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EAN : 9782889278015
176 pages
Editions Zoé (20/08/2020)
3.5/5   114 notes
Résumé :
A Vladivostok, dans l’enceinte désertée d’un cirque entre deux saisons, un trio s’entraîne à la barre russe. Nino pourrait être le fils d’Anton, à eux deux, ils font voler Anna. Ils se préparent au concours international d’Oulan-Oude, visent quatre triples sauts périlleux sans descendre de la barre. Si Anna ne fait pas confiance aux porteurs, elle tombe au risque de ne plus jamais se relever.
Dans l’odeur tenace d’animaux pourtant absents, la lumière se fait... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (28) Voir plus Ajouter une critique
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Russie de nos jours, Vladivostok. Un soir d'automne comme il y en a déjà eu et comme il y en aura tant d'autres, le soleil s'enfonce lentement dans l'océan derrière la palissade, les guirlandes scintillantes s'éteignent les unes après les autres, l'agitation du dernier spectacle de la saison fait place au silence, et de silence il est souvent question dans ce roman... le Vladivostok Circus semble perdu au milieu de nulle part et pourtant il est au milieu de tout, à la croisée des chemins, défiant du regard le pont de la Corne d'Or qui relie la ville de Vladivostok à l'île Rousski. Ce pont dont les piliers haubanés sont les plus hauts du monde, ses 2 pylônes qui culminent à 226 mètres de hauteur, véritables rocs faits d'acier et de béton, inflexibles, à l'image d'Anton et Nino les deux acrobates vedettes du Vladivostok Circus, silhouettes larges et musclées, les porteurs comme on les nomme dans le jargon du cirque, qui, chaque jour, répètent inlassablement leur numéro à la barre russe accompagnés de la belle Anna, ex-championne de trampoline reconvertie dans la haute voltige avec un rêve, un seul, celui de réussir le quadruple saut périlleux avant le festival d'Oulan-Oude qui doit avoir lieu durant l'hiver.

Dans ce récit le silence est un personnage à part entière, il s'invite pour nous laisser le soin de recréer un pan de l'histoire qui nous est volontairement tue aussi il en émane un je-ne-sais-quoi de désuet et de doux à la fois qui m'a rendue un brin mélancolique et n'a pas manqué de me charmer dès les premières pages. Les silences, les regards, parfois tristes mais toujours emplis d'espoir. Un moment comme hors du temps qui nous est raconté par Nathalie, jeune femme dont nous savons peu si ce n'est qu'elle arrive de Belgique, qu'elle est récemment diplômée de l'École des Arts et du Cinéma et qu'elle a décidé de mettre son talent à contribution pour la confection des costumes de scène de notre trio d'acrobates. Un récit entrecoupé de lettres qu'elle adresse à son père, souvenirs d'une autre vie certainement plus heureuse mais aussi plus douloureuse dont elle porte les stigmates à même la peau, en témoignent les lésions de psoriasis qu'elle tente maladroitement de dissimuler.

Et les jours passent, les semaines... L'hiver s'installe, froid, humide, le temps s'étire, invariable dans le vieux bâtiment gris et terne dans lequel sont logés les employés du cirque. Les voix, les éclats de rires ont déserté les lieux, sensation de désolation, ne subsistent que les relents et les odeurs des animaux (qui pourtant sont absents de ce récit) qui se mélangent aux odeurs des corps, de la peau après l'effort, aux odeurs de la mort toujours présente dans les esprits après l'accident qui a failli coûter la vie à l'un des leurs. La mort qui rôde laissant Buck le chat du régisseur dans une lente agonie que l'on souhaiterait qu'elle nous soit épargnée. Car bien évidemment la mort nos trois acrobates la côtoient, la caressent, chaque jour qui passe, la peur, le trac, l'angoisse à chaque répétition comme une montée d'adrénaline nécessaire à leur survie dont ils ne sauraient se passer en échange d'un instant, magique, durant lequel Anna tourbillonne dans les airs tel un astre et qui permet à chacun d'oublier ses souffrances, ses blessures à l'âme pour simplement faire confiance et il n'est jamais chose aisée que celle d'accorder sa confiance quand le corps et l'esprit sont douloureux.

