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Russie de nos jours, Vladivostok. Un soir d'automne comme il y en a déjà eu et comme il y en aura tant d'autres, le soleil s'enfonce lentement dans l'océan derrière la palissade, les guirlandes scintillantes s'éteignent les unes après les autres, l'agitation du dernier spectacle de la saison fait place au silence, et de silence il est souvent question dans ce roman... le Vladivostok Circus semble perdu au milieu de nulle part et pourtant il est au milieu de tout, à la croisée des chemins, défiant du regard le pont de la Corne d'Or qui relie la ville de Vladivostok à l'île Rousski. Ce pont dont les piliers haubanés sont les plus hauts du monde, ses 2 pylônes qui culminent à 226 mètres de hauteur, véritables rocs faits d'acier et de béton, inflexibles, à l'image d'Anton et Nino les deux acrobates vedettes du Vladivostok Circus, silhouettes larges et musclées, les porteurs comme on les nomme dans le jargon du cirque, qui, chaque jour, répètent inlassablement leur numéro à la barre russe accompagnés de la belle Anna, ex-championne de trampoline reconvertie dans la haute voltige avec un rêve, un seul, celui de réussir le quadruple saut périlleux avant le festival d'Oulan-Oude qui doit avoir lieu durant l'hiver.

Dans ce récit le silence est un personnage à part entière, il s'invite pour nous laisser le soin de recréer un pan de l'histoire qui nous est volontairement tue aussi il en émane un je-ne-sais-quoi de désuet et de doux à la fois qui m'a rendue un brin mélancolique et n'a pas manqué de me charmer dès les premières pages. Les silences, les regards, parfois tristes mais toujours emplis d'espoir. Un moment comme hors du temps qui nous est raconté par Nathalie, jeune femme dont nous savons peu si ce n'est qu'elle arrive de Belgique, qu'elle est récemment diplômée de l'École des Arts et du Cinéma et qu'elle a décidé de mettre son talent à contribution pour la confection des costumes de scène de notre trio d'acrobates. Un récit entrecoupé de lettres qu'elle adresse à son père, souvenirs d'une autre vie certainement plus heureuse mais aussi plus douloureuse dont elle porte les stigmates à même la peau, en témoignent les lésions de psoriasis qu'elle tente maladroitement de dissimuler.

Et les jours passent, les semaines... L'hiver s'installe, froid, humide, le temps s'étire, invariable dans le vieux bâtiment gris et terne dans lequel sont logés les employés du cirque. Les voix, les éclats de rires ont déserté les lieux, sensation de désolation, ne subsistent que les relents et les odeurs des animaux (qui pourtant sont absents de ce récit) qui se mélangent aux odeurs des corps, de la peau après l'effort, aux odeurs de la mort toujours présente dans les esprits après l'accident qui a failli coûter la vie à l'un des leurs. La mort qui rôde laissant Buck le chat du régisseur dans une lente agonie que l'on souhaiterait qu'elle nous soit épargnée. Car bien évidemment la mort nos trois acrobates la côtoient, la caressent, chaque jour qui passe, la peur, le trac, l'angoisse à chaque répétition comme une montée d'adrénaline nécessaire à leur survie dont ils ne sauraient se passer en échange d'un instant, magique, durant lequel Anna tourbillonne dans les airs tel un astre et qui permet à chacun d'oublier ses souffrances, ses blessures à l'âme pour simplement faire confiance et il n'est jamais chose aisée que celle d'accorder sa confiance quand le corps et l'esprit sont douloureux.

Un très joli roman que celui d'Elisa Shua Dusapin. Son écriture épurée incarne de manière très subtile l'étrangeté liée au monde du cirque. Elle a su capter les petits riens, les moments ordinaires de la vie de ses quatre personnages en nous en brossant des portraits flous que j'ai pour ma part trouvés extraordinaires de simplicité. Alors certes, ce n'est pas dans ce roman que vous serez accueillis par une ribambelle de clowns et par des roulements de tambours ovationnés par un public hilare car l'histoire est ailleurs...


