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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Nous traversons la vie comme des somnambules portés par l'illusion que la jeunesse et la santé sont sans fin. Et puis vient le temps de la dégringolade. Ce sont d'abord nos proches parents qui sont touchés. Nous assistons impuissants au spectacle de leur dépérissement et de leur disparition. Ca pique un peu les yeux et ça s'appelle la maturité. Benoît Duteurtre livre plusieurs récits intimes sur ces épreuves. Il raconte la maladie de sa mère. Les premiers petits oublis qui passent pour des étourderies qui se concluent par le stade avancé de la maladie d'Alzheimer où le parent à vos côtés est tout à la fois proche et si lointain, familier et inconnu. Cette mère qui ne reconnaît pas son fils avait jusque là toujours fait preuve d'un optimisme infaillible. Alors ce sourire, cette insouciance, cette volonté , n'étaient-ils que des mensonges face à l'inexorabilité de la souffrance et de la mort ? Et que dire du spectacle de ces familles qui fréquentent la même plage d'Etretat depuis plusieurs générations. L'enfant d'hier qui aujourd'hui se baigne avec sa progéniture sera le vieux de demain, enfermé dans les 12m² sordides d'une résidence médicalisée. Si l'avenir n'est que sénilité, maladie souffrance et mort, pourquoi procréons nous avec tant de légèreté ? Ne devrions nous pas être effrayés par la responsabilité de mettre au monde un individu promis à la souffrance ?

Il y a aussi dans ces textes une douce nostalgie d'un monde qui disparaît. Benoît Duteurtre évoque une vallée des Vosges dans laquelle il se rend chaque année depuis son enfance. Il évoque un monde qui a disparu silencieusement. C'est un village plein de personnages charismatiques, le curé, l'aubergiste, qui sont morts et n'ont pas été remplacés. C'est ce monde paysan qui a sombré corps et bien, une civilisation engloutie dans l'indifférence la plus totale. Les fermes sont devenues des résidences secondaires. Les exploitations se sont modernisées pour dégager une marge qui permettra de financer…la prochaine modernisation. C'est une campagne écrasée par les normes et les règles d'hygiène où il n'est même plus possible de chercher son lait chez le voisin. L'auteur a un autre regret. Lors d'une croisière sur le Danube, il constate le déclassement de la langue française. La langue utilisée d'emblée sera systématiquement l'anglais. De plus, le tourisme de masse écrase toute authenticité à la contrée visitée. La culture et le patrimoine sont formatés pour être digérés au plus vite par une foule de touristes désinvoltes.

Pour faire face à cette angoisse de la mort prochaine, pour échapper à cette nostalgie du monde perdu de son enfance, Benoît Duteurtre s'attache à jouir des choses simples de la vie et à conserver une capacité d'émerveillement. L'essentiel est de savoir profiter des beautés de la nature (ici, les Vosges !) et des petits bonheurs de la vie quotidienne.

Ces récits intimes sont entrecoupés par trois fictions qui sont de la même veine que les romans précédents de l'auteur. L'auteur est un expert dans l'art d'égratigner le conformisme et la modernité. Un avocat ouvert et tolérant décide de s'atteler à un ouvrage sur la musique classique. Mais, importuné par un musicien de rue qui joue chaque jour sous sa fenêtre, il va s'emporter et avoir un comportement bien loin de ses principes. Un jeune milliardaire de la Silicon Valley achète une île grecque pour y fonder une colonie idyllique. Mais il craint l'arrivée de migrants et les jeunes de l'île rejettent des règles qui les privent de certaines libertés comme l'accès à internet... Une tribu primitive est miraculeusement découverte au coeur d'une forêt. Les politiques décident de préserver cet état sauvage mais des divergences vont apparaître : la nature, oui, mais que faire d'une tribu qui ne respecte ni l'hygiène alimentaire, ni notre modernité bien-pensante.

« Livres pour adultes » est un recueil de récits intimes et fictionnels. le lecteur passe d'un texte au ton grave à une satire pleine de drôlerie. Son roman précédent « l'ordinateur du paradis » m'avait marqué déjà par sa dérision mordante. J'ai retrouvé dans ce livre la même légèreté de plume. Il sait par son style simple et agréable vous parler de la maladie ou de la mort , vous faire sourire grâce à une histoire cocasse ou vous enchanter en interprétant une symphonie pastorale. A mes yeux, les œuvres de Benoît Duteurtre ont toutes les qualités de l'esprit français : de la finesse, de la pertinence, de la dérision et une plume alerte,

Merci à Babelio et aux éditions Gallimard pour cette belle lecture.
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Merci infiniment à Babelio et Masse critique d'avoir anticipé mes choix de lectures de la rentrée littéraire de Septembre. J'ai retrouvé avec plaisir les lieux de prédilection de Benoît Duteurtre, l'admirateur de Marcel Aymé, «  l'optimiste désenchanté » qui possède le talent de passer notre époque au scalpel et de capturer l'extinction d'un monde de manière subtile.



