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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Claire, la narratrice, vit en Suisse. Elle profite des vacances d'été pour se rendre chez ses grands-parents, installés à Tokyo depuis leur fuite de la Corée en guerre il y a cinquante ans. La jeune femme s'est mise en tête de ramener le vieux couple quelques jours dans sa patrie d'origine. En attendant de le convaincre, elle donne des cours de français à une petite écolière japonaise, avec laquelle elle entretient bientôt une relation d'affection partagée.


Elle-même franco-coréenne établie en Suisse, l'auteur nous fait découvrir les Zainichi, ces descendants des Coréens venus s'installer au pays du Soleil-Levant pendant l'occupation japonaise de leur pays, notamment au cours de la seconde guerre mondiale. Déportés en masse au Japon pour compenser la pénurie de main d'oeuvre d'alors, travaillant souvent dans des conditions misérables, ils y ont toujours été l'objet de discriminations racistes héritées du colonialisme japonais.


De nombreux détails rendent fascinante cette plongée dépaysante au sein de la plus importante communauté d'origine étrangère au Japon, à commencer par la tradition du Pachinko, hybride du flipper et de la machine à sous, à l'origine d'une véritable industrie aux mains des Zainichi. Leurs salles de jeux font fureur au Japon, où les casinos sont interdits. Les billes recrachées par les machines sont convertibles en lots de faible valeur, ensuite monnayables dans des bureaux d'échanges à proximité des salles de Pachinko : un vrai phénomène de société au Japon.


Avec des chapitres courts et une grande sobriété d'écriture, l'auteur nous entraîne dans un récit rythmé, sous-tendu par le malaise De Claire, écartelée entre Europe, Japon et Corée. Malgré tous ses efforts et ses bonnes intentions, rien ne se passe comme l'imaginait la jeune femme, la barrière des langues, des cultures et des générations, tout comme le poids de l'Histoire, ne cessant de générer malentendus et incompréhensions, interdisant toute vraie communication entre les personnages. Finalement, ligotée dans les non-dits et impuissante face aux souffrances de ses proches, c'est à la recherche de sa propre identité que va se retrouver confrontée Claire.


La complexité des personnages et de leurs relations fait toute la richesse de cette histoire courte et faussement simple, où chaque détail s'avère hautement signifiant : un peu comme si chaque kokeshi en cachait une autre, à la manière des poupées russes… Coup de coeur.

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J'avais beaucoup aimé son premier roman « un hiver à Sokcho » où tout est suggéré et où l'auteure laisse une grande place à l'imaginaire dans une Corée du Sud hivernale. Elisa Shua Dusapin nous plonge cette fois-ci dans la frénésie de Tokyo, ville trépidante et chaude. En cette période estivale, Claire, Suisse d'origine coréenne rend visite à ses grands-parents à Nippori qui est sans conteste le quartier coréen. Elle prévoit un voyage pour leur faire redécouvrir leur Corée natale après cinquante années d'absence, pays d'où ils furent emportés malgré eux par l'exode pour fuir la guerre civile. Dans la mégalo japonaise le grand père gère un établissement aux multiples salles lumineuses remplies de machines à billes volumineuses et très bruyantes que sont les pachinkos. Claire aimerait tellement que son grand-père lâche pour une petite semaine ces machines qui oscillent entre les machines à sous et le flipper. Pour être plus proche de ses grands-parents, Claire parle le japonais, eux préfèrent garder leur langue d'origine. La communication s'avère donc très délicate et pour éviter de se sentir oisive et pour se soustraire à une cohabitation parfois pénible, Claire donne des cours de français à une petite japonaise de 10 ans, Mieko, que sa mère voudrait envoyer par la suite en Suisse pour la poursuite de ses études.
Elisa Shua Dusapin est capable de nous faire ressentir l'humanité et la non humanité qui l'entoure avec des phrases dépouillées et pleines de poésie. Claire découvre le microcosme des coréens de Tokyo, l'étouffement de la communauté coréenne repliée sur elle-même. Ils ne veulent pas s'intégrer ou bien ils ne le peuvent pas, ils veulent garder leur identité, c'est tout ce qui leur reste. L'écriture est dure avec la dureté du diamant et douce à la fois. Claire, héroïne et narratrice a un regard qui va droit à l'essentiel, l'oeil est lucide, acéré et capable de beaucoup de tendresse. C'est un roman sensible et grave avec le choc des cultures et le malentendu intergénérationnel où la communication est délicate sans oublier de vous dire aussi que la grand-mère retombe en enfance. le thème de la solitude est à l'image de claire dans cette ville en ébullition avec ses endroits étriqués et bruyants. L'air est irrespirable et suffocant. Les gens se croisent sans se voir. Claire essaye de se retrouver dans cet univers où elle se sent étrangère, je dirais plutôt qu'elle est une observatrice active car elle cherche à tisser des liens. Cette histoire réaliste et magique ne distille pas de message, ne joue pas à plaider une cause, l'auteure se délivre du poids de la filiation qu'elle porte dans son coeur et de la quête d‘identité qu'elle abrite dans ses entrailles. Elle fait craquer tous les vernis pour nous donner un texte âpre et tendre aux mille facettes comme cette rue coréenne du Tokyo Shin-Okubu.
Un très beau roman donc qui est empreint de délicates attentions, de malentendus, de tristesse, de mélancolie, de tendresse, de violence, de douleur, de dignité et de confusions qui s'entrecroisent et qui nous bouleversent. Elisa Shua Dusapin sait marquer ses ouvrages d'une majesté qui appelle à la fois le respect et l'admiration.