*C'est la belle critique de Cannetille qui a motivé ma lecture, je vous invite à la lire.
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Les acrobates Anton, Nino et Anna préparent un numéro de barre russe pour le concours international de cirque d'Oulan-Oude, en Sibérie orientale. La narratrice Nathalie, une jeune costumière française, les rejoint à Vladivostok où, pendant deux mois, elle assiste à leur entraînement, dans l'enceinte d'un cirque déserté entre deux saisons. A l'approche de la compétition, tous se rendent en plusieurs jours de train jusqu'au lieu de la rencontre…


Il ne se passe pas grand-chose dans cette histoire qui pourrait presque, à première vue, laisser la frustration d'un goût de trop peu. C'est que tout le talent d'Elisa Shua Dusapin se retrouve ici contenu dans la suggestion et le non-dit, dans la saisie d'impressions fugaces où l'essentiel se laisse deviner sans jamais se dévoiler. Nathalie, dans un moment suspendu de sa vie, une parenthèse dépaysante qui exacerbe sa sensibilité aux mille détails d'un environnement qui la désarçonne, se retrouve observatrice, comme au travers de la déchirure momentanée d'un rideau, de l'envers du décor circassien, en compagnie de personnages endurcis qui ont appris à cacher soigneusement leurs failles. Obstinément tendus vers la perfection d'un art auquel ils ont tout sacrifié et pour lequel ils acceptent de risquer quotidiennement leur vie, Anton, Nino et Anna masquent sous leur fierté brusque et taciturne, sous leurs costumes de lumière et sous leurs sourires de parade, les drames, la douleur et la peur qu'ils taisent au fond de leur chair et de leur âme.


Renforcé par le lugubre délabrement du vieux bâtiment, tout droit sorti de l'époque soviétique, qui les héberge, et par les dures conditions climatiques de l'hiver sibérien qu'ils traversent interminablement en train, un parfum de tristesse et de nostalgie imprègne le texte. L'on est frappé de l'impitoyable contraste entre, d'un côté, la vie sombre, précaire et spartiate, et de l'autre, la brillante renommée, de ces athlètes au sommet de leur art. Et l'on reste le coeur serré face à l'indéfectible solitude d'êtres qu'une discipline de fer a, depuis le plus jeune âge, contraints d'oublier leurs sentiments et leurs fragilités.


Ce troisième roman de l'auteur n'a sans doute pas le pouvoir de séduction immédiat des deux précédents. Mais il distille un charme qui, pour être plus discret, n'en cesse pas moins de vous imprégner bien après la dernière page. Surtout, il vous laisse impressionné par l'extraordinaire puissance de suggestion qui investit ses mots.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Est-ce que vous aimiez les sorties au cirque quand vous étiez enfants ? Si oui, qu'est-ce qui vous fascinait autant ? Je ne parle pas du cirque à la télé, qu'on regardait de loin derrière nos écrans, où tout paraissait lisse et facile pour ces presque marionnettes en habit de lumière. Mais de ces sorties sous chapiteau où l'on voyait, sentait et ressentait en vrai des choses qui nous paraissaient incroyables. J'avais toujours si peur que les artistes chutent, ou se fasse dévorer, que j'essayais toujours d'imaginer comment était la vie en coulisse, les entrainements et les astuces pour minimiser les risques, et si cette vie valait le coup une fois ôtés les habits d'apparat, de prendre tous ces risques pour elle. Dans cette histoire, Elisa Shua Dusapin raconte cet autre côté du miroir, avant l'habillage. Et pour cause !


Sa narratrice, Nathalie, est costumière. Elle débarque dans l'enceinte d'un cirque permanent à Vladivostok, embauchée par Léon pour réaliser les costumes de scène d'Anna, Nino et Anton. Nous les rencontrons donc presque à nu, sans leurs costumes de scène. Ce trio s'entraine à la barre russe, spectacle oscillant entre la poutre et le trampoline. Comme très souvent les numéros de cirque, et ceux d'équilibristes en particulier, le danger est omniprésent. L'exercice requiert force, concentration, équilibre… Et surtout une grande confiance entre chaque membre de l'équipe, particulièrement entre les deux porteurs Nino et Anton, et Anna l'étoile filante.


