L'essentiel, cependant, serait de ne pas trembler le jour dit au moment de "tirer pour tuer" et, pour cela, nous avions des cours d'endoctrinement politique destinés à nous convaincre que l'ennemi fasciste était un péril pour l'humanité et qu'à ce titre, il devait être exterminé, comme on extermine la vermine.
Secrètement, j'appelais cela des cours d'entraînement à la haine et je songeais qu'ils étaient moins efficaces, en ce qui me concernait, que de me remémorer certaines scènes du pogrom de Jassy. Le dégoût et la colère pouvaient éveiller en moi un violent esprit de vengeance qui me donnait la certitude que j'étais prête à tuer. Pourtant, aussitôt que j'essayais de me projeter dans une situation concrète, je n'étais plus sure de rien.
Qu'arriverait-il, par exemple, si je recevais l'ordre d'abattre Mircea Manoliu ?
Certes, c'était un assassin mais il n'était pas que cela, Il était aussi le mari d'Adriana et le père de leur enfant. En le tuant d'une balle dans le dos - comme il avait procédé lui-même avec les juifs - j'allais également ruiner la vie de sa femme et de leur enfant qui n'avaient fait aucun mal.
Pages 380/381
Les victimes émeuvent, mais elles ne nous donnent pas les clés de la haine.
« Oh, ce merveilleux printemps 1939 ! La guerre était proche, elle menaçait, mais en attendant nous étions libres d’aller et venir, libres de nous aimer à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. » P 131
Les petits soldats, c'est ce qu'il y a de plus répandu parmi les peuples, ils ont besoin de croire aveuglément en un chef, de servir une cause, même si le chef est un tricheur, ou un malade mental comme Hitler, et la cause mauvaise, atroce.
"Dans les derniers temps de notre vie, la mort nous souffle -t-elle au visage une haleine qu'on ne saurait confondre avec aucune autre?
Ou bien nous murmure -t-elle à l'oreille des mots qui nous glacent le coeur ?
Je me le demande ...."
… que Jean-Jacques Rousseau avait eu raison d’écrire que l’homme naît « naturellement bon » et que c’est la société qui « le déprave et le pervertit ».
Il ne se passe pas de jour sans que mes pensées me ramènent à Brăila, a-t-il énoncé plus bas, sur le ton de la confidence.Voyez- vous, si un jour Brăila devait m'être défendue, eh bien je crois que je me surprendrais à douter de ma propre existence, et sans doute perdrais- je pied.N'éprouvons nous pas tous la nécessité d'être de quelque part ?
( p.35)
Il est inoubliable le moment où nos paupières se dessillent, où nous comprenons que nous nous sommes trompés, que nous avons été abusés. Je ne saurais pas décrire précisément le chemin qu'emprunte cette soudaine prise de conscience, mais nous avons alors le sentiment que tout s'illumine en nous brusquement, que le coeur et la raison s'enflamment ensemble d'un seul coup, et qu'une colère toute neuve nous habite, nous déborde, dont nous ne savons pas que faire
Je n'avais plus toute ma tête en quittant la questure, j'étais abasourdie et chancelante. Qu'étions-nous en train de vivre ? Etait-ce cela qu'on appelait un pogrom ? J'avais beaucoup lu sur celui de Chişinău, en 1903, sans imaginer qu'un tel déchaînement puisse se renouveler un jour. Puisque la chose avait eu lieu, qu'elle avait horrifié le monde entier, elle ne se reproduirait plus. Ainsi pensons-nous, nous figurant que l'expérience d'une atrocité nous prémunit contre sa répétition.
Mon Dieu , les foules , est ce qu’elles n’expriment pas ce que chacun dissimule en lui de plus misérable ?