Juette, enfant comprend très vite que l'organisation sociale du moyen âge dans lequel elle vit est terrible, que le mariage auquel on la destine débouche souvent sur la mort. Combien de femmes résistent à un accouchement. D'où l'obsession de la retraite qui l'animera plus tard car se retirer c'est se protéger. Cet espace clos dans lequel Juette a été élevée est asphyxiant, tous les matins elle coud devant le foyer, elle aurait préféré festonner sous l'arbre de la cour. Pour sa mère, l'obéissance, la pureté et la sagesse sont des vertus cardinales, on réprime les petites filles dites insolentes en leur nouant fermement les cheveux derrière la tête, souffrance physique dont elle se souviendra longtemps. Dirigée et éduquée tout au long de son enfance et de son adolescence pour être une bonne épouse, Juette trouvera en sa maturité bien peu de consolation.
« Je sais ce qu'une fille doit taire pour devenir femme. Mais je sens un doute terrible, planté en moi comme une épine. Je n'ai pas protesté. J'ai laissé faire parce qu'on ne défie pas l'ordre des choses. On ne défie pas son père ni Dieu ».
« Je m'appelle Juette, j'ai quinze ans. Je suis mariée. J'ai sans doute été punie parce que je suis mauvaise ».
Si elle a un corps, elle l'ignore, la maternité, elle ne l'apprendra pas avec sa poupée mais avec l'homme qu'elle épouse à 13 ans. Elle n'était pas prête pour un tel mariage où l'amour n'entre pas en ligne de compte, celui-ci lui apportera un radical dégoût des hommes. L'homme sera pour elle l'ennemi de chaque instant.
« Après l'enterrement, j'ai placé mon enfant. Je ne veux plus en entendre parler. Je le verrai toujours comme la graine issue d'un mariage. Et puis c'est un garçon. J'ai fabriqué un ogre de plus. Une faute impardonnable, à ajouter aux autres ».
Et pour échapper à des tentatives de remariage imposé par ses parents, Juette après son veuvage s'occupera des lépreux, et s'imposera par sa foi , ce sera une renaissance pour elle et une grande joie permise, elle se sentira libre et son âme sera soulagée.
« Je découvre la liberté. Nous nous organisons comme bon nous semble. J'aime l'idée que chacune et libre de repartir à tout moment. Nous ne sommes pas unies par un voeu mais par le même choix… J'écoute mon coeur. Ce n'est qu'à lui que je dois d'être ici… le dévouement sans le serment. La religion sans clergé. »
Hugues de Florette, son ami et confident lui aura appris le langage intime pour parler à Dieu. Elle se sent pure et commence à avoir des extases . Juette n'a plus peur de l'enfer.
« On vous fait croire que le salut se vend comme une batterie de casseroles. Quel est ce Dieu qui alourdit les poches de l'église. Ce n'est pas le même que je vois dans mes extases ».
Toutefois, c'est une période très difficile pour Juette car le clergé est corrompu et sa condition de femme libre et autonome, sa résistance à toute forme d'autorité gène les ecclésiastique. Elle a de plus une façon exceptionnelle de pratiquer sa foi et en toute liberté elle enseignera à d'autres jeunes femmes qui la suivront et la protègeront avec un fort élan de sororité car Juette est sans cesse menacée par l'ultime sanction des « fauteuses de troubles ».
Clara Dupont-Monod retrace ici l'histoire intime et secrète de Juette, jeune femme du moyen-âge en faisant ressortir une forte résistance féminine pour faire face au monde des hommes qui l'entoure grâce à une foi sans faille et elle ira jusqu'au bout des élans de son âme, de sa fidélité à Dieu et à la Dame Blanche qui lui a donné son pardon. Juette est une héroïne dans un monde où les hommes d'église se veulent supérieurs aux femmes et qui lui ont déclaré la guerre car l'une des plus grandes craintes de l'église était que des femmes comme Juette se mettent à prêcher ! Ce qui est inconcevable pour l'époque car cela risquerait d'empiéter sur les brisées du clergé.
J'ai passionnément aimé ce livre,
Clara Dupont-Monod a de l'élégance dans l'écriture, de la douceur, de la hardiesse et de l'audace. C'est une belle découverte sur l'éducation des filles au moyen-âge et sur les béguines. Pour poursuivre avec ces figures de femmes libres et solidaires, l'écrivaine et journaliste
Aline Kiner a écrit «
la nuit des béguines » qui me semble en accord avec celui-ci. Ce sera donc ma prochaine lecture.
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