L'objectif de Nathalie, qui nous fait pénétrer ce monde mystérieux, est de créer un costume qui raconte une histoire avec le spectacle, qui mette visuellement en valeur le rôle et les mouvements des personnages, tout en permettant la souplesse de mouvement nécessaire à l'exploit de réaliser quatre sauts périlleux d'affilée… Car l'équipe doit bientôt assurer un grand show, et ils ne veulent plus d'accident, comme celui précédemment arrivé à un dénommé Igor. Alors pour bien capturer l'essence de l'exercice, du spectacle, et de chaque personnalité, Nathalie se rapproche au maximum du monde du cirque qu'elle ne connaît pas, de la vie de ces artistes, de la difficulté et du stress de leur métier, mais sans modifier leur fragile équilibre, leur entente, leur cohabitation. Elle tente de créer une interaction entre la costumière et ses modèles.


Chacun tente de jouer le jeu sans trahir sa personnalité, en se livrant pudiquement. Une intimité se crée dans les bâtiments désertés pour l'entre-deux saisons, dans les odeurs de fauves qui ont imprégné les murs désormais vides. On assiste en coulisse aux répétitions, des liens se nouent, intenses comme tout ce qui est bref et dangereux. Car les gens du cirque sont des nomades, leur coeur a peu d'attaches et pourtant, Elisa Shua Dusapin parvient en moins de deux-cents pages à faire naître un lien entre eux et nous. Si les relations durables sont traditionnellement valorisées, elle démontre et rappelle que les émotions peuvent naître de chaque rencontre, même des plus brèves. C'est un récit intimiste tout en douceur, que j'ai découvert grâce à Sachka ; les coulisses d'un monde de sueur et de paillettes, en voie d'extinction.


« Je dis que je suis contente d'être là, de contribuer à donner un peu de poésie, du rêve que vient chercher leur public…
- Tu trouves ? m'interrompt Nino.
Il continue avec sérieux :
- Moi je pense que le public vient surtout pour voir si ça fonctionne. Jusqu'où on tient. On peut dire qu'on veut du rêve mais en vrai, c'est la faille qu'on espère. En voir chez les autres, ça rassure. »
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Nathalie, la jeune narratrice, tout juste diplômée d'une école de théâtre et de cinéma, vient d'accepter une mission de courte durée pour concevoir les costumes de circassiens, des voltigeurs du Vladivostock circus. À son arrivée, elle est accueillie par Léon, le régisseur, un canadien anglophone, qui lui explique que le cirque a laissé les lieux à disposition des voltigeurs, Anton, Nina et Anna pour qu'ils répètent leur numéro, avec pour point d'orgue quatre triples sauts périlleux d'affilé et pour lesquels elle doit travailler. Assez rapidement, la jeune femme ne peut que ressentir l'extrême pauvreté de moyens mis à sa disposition, renforçant ses doutes quant à sa capacité à concevoir les costumes de scène. L'intégration se fait lente, la narratrice ressentant les tensions des artistes, devinant le passé difficile de l'équipe à l'évocation du voltigeur précédent Igor.