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Retour au Japon et sur le déracinement des coréens partis au Japon. Les billes du Pachinko se pose du point de vue de descendants de ces exilés, d'une petite-fille de Zaïnichis, qui elle-même vit en Suisse où s'est installée sa famille. Peu à peu, on découvre les liens distendus entre les différentes générations, Claire, la petite-fille ne connait presque plus aucun mots coréens et ses grands-parents refusent de dialogue avec elle en japonais.

Dans son roman, Elisa Shua Dusapin ne s'attarde pas sur les conditions de vie de ces exilés, sauf quelques touches ici où là, mais préfère se concentrer sur l'isolement dans lequel certains d'entre eux se sont réfugiés au quotidien, à ne vivre que dans certains quartiers et se rendre uniquement dans les boutiques tenues par des coréens au point d'être perdus lorsqu'ils se trompent dans leurs trajets mais aussi familial en refusant de partager avec leurs proches leurs passés, leurs souvenirs, leurs histoires vécus en Corée d'avant-guerre et sous l'occupation japonaise.


Les billes du Pachinko parle de ce refus d'aborder les sujets essentiels entre membres d'une même famille mais de cette facilité déconcertante de le faire avec des inconnus sur ces sujets que ce soit entre Claire et ses grands-parents qui a découvert les conditions de leurs arrivées sur le sol nippon et sur son arrière-grand-mère par son compagnon que la relation étrange entre Mieko, la jeune élève japonaise de Claire, et sa mère dont la disparition du père reste comme un poids mort, un sujet qui les ronge chacune de manière différente et la tristesse qui peut en découler.


Il s'agit d'un court roman empreint de mélancolie et d'immobilisme, de solitude que la présence des autres ne peut alléger, une tristesse impossible à faire disparaitre, une incapacité à transmettre son histoire à sa descendance qui empoisonne et détruit peu à peu les relations familiales. Une méconnaissance du passé, du vécu qui empêche les enfants et les petits-enfants de se construire totalement du fait de l'ignorance de leurs racines.
La fin du roman est d'une grande tendresse, le lien entre les deux générations se fait enfin, ils ne peuvent retourner là-bas et lui donne la possibilité de se découvrir et de découvrir d'où elle vient, si les mots manquent les gestes suffisent et la transmission devient alors possible.
Elisa Shua Dusapin signe un très joli roman sur le déracinement, la famille, les non-dits et la transmission.
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Premier roman lu pour le prix Horizon qui récompensera un deuxième roman à Marche en Famenne en mai prochain.


Claire est franco-coréenne, elle a trente ans et vit en Suisse, elle parle français et japonais. Ses grands-parents octogènaires vivent à Tokyo, ce sont des zaïnichis, des déportés coréens. Ils ont émigré ici dans les années cinquante lorsque la guerre civile faisait rage. Ils ne veulent pas parler japonais, la grand-mère sort très peu du quartier coréen, le grand-père exploite une salle de Pachinko, ce jeu qui ressemble à un flipper, avec des tas de petites billes, le seul jeu qui n'est pas considéré comme un jeu d'argent.