Benoît Duteurtre Livre pour adultes nrf Gallimard

( 243 pages – 19,50€)

Benoît Duteurtre consacre ce récit à sa mère, et égrène une mosaïque de souvenirs.
L'auteur reprend le chemin de son enfance et dresse un portrait touchant de la figure maternelle. Il évoque avec délicatesse la période de la maladie et témoigne de son admiration devant l'abnégation et le dévouement du personnel soignant. Cette mère, à «  l'optimisme résolu » lui a inculqué ce précepte, «  aux vertus apaisantes » : «  Ne regrette jamais les choses auxquelles tu ne peux plus rien ».

Qui se souvient de la famille Coty ? Question qui taraude Benoît Duteurtre, faisant le triste constat qu ' «  en deux générations, cette famille avait retrouvé l'anonymat ».
Il reste la littérature pour combler cette béance : parler d'eux pour les faire durer.
N'est-ce donc pas à lui de la ressusciter ?
Évoquer ses grand-parents, oncle , c'est aborder la vieillesse avec son lot de souffrances, la déliquescence des corps, les maisons de retraites et thanatos, thème déjà abordé dans L'ordinateur du paradis, mais aussi revivre des moments forts.

Il dresse, avec nostalgie, l'inventaire de tout ce qui a disparu : le moulin, la scierie, une maison de repos, le bar épicerie qu'il a tenté de sauver, les fermes (qui ne répondent plus aux normes à cause des directives draconiennes de Bruxelles, des contraintes d'hygiène en vigueur qui génèrent des suicides), les ponts de pierre.
Il pourfend « l'agriculture industrielle, l'élevage intensif », cause de « pandémies ».
Et il dépeint une galerie de portraits des villageois, des sagards, honore la mémoire de certains, égrenant un émouvant chapelet de nécrologies.


Dans le chapitre III, on retrouve L'auteur de Polémiques, «  mamanphobe, bébéphobe, familophe, poussettophobe » ! C'est le même ton satirique qu 'il adopte. Installé sur une plage d' Etretat, son fief estival, l'auteur des Pieds dans l'eau croque, tel un dessin de Sempé, ses contemporains d'un ton satirique.
Il devise même sur leurs destinées. Il ne cache pas ses opinions sur ces parents désireux de «  fonder une famille », de quoi s'attirer leurs foudres. Son esprit malicieux suggère même un «  examen » préalable afin qu'ils pèsent bien la charge qui leur incombera. Il se plaît à rappeler que donner la vie, c'est aussi donner la mort.


Il n'est donc pas surprenant que ses amis «  constituent sa véritable famille », suivant l'exemple de sa mère qui «  affirmait cette primauté des amis sur la famille ».
L'auteur confie son attachement irrémédiable à Victor, cet ami comédien surnommé «  le chat », car il aime « ronronner » devant « le feu qui crépite ».
Il confesse éprouver à son égard un « besoin vital ». Ensemble jusqu'à l'au - delà.

Les mélomanes retrouveront tout au long du roman l'animateur de France Musique,
Benoît, qui a «  cette obsession des destins perdus » et nous étonne à débusquer des artistes oubliés. Les airs se déroulent : Stravinsky, Mozart, Schubert, André Roussel.
Benoît Duteurtre n'est pas un sédentaire même si les Vosges sont son refuge et la côte normande sa destination immuable d'août. Étretat, «  bonheur d'été » à contempler le soleil qui «  commence à dorer la falaise » ou les vagues « qui déroulent leurs torsades, dans un bouillonnement d'écume où passent les goélands argentés. »

C'est en tant que conférencier qu'il nous embarque à bord de l'Amadeus, pour une croisière musicale sur «  le beau Danube bleu » qu'il voit plutôt vert. Benoît Duteurtre,qui excelle dans la satire de la modernité, compare dans ce chapitre les croisières de luxe du temps du Normandie à celles à bas prix où « le service fait défaut ». Pour le critique musical de renom, Vienne évoque le Concert du Nouvel An, qu'il présente en direct à la télévision.Mais pour les «  tour-operators », c'est un autre orchestre, « spécialisé pour les groupes » qui a exaspéré Victor au point de partir à l'entracte. «  le style d'interprétation » ressemblait trop aux «  danses du balai » « dans les mariages ». Il souligne avec ironie la frénésie de ceux qui ne regardent qu'à travers le prisme de leurs iPhones les fresques du plafond!