Un très joli roman que celui d'Elisa Shua Dusapin. Son écriture épurée incarne de manière très subtile l'étrangeté liée au monde du cirque. Elle a su capter les petits riens, les moments ordinaires de la vie de ses quatre personnages en nous en brossant des portraits flous que j'ai pour ma part trouvés extraordinaires de simplicité. Alors certes, ce n'est pas dans ce roman que vous serez accueillis par une ribambelle de clowns et par des roulements de tambours ovationnés par un public hilare car l'histoire est ailleurs...


*C'est la belle critique de Cannetille qui a motivé ma lecture, je vous invite à la lire.
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Les acrobates Anton, Nino et Anna préparent un numéro de barre russe pour le concours international de cirque d'Oulan-Oude, en Sibérie orientale. La narratrice Nathalie, une jeune costumière française, les rejoint à Vladivostok où, pendant deux mois, elle assiste à leur entraînement, dans l'enceinte d'un cirque déserté entre deux saisons. A l'approche de la compétition, tous se rendent en plusieurs jours de train jusqu'au lieu de la rencontre…


Il ne se passe pas grand-chose dans cette histoire qui pourrait presque, à première vue, laisser la frustration d'un goût de trop peu. C'est que tout le talent d'Elisa Shua Dusapin se retrouve ici contenu dans la suggestion et le non-dit, dans la saisie d'impressions fugaces où l'essentiel se laisse deviner sans jamais se dévoiler. Nathalie, dans un moment suspendu de sa vie, une parenthèse dépaysante qui exacerbe sa sensibilité aux mille détails d'un environnement qui la désarçonne, se retrouve observatrice, comme au travers de la déchirure momentanée d'un rideau, de l'envers du décor circassien, en compagnie de personnages endurcis qui ont appris à cacher soigneusement leurs failles. Obstinément tendus vers la perfection d'un art auquel ils ont tout sacrifié et pour lequel ils acceptent de risquer quotidiennement leur vie, Anton, Nino et Anna masquent sous leur fierté brusque et taciturne, sous leurs costumes de lumière et sous leurs sourires de parade, les drames, la douleur et la peur qu'ils taisent au fond de leur chair et de leur âme.


Renforcé par le lugubre délabrement du vieux bâtiment, tout droit sorti de l'époque soviétique, qui les héberge, et par les dures conditions climatiques de l'hiver sibérien qu'ils traversent interminablement en train, un parfum de tristesse et de nostalgie imprègne le texte. L'on est frappé de l'impitoyable contraste entre, d'un côté, la vie sombre, précaire et spartiate, et de l'autre, la brillante renommée, de ces athlètes au sommet de leur art. Et l'on reste le coeur serré face à l'indéfectible solitude d'êtres qu'une discipline de fer a, depuis le plus jeune âge, contraints d'oublier leurs sentiments et leurs fragilités.


Ce troisième roman de l'auteur n'a sans doute pas le pouvoir de séduction immédiat des deux précédents. Mais il distille un charme qui, pour être plus discret, n'en cesse pas moins de vous imprégner bien après la dernière page. Surtout, il vous laisse impressionné par l'extraordinaire puissance de suggestion qui investit ses mots.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Est-ce que vous aimiez les sorties au cirque quand vous étiez enfants ? Si oui, qu'est-ce qui vous fascinait autant ? Je ne parle pas du cirque à la télé, qu'on regardait de loin derrière nos écrans, où tout paraissait lisse et facile pour ces presque marionnettes en habit de lumière. Mais de ces sorties sous chapiteau où l'on voyait, sentait et ressentait en vrai des choses qui nous paraissaient incroyables. J'avais toujours si peur que les artistes chutent, ou se fasse dévorer, que j'essayais toujours d'imaginer comment était la vie en coulisse, les entrainements et les astuces pour minimiser les risques, et si cette vie valait le coup une fois ôtés les habits d'apparat, de prendre tous ces risques pour elle. Dans cette histoire, Elisa Shua Dusapin raconte cet autre côté du miroir, avant l'habillage. Et pour cause !


Sa narratrice, Nathalie, est costumière. Elle débarque dans l'enceinte d'un cirque permanent à Vladivostok, embauchée par Léon pour réaliser les costumes de scène d'Anna, Nino et Anton. Nous les rencontrons donc presque à nu, sans leurs costumes de scène. Ce trio s'entraine à la barre russe, spectacle oscillant entre la poutre et le trampoline. Comme très souvent les numéros de cirque, et ceux d'équilibristes en particulier, le danger est omniprésent. L'exercice requiert force, concentration, équilibre… Et surtout une grande confiance entre chaque membre de l'équipe, particulièrement entre les deux porteurs Nino et Anton, et Anna l'étoile filante.