Une ambiance lourde imprègne ce court roman, dans lequel une jeune française retrouve une ville qu'elle a connue enfant, mais qui s'est appauvrie avec la fin de l'ère communiste. le choc ne se résume pas aux conditions de vie difficile, la vie en roulottes délabrées, les difficultés pour se chauffer, le problème de la langue, elle doit s'intégrer dans un groupe qui se connnait déjà, dans lequel chacun des artistes doit faire face à ses propres démons, l'usure du corps pour Anton, les problèmes filiaux de Nino ou encore, la perte de confiance d'Anna, la voltigeuse. Au fur et à mesure des repetitions plus ou moins abouties, le groupe se rapproche, laissant ses états d'âmes se révéler.
Un récit dont on ressent rapidement l'ambiance lourde, dans l'environnement gris et froid de novembre, dans l'ambiance des douleurs du passé, des doutes sur le présent, une première expérience professionnelle plus difficile sur le plan humain que sur les qualités professionnelles de la jeune femme.
Un roman désenchanté, qui fait la part belle aux sentiments humains.
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Parfois j'ai l'impression que mes pas sont lourds. Parfois j'ai l'impression que nous aspirons à une sorte de légèreté, une apesanteur que peut-être seuls les livres savent nous apporter.
J'ai éprouvé ce sentiment, cette sensation ici, en lisant ce merveilleux récit, grâce à Gaëlle (Sachka) que je remercie.
C'est une manière pour moi de découvrir l'univers d'une jeune auteure suisse qui m'attire dans son univers, elle s'appelle Elisa Shua Dusapin.
Vladivostok Circus m'a entraîné sur le sable d'une piste de cirque, là d'où les animaux se sont retirés depuis longtemps déjà et c'est tant mieux car je plaide pour des cirques sans animaux. Dans ce récit, leurs odeurs sont encore là, présentes, imprimées dans le sol, dans l'air peut-être encore. Une odeur tenace qui enivre ou agace les personnages et l'atmosphère qui les entoure.
Si, comme moi, vous aimez le silence, les silences, vous aimerez ce roman. Ici l'art du silence est présent comme une déambulation.
Ce roman est l'art du silence, de la tension et de la douceur avec des images qui nous rendent le monde plus perceptible sans pour autant en trahir le secret. On va et vient dans cet univers un peu mystérieux.
Le récit nous fait rencontrer des personnages qui nous apparaissent rapidement attachants, bien que chacun révèle aussi sa part d'incertitude, de non-dits, de blessures peut-être.
Nous sommes sous l'enceinte désertée d'une toile de cirque et c'est le temps d'une répétition entre deux saisons. Les artistes sont là, ceux qui volent, les acrobates, éphémères et prodigieuses silhouettes propulsées dans un élan où la fraternité est essentielle. La confiance entre eux est un lien indéfectible, aussi solide que la barre qui va tenir leur geste. Ils s'appellent Nino, Anton, Anna. Dans cette arrière-saison, ils s'entraînent pour préparer un numéro fabuleux lors d'un concours à venir, un quatre triples sauts périlleux sans descendre de la barre.
Et puis il y a le personnage principal du récit, celle qui reste au sol, qui n'en est pas moins en apesanteur elle aussi, elle s'appelle Nathalie, elle vient De Belgique, elle entre dans le cercle des artistes, elle n'entre pas pour autant dans leur lumière, elle effleure cependant cette lumière, elle est juste dans les coulisses, costumière, elle est celle qui fait briller les artistes dans les projecteurs.
Mais ici, il n'y a plus que la lumière pâle d'un matin, posée sur Vladivostok. C'est la même lumière pour tout le monde, la costumière, les artistes qui volent, ceux qui balaient la sciure sur la piste aux étoiles.
Nathalie vient dans ce récit avec sa vie, sa trajectoire, son psoriasis, ses désillusions. On apprend un peu d'elle à travers les lettres qu'elle écrit à son père. On sent on devine quelque chose de douloureux de souterrain... Elle est celle qui est sans ailes. Elle se confronte avec Anna l'artiste, celle qui vole, tandis que Nathalie reste au sol. Confrontation rude, mais qui en dit long, autre chose que le simple rapport entre l'artiste et l'autre qui ne l'est pas...
Nous voyons cette rencontre au travers du regard de Nathalie, merveilleux et touchant personnage qui nous offre ses yeux, ses hésitations, ses errances. On sait si peu d'elle... On voudrait tant savoir d'où elle vient avec son malheur son renoncement ses silences.
Une étrangeté habite ce roman qui m'a enchanté. À première vue, on pourrait penser qu'il ne se passe pas grand-chose, mais j'ai été emporté par l'émotion qui porte chacun des personnages.
Se mettre à voler, est-ce savoir tomber un jour ?
Ce Vladivostok Circus ressemble à une île déserte, éperdue dans un paysage de trapèze et de lumière, j'aime le personnage de Nathalie, costumière au sol qui couture les liens entre les personnages qui s'apprêtent à prendre leur envol, fragiles et fissurés entre eux.
Anna est un astre, elle voltige, aérienne, devient fée, revient au sol comme l'albatros de Baudelaire.
C'est un roman qui m'a touché. Nathalie, qui nous révèle l'histoire, est touchante, celle qui reste au sol à jamais.
C'est un décor façonné de silence, de non-dits, de respirations, de fenêtres posés sur un jour qui attend...
J'ai adoré ce récit, sobre, suspendu entre ciel et terre, où le silence est peut-être le personnage principal.
Je ne saurais dire pourquoi le monde du cirque m'a toujours fasciné. Ici c'est le monde du cirque à l'envers, avec derrière en toile de fond, un monde qui s'effondre, celui du monde soviétique, des murs, des pans de murs qui ne cessent de s'effondrer, on aurait voulu, tant voulu qu'un monde de liberté jaillisse plus tard. Hélas ! Nous savons aujourd'hui qu'il n'en est rien.
Vladivostok Circus m'a envoûté par son voyage souterrain, poétique, à fleur de peau. Un livre en apesanteur.
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Je ne connaissais pas Elisa Shua Dusapin, il y a de cela quelques semaines. Cette idée de lecture m'est venue suite à la superbe critique de Sachka, que je remercie pour ces quelques soirées en apesanteur.
Troisième roman de l'auteure, ce récit marque par l'originalité de son thème, l'auteure ayant choisi pour cadre l'univers du cirque.
*
Vladisvostok, de nos jours
La saison s'achève.
Le cirque se vide de ses artistes, de ses spectateurs.
Les lumières s'éteignent, les bruits ambiants laissent place au silence, au froid et à l'hiver qui approche doucement sans faire de bruit et enveloppe le dôme du chapiteau d'un manteau de neige.