Claire est venue pour l'été, elle a répondu à une annonce comme répétitrice de français pour une enfant de dix ans, Mieko Ogawa. Son objectif est d'emmener ses grands-parents dans leur pays natal fin de l'été.


J'ai apprécié retrouver l'univers du Japon, Tokyo, Miyajima que j'ai eu la chance de visiter. le style est épuré, il correspond bien à l'univers de ce roman et de la culture asiatique. le Pachinko n'aura plus de secret pour vous, tout comme le vécu de nombreux zaïnichis dans les années cinquante.


Ce roman c'est aussi la recherche de ses racines pour Claire, l'histoire d'une belle amitié avec Mieko, l'occasion de s'immerger dans la culture japonaise et dans la démonstration des sentiments. L'auteure d'origine franco-coréenne nous parle de l'exil, de la terre maternelle mais aussi de la filiation à travers quatre personnages féminins.


Un roman sobre, intimiste qui nous parle de l'exil, des difficultés d'intégration, de communication et des différences culturelles. Il est écrit comme de la littérature japonaise avec poésie, retenue, émotion. de jolis ressentis sur l'amitié, les racines et l'amour. C'est sincère, émouvant.


Un joli coup de coeur que je vous recommande vivement.

Les jolies phrases

J'aime le brouillard. Il empêche de voir loin. Il bouche l'horizon. Il donne l'impression qu'on a le temps, qu'on a le droit de ne rien voir. de ne rien voir venir.


On devrait mourir comme la mue des animaux. Plus on vieillirait, plus la peau s'éclaircirait. A la fin, on verrait tout à l'intérieur de nous, les veines, les os, les sentiments, tout. En même temps la peau ferait un miroir. Et les gens se refléteraient en nous avant qu'on finisse par devenir complètement transparent. A ce moment-là, on irait chez son enfant lui donner son dernier souffle.
- Son enfant ?
- Oui; C'est lui qui vit après.