L'objectif de Nathalie, qui nous fait pénétrer ce monde mystérieux, est de créer un costume qui raconte une histoire avec le spectacle, qui mette visuellement en valeur le rôle et les mouvements des personnages, tout en permettant la souplesse de mouvement nécessaire à l'exploit de réaliser quatre sauts périlleux d'affilée… Car l'équipe doit bientôt assurer un grand show, et ils ne veulent plus d'accident, comme celui précédemment arrivé à un dénommé Igor. Alors pour bien capturer l'essence de l'exercice, du spectacle, et de chaque personnalité, Nathalie se rapproche au maximum du monde du cirque qu'elle ne connaît pas, de la vie de ces artistes, de la difficulté et du stress de leur métier, mais sans modifier leur fragile équilibre, leur entente, leur cohabitation. Elle tente de créer une interaction entre la costumière et ses modèles.


Chacun tente de jouer le jeu sans trahir sa personnalité, en se livrant pudiquement. Une intimité se crée dans les bâtiments désertés pour l'entre-deux saisons, dans les odeurs de fauves qui ont imprégné les murs désormais vides. On assiste en coulisse aux répétitions, des liens se nouent, intenses comme tout ce qui est bref et dangereux. Car les gens du cirque sont des nomades, leur coeur a peu d'attaches et pourtant, Elisa Shua Dusapin parvient en moins de deux-cents pages à faire naître un lien entre eux et nous. Si les relations durables sont traditionnellement valorisées, elle démontre et rappelle que les émotions peuvent naître de chaque rencontre, même des plus brèves. C'est un récit intimiste tout en douceur, que j'ai découvert grâce à Sachka ; les coulisses d'un monde de sueur et de paillettes, en voie d'extinction.