Seules, les odeurs animales puissantes persistent et imprègnent encore les lieux.
Bien que les animaux aient disparu du cirque depuis plusieurs années, leur odeur tenace les rend chaque jour présent.
« Anna relève la tête, dit que c'est comme au zoo, les cages des fauves qui sentent encore après leur mort, histoire de rappeler qu'ils n'ont jamais connu la liberté. »
*
Seuls, un trio d'artistes de cirque reste et prépare un nouveau spectacle de Barre russe en vue d'un concours international qui se déroulera en Sibérie, à Oulan-Oude dans quelques semaines.
Cette discipline acrobatique consiste pour le voltigeur à accomplir sans harnais de sécurité des figures extrêmement périlleuses sur une barre flexible maintenue par deux porteurs. Leur numéro veut s'inscrire dans la performance, mais également dans une narration poétique.
*
Ce qui m'a plu dans ce roman, c'est l'atmosphère qui s'en dégage, jeux de contraste et d'éclairage.

Sous les feux des projecteurs, les artistes entrent en piste et évoluent avec adresse sous les yeux émerveillés des spectateurs qui en réclament toujours plus.
« …donner un peu de poésie, du rêve que vient chercher leur public… »

La lumière est vive, joyeuse, exubérante, vivante.
« Au coeur de la piste, enroulée sur elle-même, la tête sous le ventre, la femme fait onduler ses membres comme une anémone de mer. »

Elégance, souplesse, légèreté, tels un oiseau voltigeant dans le ciel.
La grâce et la fragilité de l'instant.
« Tu sais, quand je pense à tous ces petits corps suspendus entre le ciel et la terre, ça me fait sourire de me dire que parmi eux, il y en a pour qui se mettre à voler, c'est d'abord tomber. »

Fin du spectacle, le rideau se baisse, le cirque se vide, passant de la lumière à l'obscurité, des bruits de fête au calme. Les sourires faux et les attitudes détendues disparaissent.
Le silence domine.
Dans l'intimité, loin des regards du public, les artistes s'entraînent, vie de routine, de maîtrise de soi, de sacrifices et de peur. Les liens entre les artistes doivent être intenses, indéfectibles, leur confiance absolue.
Le risque fait partie de leur vie, leur sécurité et leur vie dépendent les uns des autres.
La tension palpable, permanente monte insidieusement. le lecteur ressent leur fragilité, leurs rancoeurs, le poids des non-dits.

Les sentiments qui m'ont dominé tout au long du roman sont des sentiments de vide, de perte, de malaise, de solitude aussi. Mais il s'en dégage également de la douceur, de la poésie et de l'harmonie.
« Anna remonte sur la barre. Les mouvements s'harmonisent. Au coeur de la piste encerclée de velours rouge, on dirait un diaphragme. Pulsations rythmées par Anna comme un souffle qui cherche à sortir mais retourne aux poumons. »
*
A la fois sombre, opaque, aérienne et délicate, l'écriture de Elisa Shua Dusapin trouve un parfait équilibre entre artifice, légèreté et profondeur des sentiments, réalité et illusion, poésie et drames.
Le lecteur évolue dans un univers étonnant et étrange où l'acrobate risque sa vie.
Le goût du spectacle et du risque, le plaisir du public l'emportent sur la frayeur et le danger.
La tension monte au fil des pages sans comprendre où l'auteure veut nous mener. Je n'avais pas envisagé ce dénouement et c'est une bonne surprise.
*
Ce court récit de moins de 200 pages est une très belle découverte sur les rapports humains et notre incapacité à nous dévoiler totalement.
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Les acrobates, la couturière et le risque