Pour les Coréens du Japon, il n'y a jamais eu de Nord ni de Sud. Nous sommes tous des gens de Choson. Des gens d'un pays qui n'existe plus.
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Comment définir une personne, par son identité  culturelle ?
Mais quand la personne a de multiples origines, comment se sent-elle ?
C'est le cas De Claire, une jeune trentenaire vivant en Suisse, dont la mère est coréenne, le père européen mais dont les grands-parents coréens vivent au Japon depuis plus de 50 ans.
C'est d'ailleurs au Japon que Claire va passer son été, en compagnie de ses grands-parents qu'elle va accompagner en Corée, afin qu'ils puissent revoir leur pays d'origine une dernière fois.
Pendant cet été particulièrement humide et chaud, elle va aussi donner des cours de français à une petite japonaise à laquelle elle va peu à peu s'attacher.
Le roman est lent, moite, empreint d'une sorte de langueur, Claire ne sait pas trop ce qu'elle veut, elle se sent hésitante, molle, ne prend aucune décision, laisse venir les choses à elle et attend de voir comment sa vie va évoluer, sans vraiment s'y investir.
Elle ne sait comment faire plaisir à sa grand-mère, ne sait comment distraire son élève, ne sait comment convaincre son grand-père de quitter le pachinko qu'il gère, elle laisse la vie couler sur elle comme des gouttes de sueur dans son dos.
Un roman envoûtant dans lequel il ne se passe pas grand chose et pourtant je l'ai dévoré d'une traite, avec un immense plaisir.
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Encore profondément touché par le premier ouvrage d'Elisa Shua Dusapin, Hiver à Sokcho, j'ai commencé Les Billes du Pachinko avec cette fébrilité du lecteur qui craint de ne pouvoir retrouver dès le deuxième ouvrage, la même force d'émotion.
Elle est là pourtant, aux premiers mots, intacte, préservée, prolongée. L'univers d'Élisa se déploie avec cette même densité d'écriture déjà si reconnaissable et qui par effet de coalescence, devient la densité de notre lecture.
Comme un passage de témoin, les premières pages du livre nous ramènent à Hiver à Sokcho. Une quête se poursuit. Et c'est tant mieux. Cependant, très vite, Les Billes du Pachinko se démarque, prend son identité propre, comme la deuxième pièce d'un puzzle que l'on croyait identique à sa voisine et qui se révèle subtilement différente et essentielle à l'élaboration d'un tout.
Ce livre apparaît d'ailleurs comme une mise en abyme d'un jeu de Tetris à trois joueurs. Avec ce deuxième ouvrage, l'auteure construit l'identité de son oeuvre, tandis que Claire, la narratrice, tente d'assembler les pièces de la sienne, culturelle, linguistique, générationnelle aussi, elle qui s'apprête à franchir cette autre frontière si particulière de la trentaine. Et de l'autre côté du jeu, nous, lecteurs, invités avec élégance à construire le sens de cette histoire, de ces personnages attachants ou fantomatiques, en retrouvant les réseaux de correspondances, les jeux de miroirs, les tiroirs secrets.
Car la force d'écriture d'Élisa Shua Dusapin est de cacher sous une apparente sobriété, une richesse de sens qu'une lecture littérale ne permet pas d'appréhender. « La simplicité est la sophistication extrême » écrivait Léonard de Vinci. Il faut bosser un peu pour lire ses récits. Les mots, les phrases, les personnages d'Élisa sont des enveloppes qu'il faut prendre la peine d'ouvrir. La quête de soi n'est pas qu'un retour d'exil, un voyage physique dans le temps ou dans l'espace. Elle passe inévitablement par cette langue visuellement dépouillée à laquelle l'auteure redonne en interne une polysémie qui lui est propre.
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Elisa Shua Dusapin est décidément très douée pour dire en peu de mots la complexité des relations familiales.
Claire, personnage principal de ce roman, est Suisse, sa mère est née au Japon de parents Coréens immigrés au Japon après la seconde guerre mondiale. Trois langues, trois pays, trois cultures avec lesquels il faut composer.
Le temps d'un été brûlant, étouffant, alors qu'elle fête ses 30 ans, Claire rend visite à ses grands-parents à Tokyo. Ils vieillissent et elle aimerait faire avec eux, pour une dernière fois le voyage en Corée. En attendant le grand départ, elle donne des cours de français à une enfant de 10 ans.
Quel plaisir de retrouver l'écriture délicate, poétique, douce, en apparence seulement de cette auteure. Je me suis sentie transportée loin, dans une ambiance oppressante, dans lesquels les non-dits sont légions rendant les relations de Claire avec les siens souvent frustrantes et compliquées, parfois lumineuses.
Un texte magnifique !
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Lu dans le cadre d'une rencontre avec l'auteure, j'ai adoré ce livre. Il m'a appris beaucoup de choses sur les cultures coréenne et japonaise, comme qu'il y avait tellement de gens qui décidaient de disparaître au Japon que la police ne faisait aucune enquête, que les jeux d'argent sont interdits mais que le pachinko a su détourner la loi, qu'il y a un parc à thèmes Heidi ! Bref j'ai adoré ce livre ! La fin est poignante, inattendue, l'image reste longtemps en tête.
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Claire, fille d'un père suisse et d'une mère coréenne, rend visite à ses grands-parents maternels, coréens qui habitent à Tokyo, dans le quartier coréen, où ils sont exilés depuis la fin de la guerre de Corée. le grand-père tient une sorte de casino où l'on joue avec des machines appelées pachinko. On ne gagne que des cadeaux. Les grands-parents ont le projet sans cesse différé de revoir la Corée du sud. C'est Claire qui prépare le voyage qui aura lieu à la fin de son séjour. Pour s'occuper, elle donne des leçons de français à une petite fille qui vit seule avec sa mère. Elle se prend d'affection pour cette enfant sensible et désarmante de sincérité. À la fin du roman, la narratrice part en Corée avec les grands-parents, laissant la petite fille derrière elle.
Roman bref, composé de petites touches, de sortes de miniatures qui recomposent la banalité de la vie quotidienne. Très pudique, sincère, émouvant sans faire d'effet. Une ouverture sur un autre monde, une autre culture, d'autres langues, à propos duquel nous nourrissons tellement de préjugés.
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"La langue, c'est notre vraie race, notre vraie patrie."
Andrée Maillet

"Le coréen m'a échappé à mesure que j'ai appris le français. Au début, mon grand-père me reprenait. Aujourd'hui, il ne dit plus rien. Nous communiquons dans un langage fait de mots simples, anglais ou coréens, de gestes et de mimiques exagérées. Japonais, jamais."