« Je dis que je suis contente d'être là, de contribuer à donner un peu de poésie, du rêve que vient chercher leur public…
- Tu trouves ? m'interrompt Nino.
Il continue avec sérieux :
- Moi je pense que le public vient surtout pour voir si ça fonctionne. Jusqu'où on tient. On peut dire qu'on veut du rêve mais en vrai, c'est la faille qu'on espère. En voir chez les autres, ça rassure. »
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Parfois j'ai l'impression que mes pas sont lourds. Parfois j'ai l'impression que nous aspirons à une sorte de légèreté, une apesanteur que peut-être seuls les livres savent nous apporter.
J'ai éprouvé ce sentiment, cette sensation ici, en lisant ce merveilleux récit, grâce à Gaëlle (Sachka) que je remercie.
C'est une manière pour moi de découvrir l'univers d'une jeune auteure suisse qui m'attire dans son univers, elle s'appelle Elisa Shua Dusapin.
Vladivostok Circus m'a entraîné sur le sable d'une piste de cirque, là d'où les animaux se sont retirés depuis longtemps déjà et c'est tant mieux car je plaide pour des cirques sans animaux. Dans ce récit, leurs odeurs sont encore là, présentes, imprimées dans le sol, dans l'air peut-être encore. Une odeur tenace qui enivre ou agace les personnages et l'atmosphère qui les entoure.
Si, comme moi, vous aimez le silence, les silences, vous aimerez ce roman. Ici l'art du silence est présent comme une déambulation.
Ce roman est l'art du silence, de la tension et de la douceur avec des images qui nous rendent le monde plus perceptible sans pour autant en trahir le secret. On va et vient dans cet univers un peu mystérieux.
Le récit nous fait rencontrer des personnages qui nous apparaissent rapidement attachants, bien que chacun révèle aussi sa part d'incertitude, de non-dits, de blessures peut-être.
Nous sommes sous l'enceinte désertée d'une toile de cirque et c'est le temps d'une répétition entre deux saisons. Les artistes sont là, ceux qui volent, les acrobates, éphémères et prodigieuses silhouettes propulsées dans un élan où la fraternité est essentielle. La confiance entre eux est un lien indéfectible, aussi solide que la barre qui va tenir leur geste. Ils s'appellent Nino, Anton, Anna. Dans cette arrière-saison, ils s'entraînent pour préparer un numéro fabuleux lors d'un concours à venir, un quatre triples sauts périlleux sans descendre de la barre.
Et puis il y a le personnage principal du récit, celle qui reste au sol, qui n'en est pas moins en apesanteur elle aussi, elle s'appelle Nathalie, elle vient De Belgique, elle entre dans le cercle des artistes, elle n'entre pas pour autant dans leur lumière, elle effleure cependant cette lumière, elle est juste dans les coulisses, costumière, elle est celle qui fait briller les artistes dans les projecteurs.
Mais ici, il n'y a plus que la lumière pâle d'un matin, posée sur Vladivostok. C'est la même lumière pour tout le monde, la costumière, les artistes qui volent, ceux qui balaient la sciure sur la piste aux étoiles.
Nathalie vient dans ce récit avec sa vie, sa trajectoire, son psoriasis, ses désillusions. On apprend un peu d'elle à travers les lettres qu'elle écrit à son père. On sent on devine quelque chose de douloureux de souterrain... Elle est celle qui est sans ailes. Elle se confronte avec Anna l'artiste, celle qui vole, tandis que Nathalie reste au sol. Confrontation rude, mais qui en dit long, autre chose que le simple rapport entre l'artiste et l'autre qui ne l'est pas...
Nous voyons cette rencontre au travers du regard de Nathalie, merveilleux et touchant personnage qui nous offre ses yeux, ses hésitations, ses errances. On sait si peu d'elle... On voudrait tant savoir d'où elle vient avec son malheur son renoncement ses silences.
Une étrangeté habite ce roman qui m'a enchanté. À première vue, on pourrait penser qu'il ne se passe pas grand-chose, mais j'ai été emporté par l'émotion qui porte chacun des personnages.
Se mettre à voler, est-ce savoir tomber un jour ?
Ce Vladivostok Circus ressemble à une île déserte, éperdue dans un paysage de trapèze et de lumière, j'aime le personnage de Nathalie, costumière au sol qui couture les liens entre les personnages qui s'apprêtent à prendre leur envol, fragiles et fissurés entre eux.
Anna est un astre, elle voltige, aérienne, devient fée, revient au sol comme l'albatros de Baudelaire.
C'est un roman qui m'a touché. Nathalie, qui nous révèle l'histoire, est touchante, celle qui reste au sol à jamais.
C'est un décor façonné de silence, de non-dits, de respirations, de fenêtres posés sur un jour qui attend...
J'ai adoré ce récit, sobre, suspendu entre ciel et terre, où le silence est peut-être le personnage principal.
Je ne saurais dire pourquoi le monde du cirque m'a toujours fasciné. Ici c'est le monde du cirque à l'envers, avec derrière en toile de fond, un monde qui s'effondre, celui du monde soviétique, des murs, des pans de murs qui ne cessent de s'effondrer, on aurait voulu, tant voulu qu'un monde de liberté jaillisse plus tard. Hélas ! Nous savons aujourd'hui qu'il n'en est rien.
Vladivostok Circus m'a envoûté par son voyage souterrain, poétique, à fleur de peau. Un livre en apesanteur.
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Je ne connaissais pas Elisa Shua Dusapin, il y a de cela quelques semaines. Cette idée de lecture m'est venue suite à la superbe critique de Sachka, que je remercie pour ces quelques soirées en apesanteur.
Troisième roman de l'auteure, ce récit marque par l'originalité de son thème, l'auteure ayant choisi pour cadre l'univers du cirque.
*
Vladisvostok, de nos jours
La saison s'achève.
Le cirque se vide de ses artistes, de ses spectateurs.
Les lumières s'éteignent, les bruits ambiants laissent place au silence, au froid et à l'hiver qui approche doucement sans faire de bruit et enveloppe le dôme du chapiteau d'un manteau de neige.

Seules, les odeurs animales puissantes persistent et imprègnent encore les lieux.
Bien que les animaux aient disparu du cirque depuis plusieurs années, leur odeur tenace les rend chaque jour présent.
« Anna relève la tête, dit que c'est comme au zoo, les cages des fauves qui sentent encore après leur mort, histoire de rappeler qu'ils n'ont jamais connu la liberté. »
*
Seuls, un trio d'artistes de cirque reste et prépare un nouveau spectacle de Barre russe en vue d'un concours international qui se déroulera en Sibérie, à Oulan-Oude dans quelques semaines.
Cette discipline acrobatique consiste pour le voltigeur à accomplir sans harnais de sécurité des figures extrêmement périlleuses sur une barre flexible maintenue par deux porteurs. Leur numéro veut s'inscrire dans la performance, mais également dans une narration poétique.
*
Ce qui m'a plu dans ce roman, c'est l'atmosphère qui s'en dégage, jeux de contraste et d'éclairage.

