Il est rare que je chronique mes livres de fac, il faut qu'ils soient ou bien très bons, ou bien très singuliers, ou bien les deux. La principale raison est que la littérature blanche n'étant pas ma tasse de thé, je ne m'estime pas spécialement apte à la juger (cela dit, quand j'entends «
Patrick Modiano », je sors mon revolver quand même). Il est malgré tout des livres parmi elle qui marquent, et
La Douleur en est un.
De
Marguerite Duras, je ne connaissais malheureusement que la célèbre citation de Desproges : «
Marguerite Duras, qui n'a pas écrit que des conneries, elle en a aussi filmé ». On comprend mieux maintenant pourquoi il n'a jamais percé en littérature. Mais trêve de petites piques, car l'heure n'est pas à l'humour mais au drame. Ce recueil de six textes de taille hétéroclite se penchent sur la Résistance et l'Occupation, quatre d'entre eux étant autobiographiques et deux autres fictionnels ;
Marguerite Duras fait malgré tout quelques concessions face à la réalité, comme pour s'épargner d'en revivre pleinement le souvenir, à l'image des deux textes du milieu où elle choisit de raconter à la troisième personne et de remplacer son nom par Thérèse.
Le recueil s'ouvre sur le texte éponyme, où elle recherche son mari dans les bureaux chargés de ramener les déportés survivants ; une fin de guerre bien moins glorieuse que ne le racontent les livres d'Histoire, où les temps sont au traumatisme et aux scissions politiques. Les communistes se sentent trahis et l'aristocratie gaullienne semble dépourvue de toute empathie. À travers ce journal intime, nous découvrons cette Libération différente, mais aussi un combat permanent pour sortir de la dépression raconté dans un style simple et dépouillé… ainsi que sa longue guérison.
Le texte suivant, "
Monsieur X. dit Pierre Rabier", s'intéresse à l'époque où elle était une résistante active. Un membre de la Gestapo s'entiche d'elle sans se douter de rien, et c'est le début d'un long jeu au chat et à la souris. le suspense est palpable autour de ce bourreau presque sympathique, mais qu'elle ne cessera de critiquer quand un héros plus naïf se serait laissé aller à l'attachement. Mais la tension éclate vraiment avec "Albert des capitales", faisant voler en éclats tout manichéisme en montrant une scène de torture et d'épuration sauvage. Fallait-il démonter violemment les derniers réseaux collabos ? Quitte à risquer d'en perdre son humanité ? La violence envers l'autre est finalement ce qui peut générer l'autodestruction.
"Ter le milicien" continue cette démarche de montrer que l'ennemi était lui aussi humain en mettant en scène un soldat naïf, presque enfantin, sans véritable idéologie et prêt à accepter la mort à tout instant. Les deux derniers textes, "L'ortie brisée" et "Aurelia Paris", sont loin d'être mauvais mais sans doute plus anecdotiques, l'un racontant une simple rencontre où la symbolique est omniprésente, le second retraçant de manière très intime l'histoire d'une juive qui tente de survivre.
À la fois électrique et douce-amère, "
La Douleur" est un pied-de-nez magistral à la mémoire d'une France glorieuse et rappelle que les grandes luttes se font dans la souffrance, mais plus encore qu'il ne nous suffit pas d'être humains pour être bons. Elle réveille les vieux démons de la Seconde guerre mondiale pour que nous nous n'oubliions plus, nous sort violemment hors de notre zone de confort pour nous rappeler la violence et la complexité de cette époque. Ici, pas d'héroïsme, pas de longs discours, seuls les actes comptent ; les actes, et ce qui nous empêche de les commettre. Un livre à lire pour tous les passionnés d'Histoire comme de psychologie, car après tout, c'est pour votre culture…
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