Celle qui parle, c'est Claire. Elle a 30 ans et vit en Suisse. À l'été, elle revient passer quelques semaines à Tokyo auprès de ses grands-parents maternels qui, 50 ans auparavant, ont fui la Corée alors en proie à la guerre civile pour s'établir dans le quartier de Nippori. Ces gens de Choson, ainsi qu'on appelait la Corée d'avant la partition, ne sont jamais revenus chez eux. La petite-fille nourrit le projet de les accompagner pour un voyage de retour que ni sa grand-mère ni son grand-père ne semblent pressés d'entreprendre.
De même que ses grands-parents, éternels Zaïnichi, évoluent à la marge du Japon - sa grand-mère refusant même de sortir du quartier coréen –,

"Pour les Coréens du Japon, il n'y a jamais eu de Nord ni de Sud. Nous sommes tous des gens de Choson. Des gens d'un pays qui n'existe plus."

Claire reste en marge de sa famille. Elle se sent étrangère dans ce qui pourtant devrait lui être familier. Cohabiter est aussi malaisé que communiquer, et les heures passées auprès de Mieko, fillette d'une dizaine d'années à laquelle elle donne des cours de français pour le moins informels et désinvoltes, offrent à Claire l'espace dont elle a besoin pour ne pas suffoquer dans le logement exigu de ses aïeux qui ne disent rien de leurs espoirs, de leurs regrets, des blessures laissées par l'exil, la canicule estivale n'étant pas la seule raison d'étouffer.

Le 2e roman d'Élisa Shua Dusapin était attendu, forcément, après l'immense succès d'Hiver à Sokcho, lauréat des prix Robert-Walser, Alpha, et Régine-Deforges. Les Billes du Pachinko vient de sortir en Folio.

"Les Coréens du Japon se voyaient refuser l'accès au marché du travail à cause de leur nationalité. Ils ont imaginé un jeu. Un plateau vertical. Des billes. Un levier mécanique. Des billes contre des cigarettes."

Il y a ce titre, Les Billes du Pachinko, qui évoque l'ambivalence d'un jeu à la fois "collectif et solitaire" comme un impossible irréconciliable au coeur de ce récit flottant dont l'atmosphère presque irréelle semble contenue tout entière dans cette phrase :

"Un joueur au loin. La main figée en l'air dans l'attente d'un ballon qui ne vient pas. Il élance son corps au ralenti, donne l'impression qu'il lui faudra des années pour recouvrer sa posture d'origine. Je reste un moment à le regarder, ce joueur solitaire, à imiter son geste, cette infinie lenteur, me demandant s'il joue vraiment, ou si ma perception est altérée, si le temps s'est englué de sorte à empêcher le moindre mouvement."

L'autrice nous invite à partir en immersion à la découverte d'une culture autre que la nôtre, dans ce roman de peu de pages, à l'intrigue faussement simple où les thèmes foisonnent. Les uns sont manifestes tels la solitude, la filiation, l'exil d'un pays et d'une langue, la fragilité de l'identité ; les autres sont souterrains comme la violence retenue, le jeu comme substitut à la conversation, la transfiguration du réel dans un Tokyo caniculaire et anonyme encourageant la fuite dans l'artificialité.

C'est un texte profondément dense sous l'épure apparente de phrases parfois parataxiques, mais toujours d'une luxueuse sobriété. Car, en effet, la sobriété est un luxe quand on a fait le choix de raconter à la 1re personne, un choix narratif connu pour amener volontiers à certains épanchements qu'Élisa Shua Dusapin évite avec bonheur, leur préférant l'évocation.

Dans ce roman sensible et grave, empreint de lenteur et de fulgurances, gouvernent les gestes suspendus et les paroles tues. le lecteur pressé décidera qu'il ne s'y passe pas grand-chose car il faut accepter d'aller fouisser sous l'apparence des mots et dans l'interligne.