Sous les feux des projecteurs, les artistes entrent en piste et évoluent avec adresse sous les yeux émerveillés des spectateurs qui en réclament toujours plus.
« …donner un peu de poésie, du rêve que vient chercher leur public… »

La lumière est vive, joyeuse, exubérante, vivante.
« Au coeur de la piste, enroulée sur elle-même, la tête sous le ventre, la femme fait onduler ses membres comme une anémone de mer. »

Elégance, souplesse, légèreté, tels un oiseau voltigeant dans le ciel.
La grâce et la fragilité de l'instant.
« Tu sais, quand je pense à tous ces petits corps suspendus entre le ciel et la terre, ça me fait sourire de me dire que parmi eux, il y en a pour qui se mettre à voler, c'est d'abord tomber. »

Fin du spectacle, le rideau se baisse, le cirque se vide, passant de la lumière à l'obscurité, des bruits de fête au calme. Les sourires faux et les attitudes détendues disparaissent.
Le silence domine.
Dans l'intimité, loin des regards du public, les artistes s'entraînent, vie de routine, de maîtrise de soi, de sacrifices et de peur. Les liens entre les artistes doivent être intenses, indéfectibles, leur confiance absolue.
Le risque fait partie de leur vie, leur sécurité et leur vie dépendent les uns des autres.
La tension palpable, permanente monte insidieusement. le lecteur ressent leur fragilité, leurs rancoeurs, le poids des non-dits.