Avec autodérision, il relate sa galère pour trouver des chaussures en Slovaquie.
Et de constater la suprématie de l'anglais, lui, dont les parents avaient «  eu la fâcheuse idée de lui faire étudier l'allemand », aussi bien à Bratislava qu'à Prague
Il pointe le fossé des classes ( rentier germain/ seniors) selon le luxe du bateau.
Il voit avec amertume la fin des croisières autour de la musique classique faute d'une clientèle aisée et mélomane.Il décline ce qui l'insupporte dans ces voyages : «  rester groupés », préférant arpenter les ruelles à son gré.

Benoît Duteurte nous déboussole en relatant la découverte inouïe d'une tribu, ce qui enflamma les réseaux. La deuxième expédition constituée de l'équipe de scientifiques,de la journaliste et du stagiaire( dont le professeur conférencier occulte le nom, bien que le premier à avoir établi le contact) nous conduit dans un territoire hostile ( ronces, cascade à traverser avant d'arriver à la caverne). Dès la parution du premier volet du feuilleton, les médias s'emballent, les réactions fusent sur la toile,des idées se concrétisent par une charte pour protéger cette civilisation, une sénatrice écologiste, féministe , «  militante du droit des minorités » outrée, choquée, démissionne du «  comité d'éthique ».Le narrateur a réussi son coup, le lecteur tenu en haleine, devant ce déchaînement, guette l 'épisode suivant, mais il est privilégié, il n'a pas à attendre une semaine ! Si l'escale viennoise s' achève en apothéose avec le concert, le feuilleton La tribu atteint un climax à couper le souffle ! A travers l' épilogue surprenant et incroyable, amené comme la chute dans une nouvelle, l'auteur souligne les travers de notre société corsetée par les interdictions et pointe comment une information relayée à grande échelle peut berner une large audience.

Le retentissant succès de la journaliste Daisy Bruno pour le reportage ci-dessus lui facilite l'accès à l'île grecque de Michael Works. Que penser de ce milliardaire qui a imposé la vidéosurveillance, l'absence de voitures ? Est-il un prophète, un gourou ?
Ne dévoilons rien de son projet pilote ambitieux pour mieux savourer cette truculente sotie.

Benoît Duteurtre, parisien depuis 1988 passe en revue toutes les transformations de
son quartier, s'adaptant «  aux normes du pittoresque organisé ». Il ironise sur le Paris plage et « la pollution renforcée ».

Même si le narrateur a dû dire adieu au rituel de la fenaison, au royaume enchanté du grenier à foin, au pot de lait tiède, il a conservé des plaisirs enfantins : «  mettre les pieds dans l'eau », s'allonger «  parmi les fougères odorantes » ou «  plus rustres » : couper son bois , ramasser du petit bois pour cette maison, « surplombée par la cime dentelée des sapins », que les lecteurs de Chemins de fer reconnaîtront.


Si le temps est assassin, la mémoire est la seule revanche, pour faire durer. L'auteur rend hommage à tous ces disparus qu'il a connus, dédie son roman à David Rochline.
Benoît Duteurtre livre un roman plus intimiste, à la veine autobiographique, plein de larmes rentrées, hanté par la mort, la fuite du temps, notre finitude, où se côtoient un cortège d'émotions, d'anecdotes et fables. le ton grave du début laisse place à une plume roborative, poétique : « grelots de la rivière » et pétrie d'humour.

Le roman se clôt par une liste des « enchantements » de l' écrivain, un hymne poétique et nostalgique aux Vosges, à cette chère vallée, son « paradis » où il vient se ressourcer et écrire. Savoir s'émerveiller devant les beautés de la nature, la splendeur des paysages, n'est-ce pas un viatique de jouvence ?
Sachons gré à Benoît Duteurtre qui, lui, ne «  garde pas ses souvenirs » mais les partage et nous réjouit d'étincelles de bonheur. On prendrait volontiers un verre de gentiane en compagnie de l'auteur pour prolonger la conversation.
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