Après la Corée et le Japon, Elisa Shua Dusapin nous entraîne dans l'Extrême-Orient russe pour son troisième roman, dans les pas d'une jeune femme chargée de réaliser les costumes des acrobates qui vont jouer leur vie. Haletant!

Vous avez sans doute vous-mêmes déjà constaté la chose. Lorsque vous arrivez dans un endroit inconnu ou que vous rejoignez une nouvelle affectation, vous vous rendez compte de détails auxquels les autochtones ne prêtent plus attention, vous découvrez des faits qui vous intriguent, alors qu'ils semblent parfaitement acceptés par tout le monde. Depuis son premier roman, Hiver à Sokcho, Elisa Shua Dusapin joue à la perfection ce rôle d'observatrice hypersensible, capable d'une phrase de rendre une atmosphère, de décrire l'originalité d'un lieu. Après la Corée du Sud et le Japon, la voilà qui se rapproche un tout petit peu de l'Europe en situant son troisième roman à Vladivostok.
C'est dans ce grand port de l'Extrême-Orient russe que débarque la narratrice. Elle s'est vue confier une mission de courte durée, réaliser des costumes pour les acrobates du Vladivostok Circus. Ces derniers se préparent au concours international d'Oulan-Oude, qui peut leur assurer une carrière internationale. À son arrivée, seules quelques représentations sont encore programmées avant la trêve hivernale. L'occasion de découvrir la prestation d'Anna, Anton et Nino, très spectaculaire: «Le numéro à la barre russe ouvre le second acte. Je reconnais les porteurs que j'ai vus sur mon téléphone. Anton et Nino. Ils entrent en habit de corsaire. Anna dans une robe déchirée. La captive qui cherche à se libérer. Ils alternent entre figures sur la barre et pas chorégraphiés au sol. L'ensemble est en décalage avec l'orchestre. Je ne comprends pas si la musique accélère ou s'ils sont trop lents. Anna semble devoir précipiter ses sauts pour garder le tempo. J'en suis mal à l'aise.»
Au fil des jours, et alors que le cirque est déserté, cette tension va croître, car plus la couturière va pénétrer dans l'intimité du trio et plus elle va se rendre compte des enjeux de ces répétitions. En fait, c'est leur vie qu'ils jouent. S'ils veulent être les premiers à réaliser quatre triples sauts périlleux sans descendre de la barre, ils veulent surtout assurer la pérennité d'une équipe qui ne tient plus qu'à un fil. Car Nino est âgé et ses problèmes physiques le handicapent, Anton rêve d'ailleurs et Anna est ballotée entre ses deux porteurs.
À travers le regard de la narratrice, mais aussi celui de Léon, le régisseur, le lecteur découvre ce qui se joue vraiment au fil des répétitions et de l'approche de la compétition. Un temps qui s'écoule aussi pour la narratrice, qui doit s'assurer que les costumes seront prêts en temps et en heure.
Elisa Shua Dusapin réussit admirablement à rendre cette atmosphère et le poids des responsabilités qui pèsent sur chacun des protagonistes. À l'image de ces sauts qui réclament une parfaite concentration, une synchronisation attentive des gestes, on se rend compte qu'il suffit d'une faille pour que plus rien ne tienne, pour que tout s'effondre. L'épilogue se jouera du côté d'Oulan-Oude. Il vous surprendra. Gardez toutefois en mémoire cette remarque faite à la narratrice lorsqu'elle est initiée à l'acrobatie. Ce pourrait être l'une des clés de ce récit sensible et fort: «Un bébé apprend plus vite à rester debout qu'un adulte à lâcher prise.»