Les sentiments qui m'ont dominé tout au long du roman sont des sentiments de vide, de perte, de malaise, de solitude aussi. Mais il s'en dégage également de la douceur, de la poésie et de l'harmonie.
« Anna remonte sur la barre. Les mouvements s'harmonisent. Au coeur de la piste encerclée de velours rouge, on dirait un diaphragme. Pulsations rythmées par Anna comme un souffle qui cherche à sortir mais retourne aux poumons. »
*
A la fois sombre, opaque, aérienne et délicate, l'écriture de Elisa Shua Dusapin trouve un parfait équilibre entre artifice, légèreté et profondeur des sentiments, réalité et illusion, poésie et drames.
Le lecteur évolue dans un univers étonnant et étrange où l'acrobate risque sa vie.
Le goût du spectacle et du risque, le plaisir du public l'emportent sur la frayeur et le danger.
La tension monte au fil des pages sans comprendre où l'auteure veut nous mener. Je n'avais pas envisagé ce dénouement et c'est une bonne surprise.
*
Ce court récit de moins de 200 pages est une très belle découverte sur les rapports humains et notre incapacité à nous dévoiler totalement.
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critiques presse (1)
LeMonde
25 septembre 2020
L'autrice entre dans l'univers circassien par les sensations tactiles, auditives et visuelles, notées en courtes phrases nominales, comme des touches d?émotion.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (32) Voir plus Ajouter une citation
On distingue justement ses mains en gros plan. La peau se plisse et rougit sous la friction de la corde du harnais. Glissement de caméra le long de la barre vers celles des porteurs, larges, posées l'une sur l'autre, doigts resserrés comme deux crabes, mains pinces. Pieds d'Anna ficelés dans les chaussons renforcés. Pieds sabots. Retour vers les porteurs, leurs poignets. Anna. Chevilles. Jambes pattes. Chevilles poignets. La caméra tente de suivre les sauts mais ça devient rapide, difficile de différencier les doigts des pieds, de griffes, palmes ou serres d'oiseaux d'un corps sanglé par le système de protection, mousqueton sur les hanches, coulissement de la corde, claquements, bruits de poulies, borborygme amplifié par le micro qui enregistre aussi le vide sous le plafond.
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Depuis la fenêtre, tu verrais tous ces gens qui se hâtent. Il y a du vent. Ils baissent la tête pour se protéger des rafales, trottent dans leurs manteaux pour attraper le tram qui rallie la gare ou la France. Dans ce quadrille, j'ai mis du temps, hier, avant de remarquer les camions. Ils se sont défaits, là, sur la place. Ça a pris tout l'après-midi. Ils ont commencé par remuer depuis le centre, se redresser sur des pattes en acier, ventre ouvert, cocons de câbles déroulés, plantés dans le sol et d'un seul coup, juste avant la tombée de la nuit, le chapiteau était debout, bleu, constellé d'étoiles, Starlight écrit en grand sur les conteneurs de la billetterie.
La dernière fois que je suis allée au cirque, c'était l'année où je suis retournée en Russie. La place était bien différente de celle-ci. En Sibérie orientale, dans les steppes de Bouriatie. Le crottin des chevaux gelait presque aussitôt. Je les revois sur la piste, les amis avec qui j'ai collaboré. Je vois encore leur visage. Leur sourire étrange car au cirque, on s'y accroche quoi qu'il advienne.
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Elle me regarde :
- Quand j'étais au trampoline, tout le monde me disait : comme t'es jeune pour faire ce que tu fais ! Maintenant on ne me dit plus rien.
Je lui confie que parfois, j'ai trouvé Anton dur avec elle pendant l'entraînement. Elle hausse les épaules. Il est plus dur avec Nino. Elle se fait du souci pour eux. Anton va avoir soixante-cinq ans. Il s'accroche à la barre alors qu'il ferait mieux d'aider Nino à former un nouveau duo, avec un partenaire plus jeune. Il sait que Nino ne le laissera jamais tomber. Elle ajoute avec fureur :
- Tu sais combien pèse la barre quand j'atterris ?
Anton pourra plus le supporter longtemps. Imagine s'il lâche tout. S'il arrive pas à sentir qu'il a plus de forces. Comment tu sais que tu dois arrêter de faire ce que t'as fait toute ta vie ?
- Il saura, tu ne crois pas ? Avec l'expérience qu'il a ...
- On vieillit qu'une seule fois.
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[...] ce soir, des milliers de pinsons sont arrivés sur la place. Ils tournent autour du public aux ports du chapiteau. C'est la première. Il sont perchés partout, sur les câbles électriques, les arrimages, les guirlandes du cirque comme des lampions sans lumière. Sais-tu qu'il existe une espèce particulière, dont les ailes sont si grandes que les oiseaux ne peuvent pas se propulser tout seuls depuis le sol ? Alors ils restent en vol. Ils arrivent à vivre toute une vie sans se poser. Ils dorment en l'air, à dix kilomètres au-dessus de nos têtes.
Tu sais quand je pense à tous ces petits corps suspendus entre le ciel et la terre, ça me fait sourire de me dire que parmi eux, il y en a pour qui se mettre à voler, c'est d'abord tomber.
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INCIPIT
Je ne suis pas attendue, je pense. Pour la énième fois, le guichetier parcourt la liste des personnes autorisées. Il vient de faire sortir un groupe de femmes enchignonnées, musculeuses, les yeux bridés. Derrière la grille, j’ai aperçu le dôme de verre, la pierre marbrée sous les affiches de la saison. Je répète que je suis costumière. Le guichetier finit par se tourner vers une télévision. Il ne comprend pas l’anglais, me dis-je encore, pour me rassurer. Je m’assieds sur ma valise, tente d’appeler mon correspondant, un certain Léon, le metteur en scène. J’ai un rire nerveux. Mon téléphone n’affiche plus que trois pour cent de batterie. Comme je m’éloigne en quête d’un lieu où la recharger, je suis hélée par un homme depuis l’intérieur du cirque. Il accourt en retenant ses lunettes. Son corps en longueur contraste avec celui des filles croisées plus tôt. Je lui donne la trentaine.