Les mots, justement, et le langage sont des éléments fondamentaux de la construction de l'identité et de sa préservation. Après des années passées au Japon, les grands-parents de Claire refusent toujours obstinément d'abandonner leur langue natale qu'ils continuent de parler, se souvenant d'une aïeule qui a eu un geste d'une violence définitive :

"— Quand parler coréen est devenu passible de mort, la mère de ta grand-mère a préféré se trancher la langue plutôt que de se soumettre à l'éducation japonaise, tu savais ?"

parce que la langue est parfois tout ce qu'il reste pour que l'identité ne se délite pas complètement.

Alors, quand la communication est à la peine, les jeux sont un moyen d'être ensemble sans avoir à converser. Henriette, la maman de la jeune Mieko, ne propose-t-elle pas

"— Je pensais… Pour commencer, vous pourriez aller jouer ?"

alors même qu'elle a embauché Claire pour donner des cours de français à sa fille qu'elle souhaite envoyer étudier en Suisse.
On joue parce qu'il serait vain de vouloir trouer l'épaisseur du silence dont on aimerait bien - est-ce absurde ? - qu'il parvienne à mettre des mots. On joue au Monopoly dont les rues ont été rebaptisées pour l'édition suisse, au Tetris sur un téléphone pour éviter ses grands-parents, on joue avec des figurines Playmobil, déconcertantes kokeshi que la grand-mère décapite après les avoir cajolées. On fuit la réalité dans des parcs d'attractions où, privé d'identité à l'abri d'un déguisement, on peut se perdre à défaut de s'amuser.

Subrepticement alors que le roman avance, se crée une errance, un déplacement vers plus d'étrangeté pour dire l'inconfort qu'il y a à n'habiter aucune langue. La femme-sandwich, ânonnant toujours la même phrase, coincée entre deux panneaux publicitaires, ne caricature-t-elle pas les zaïnichi pris entre le Japon où ils sont venus trouver refuge et leur pays auquel ils restent fidèles ? On comprend alors pourquoi les grands-parents ne feront pas le voyage en Corée prévu en septembre. Au tout dernier moment, après des heures à bord du Shinkansen à voir défiler des "plaines monotones, maisons çà et là, carrés légers, brisures de bois, comme des pions qu'un joueur [le jeu, encore] éjecterait en soufflant trop fort sur le plateau. Les forêts se penchent. On ne sent plus le vent depuis le train. […] plus nous progressons, plus le ciel se fait gris", comme il lui faut embarquer pour la traversée, la grand-mère aura ces mots :

"— Je veux rentrer, dit-elle.
— On y va.
— Ce n'est pas la direction.
— Mais si, je répète. On y va. On va en Corée.
Elle regarde autour d'elle encore.
— Je veux rentrer."

Rentrer… Ne dit-on pas que ce sont les derniers pas qui donnent sa forme à l'itinéraire ? Qu'iraient-ils faire en Corée ? La langue est devenue leur unique territoire et ce retour au pays natal n'est dès lors guère indispensable. Claire fera ce voyage seule, à la rencontre d'un pays qu'elle ne connaît pas et d'une langue qu'elle a oubliée.

"On devrait mourir comme la mue des animaux. Plus on vieillirait, plus la peau s'éclaircirait. A la fin, on verrait tout l'intérieur de nous, les veines, les os, les sentiments, tout. En même temps, la peau ferait un miroir. Et les gens se refléteraient en nous avant qu'on finisse par devenir complètement transparent. À ce moment-là, on irait chez son enfant pour lui donner son dernier souffle."

C'est à elle qu'opportunément ses grands-parents ont choisi de donner leur dernier souffle en la laissant prendre seule le bateau en partance pour la Corée, n'entendant plus que l'écho "des langues qui se confondent".

Dans ce roman subtil et poétique où abondent les non-dits, où les jeux de miroir reflètent des correspondances inattendues, le lecteur est invité à pressentir ce qui est toujours suggéré, jamais énoncé. Élisa Shua Dusapin a l'élégance de laisser chacun choisir le sens à donner à cette histoire, entre solitude, quête des origines, attachement à un pays et à sa langue, confusion de l'identité confrontée à la multiplicité des langues... et tant d'autres que je vous laisse découvrir. Ce roman est à lire. Vraiment.

Roman lu dans le cadre de la Masse Critique Littératures de Babelio en partenariat avec les éditions Gallimard et Folio que je remercie.


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