Lien : https://collectiondelivres.w..
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Observatrice au pair, Elisa Shua Dusapin capte l'atmosphère, l'ambiance et avec peu de mots, nous la retranscrit, nous embarque dans un quotidien presque banal, à Vladivostok, dans un cirque, entre deux saisons, où il ne se passe rien de trépidant, où la vie s'écoule lentement, plus ou moins paisiblement. Elle nous ferait presque entendre le « Froissement de taffetas, [le] crissement de tulle, [la] douceur mousseline ».

Le temps s'égrène au rythme ici des répétitions d'un trio d'athlètes à la barre russe, Anton et Nino, les porteurs, et Anna la voltigeuse. Sous le regard du directeur artistique Léon et de la costumière, Nathalie, fraîchement arrivée sur les lieux et narratrice de cette histoire.
Le regard est posé sur les risques d'un métier physiquement éprouvant, qui requière une précision, une concentration de tous les instants et une confiance absolue en ses partenaires. Un numéro dangereux car l'acrobate est sans filet. Et cette phrase qui fait sens :

« Un bébé apprend plus vite à rester debout qu'un adulte à lâcher prise. »

Il m'a fallu, contrairement à son premier roman "Hiver à Sokcho", qui m'avait saisie dès les premières pages, attendre quelques dizaines de pages avant de réellement me retrouver aux côtés d'Anna, Nino, Anton, Léon, ou encore Nathalie. Et de comprendre l'enjeu des répétitions, de cerner les responsabilités, les difficultés de chacun, leurs troubles, leurs angoisses, de réaliser à quel point le trio d'athlètes jouent leur vie en tentant l'exploit d'être les premiers à réaliser le quadruple saut lors d'une compétition à Oulan-Oude, en Sibérie. Nous sommes les témoins des liens qui se tissent entre chacun des protagonistes, des liens évitant pour certains au début, puis l'affection gagne du terrain, et la confiance indéniablement s'installe. Chacun se doit d'être à l'écoute de l'autre. Ils sont une équipe. Une équipe qui tâtonne, se cherche, qui vise les sommets, la réussite à tout prix, ou presque à tout prix. Et des personnages qui se cherchent eux-mêmes aussi d'ailleurs.

Vladivostok Circus est une parenthèse hors du temps. Elisa Shua Dusapin maîtrise l'écriture, il n'y a pas de doute. Concise, précise, poétique, élégante, gracieuse, singulière, saisissante.... Personnellement, j'en redemande. Il me reste d'ailleurs à découvrir son deuxième roman "Les Billes de Pachinko".
Lien : https://seriallectrice.blogs..
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Vladivostok arrêt ultime ! Nathalie, jeune costumière de théâtre, a décroché un engagement : réaliser les costumes pour un trio d'acrobates Anton, Nino et Anna , légendes de la barre russe .. Léon est leur chorégraphe, accessoiriste et assistant . Nathalie a vécu 2 ans à Vladivostok dans son enfance ,quelques souvenirs émergent de sa mémoire. Mais là elle découvre un monde dont elle ignore tout, celui du Cirque. un monde apparait sous ses yeux: artistes, décors, lumières, musique, ah j'allais oublier:les odeurs.
Vladivostok c'est aussi l'hiver qui arrive à grand pas, le concours international de cirque d'Oulan-Oude qui approche et le travail acharné.
Quelques pages plus tard à nouveau sous le charme de l'écriture d'Elisa Shua Dusapin je reste là songeuse..
Je suis fascinée par le talent de cette jeune romancière, quelques mots et me voilà partie loin loin au fin fond de cette Sibérie mythique et mélancolique.
Un moment en apesanteur!






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Ce texte est une parenthèse : hors du temps pour le lecteur qui va passer quelques heures dans le monde du cirque et découvrir la voltige et la barre russe ; hors du temps également pour Nathalie, jeune costumière, engagée pour mettre au point les tenues de Nino, d'Anton et d'Anna, gymnastes de grand talent, pour le concours international d'Oulan-Oude qu'ils préparent assidûment sous la houlette de Léon, le metteur en scène.
Entre répétitions, repas et balades, chacun va se révéler à l'autre le temps passant dans une certaine mélancolie ambiante, digne de l'âme russe...
Au final, un roman (une jolie parenthèse) à la temporalité vacillante et à la fin inattendue, que je quitte avec un (léger) sentiment d'inachevé...Mais c'est peut-être ce qui fait la grâce de ce livre...
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