– Désolé, s’exclame-t-il en anglais, je t’attendais dans une semaine ! Je suis Léon.
– On n’avait pas dit début novembre ?
– Si ! C’est moi, je suis dans les nuages.
Nous contournons le bâtiment jusqu’à une petite cour qu’une palissade sépare de l’océan. Le rivage apparaît entre les lattes. Des lampions s’entortillent sur un arbre. Une caravane beige domine un mobilier en fer forgé, des assiettes traînent sur les tables en guise de cendriers, d’autres rougies par de la sauce tomate. Sur les chaises, sous-vêtements de sport et de dentelle recroquevillés.
Léon me fait pénétrer dans un couloir sombre en arc de cercle. Il me traduit les écriteaux punaisés aux portes : administration, accès aux coulisses, arrière de la piste. Chambres et vestiaires sont au premier étage. Tout en haut sous la coupole, le réfectoire. Nous arrivons au bas d’un escalier. Que je l’excuse un instant, il va chercher le directeur au repas. Il monte en courant.
Du haut des marches, un chat me fixe, blanc, presque rose. Je lui tends la main. Il s’approche. Sa couleur étrange est celle de sa peau. Il n’a presque pas de poils. Il se frotte à mes jambes. Je me redresse, vaguement dégoûtée.
Léon revient flanqué d’un homme dans la cinquantaine, cheveux platine, qui me salue d’une main ferme. Léon traduit en simultané. Le directeur est navré du malentendu, rire bref, j’ai un peu d’avance mais bien sûr il ne va pas me renvoyer si loin chez moi, d’ailleurs c’est un honneur d’accueillir un jeune talent de la couture européenne. En ce moment, le Vladivostok Circus joue son grand spectacle d’automne. D’ici la fermeture hivernale à la fin de la semaine, il m’invite à y assister autant que je le désire. Le seul problème concerne le logement : toutes les chambres sont occupées par les artistes. Je vais pouvoir m’installer après leur départ.
Je me force à sourire, dis que je me débrouillerai. Le directeur fait claquer ses mains, c’est donc parfait ! que je n’hésite pas à le solliciter si nécessaire.
Il n’attend pas ma réponse pour s’enfermer dans son bureau. Je remercie Léon pour la traduction. Il hausse les épaules. Il est Canadien, a enseigné l’anglais. Je peux compter sur lui. J’en profite pour partager mon inquiétude : je sors à peine de l’école, je viens du théâtre et du cinéma, je n’ai jamais travaillé pour le cirque, il le savait n’est-ce pas ? A propos, je ne suis pas certaine d’avoir compris, comment allons-nous procéder si les artistes s’en vont la saison terminée ? Léon opine de la tête. Ce n’était pas très clair en effet. Normalement, tout le monde quitte les lieux, les artistes se dispersent dans les cirques de Noël. Mais le trio à la barre russe, avec qui nous collaborerons, s’est arrangé avec le directeur pour préparer son prochain numéro au Vladivostok Circus sans payer de loyer, en échange de quoi il se produira ici dans le spectacle du printemps.
– Anton et Nino sont des stars, précise Léon. Pour le directeur, c’est un bon deal. Pas sûr de l’inverse, mais c’est comme ça.
Je prends l’air convaincu, tout en mesurant ce qui me sépare du milieu circassien. Tout ce que je sais du trio en question, c’est qu’il est célèbre pour son numéro intitulé Black Bird, dans lequel Igor, le voltigeur, effectue cinq triples sauts périlleux à la barre russe. J’ai fait des recherches avant ma venue, découvert l’existence de cet engin long de cinq mètres, large de vingt centimètres, soutenu à chaque extrémité par l’épaule d’un porteur, et sur lequel le troisième membre du groupe enchaîne des figures. La discipline demeure l’une des plus périlleuses car l’acrobate n’est pas assuré.
– C’est toi qui a imaginé le numéro avec Igor ? je demande.
– Oh non ! Je ne l’ai pas connu avant son accident.
– L’accident ?
– Tu ne savais pas ? Ça fait cinq ans qu’il ne saute plus. Il y a une nouvelle. Anna.
Il me dit qu’elle vient de partir en ville avec Nino mais Anton est dans sa chambre, il peut me présenter, sinon le lendemain après le spectacle. Je m’empresse de dire demain, c’est très bien.
– C’est peut-être mieux, oui. Anton comprend toutes les langues mais parle à peine anglais…
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Vidéo de Elisa Shua Dusapin
Elisa Shua Dusapin était présente sur le plateau de la Grande Librairie pour présenter son quatrième ouvrage le vieil incendie, paru le 22 août 2023, aux éditions Zoé. Ce dernier raconte une nouvelle fois les liens familiaux et plus précisément de deux soeurs. Agathe et Véra, sa cadette aphasique, se retrouvent après quinze ans. A 15 ans, l'aînée a fui la maison familiale pour ne plus avoir à protéger sa soeur de la méchanceté des autres. Ce n'est pas sans culpabilité qu'elle a mis un océan entre son père et Véra, laissés en tête à tête dans cette bâtisse en pleine nature qu'il faut maintenant débarrasser. Une fois vidées, les pierres des murs anciens restaureront le pigeonnier voisin, ravagé par un incendie vieux d'un siècle. Véra a changé. Agathe retrouve une femme qui cuisine avec agilité, lit Perec et répond à sa soeur "Humour SVP" grâce à son smartphone dont elle lui tend l'écran. Un roman fort et très intimiste.
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