi bien que sa suprême assurance.
Nous avions besoin de temps pour éclaircir la signification de tout cela, trouver une façon de l'assumer et de redéfinir le nom de notre amour. Il m'avait appris que la contradiction est souvent la voie la plus évidente vers la vérité.
On dit que les enfants ne font pas la distinction entre les objets vivants et inanimés ; je crois au contraire que si. Un enfant fait dont à sa poupée ou à son soldat de plomb d'un souffle de vie magique. L'artiste anime ses œuvres de la même façon que l'enfant anime ses jouets. Que ce soit pour l'art ou pour la vie, Robert insufflait aux objets son élan créateur, sa puissance sexuelle sacrée. Il transformait un porte-clefs, un couteau de cuisine ou un simple cadre de bois en œuvre d'art. Il aimait son travail et il aimait ses objets.
il m'avait appris que la contradiction est souvent la voie la plus évidente vers la vérité.
p 91 J'ai refermé mon carnet et suis restée assise dans le café en réfléchissant au temps réel. S'agit-il d'un temps ininterrompu ? Juste le présent ? Nos pensées ne sont-elles rien d'autre que des trains qui passent, sans arrêts, sans épaisseur, fonçant à grande vitesse devant des affiches dont les images se répètent ? On saisit un fragment depuis son siège près de la vitre, puis un autre fragment du cadre suivant strictement identique. Si j'écris au présent, mais que je digresse, est-ce encore du temps réel ? Le temps réel, me disais-je, ne peut être divisé en sections, comme les chiffres sur une horloge. Si j'écris à propos du passé tout en demeurant simultanément dans le présent, suis-je encore dans le temps réel ? Peut-être n'y a-t-il ni passé ni futur, mais seulement un perpétuel présent qui contient cette trinité du souvenir. J'ai regardé dans la rue et remarqué le changement de lumière. Le soleil était peut-être passé derrière un nuage. Peut-être le temps s'était-il enfui ?
"Il ya de l'eau dans les feuilles de laitue, a-t-il dit. Et le pain comblera ta faim".
Nous avons empiler les meilleures feuilles sur le pain et nous avons mangé joyeusement.
"Un vrai petit déjeuner de prison, j'ai dit.- Oui, mais on est libres".
In my low periods, I wondered what was the point of creating art. For whom? Are we animating God? Are we talking to ourselves ? And what was the ultimate goal ? To have one's work caged in art's great zoos- the Modern, the Met, the Louvre? p.65
( A mes moments dépressifs, je me demandais quel était le but de créer de l'art. Pour qui? Édifions-nous Dieu ? Parlions-nous à nous-mêmes ? Et quel en était le but final ? Mettre son oeuvre en cage dans les sublimes zoos de l'art - Le Moderne, le Met, le Louvre?)
Ce soir-là, j'ai dîné simplement de ragoût, de pain et de vin. Je suis retournée à ma chambre, mais je ne pouvais pas supporter d'y rester seule. Je me suis lavée et changée, j'ai enfilé mon imperméable et je me suis aventurée dans la nuit charlevilloise. Il faisait fort sombre et j'ai arpenté le quai Rimbaud, vaste et vide. J'avais un peu peur lorsque, au loin, j'ai aperçu une minuscule lumière, une enseigne au néon - le Rimbaud Bar. J'ai fait une halte pour reprendre mon souffle, incapable de croire à ma bonne fortune. Je me suis avancée lentement, craignant de voir disparaître la lueur comme un mirage dans le désert. C'était un petit bar en stuc blanc avec une unique petite fenêtre. Il n'y avait personne alentour. Je suis entrée timidement. Le lieu était faiblement éclairé et peuplé principalement de mecs, des types à la mine renfrognée, appuyés contre le juke-box. Quelques photos fanées d'Arthur étaient collées au mur. J'ai commandé un Pernod et de l'eau, la boisson qui me semblait se rapprocher le plus de l'absinthe. Le juke-box passait une macédoine folle de Charles Aznavour, de country et de Cat Stevens.