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Nous traversons la vie comme des somnambules portés par l'illusion que la jeunesse et la santé sont sans fin. Et puis vient le temps de la dégringolade. Ce sont d'abord nos proches parents qui sont touchés. Nous assistons impuissants au spectacle de leur dépérissement et de leur disparition. Ca pique un peu les yeux et ça s'appelle la maturité. Benoît Duteurtre livre plusieurs récits intimes sur ces épreuves. Il raconte la maladie de sa mère. Les premiers petits oublis qui passent pour des étourderies qui se concluent par le stade avancé de la maladie d'Alzheimer où le parent à vos côtés est tout à la fois proche et si lointain, familier et inconnu. Cette mère qui ne reconnaît pas son fils avait jusque là toujours fait preuve d'un optimisme infaillible. Alors ce sourire, cette insouciance, cette volonté , n'étaient-ils que des mensonges face à l'inexorabilité de la souffrance et de la mort ? Et que dire du spectacle de ces familles qui fréquentent la même plage d'Etretat depuis plusieurs générations. L'enfant d'hier qui aujourd'hui se baigne avec sa progéniture sera le vieux de demain, enfermé dans les 12m² sordides d'une résidence médicalisée. Si l'avenir n'est que sénilité, maladie souffrance et mort, pourquoi procréons nous avec tant de légèreté ? Ne devrions nous pas être effrayés par la responsabilité de mettre au monde un individu promis à la souffrance ?

Il y a aussi dans ces textes une douce nostalgie d'un monde qui disparaît. Benoît Duteurtre évoque une vallée des Vosges dans laquelle il se rend chaque année depuis son enfance. Il évoque un monde qui a disparu silencieusement. C'est un village plein de personnages charismatiques, le curé, l'aubergiste, qui sont morts et n'ont pas été remplacés. C'est ce monde paysan qui a sombré corps et bien, une civilisation engloutie dans l'indifférence la plus totale. Les fermes sont devenues des résidences secondaires. Les exploitations se sont modernisées pour dégager une marge qui permettra de financer…la prochaine modernisation. C'est une campagne écrasée par les normes et les règles d'hygiène où il n'est même plus possible de chercher son lait chez le voisin. L'auteur a un autre regret. Lors d'une croisière sur le Danube, il constate le déclassement de la langue française. La langue utilisée d'emblée sera systématiquement l'anglais. De plus, le tourisme de masse écrase toute authenticité à la contrée visitée. La culture et le patrimoine sont formatés pour être digérés au plus vite par une foule de touristes désinvoltes.

Pour faire face à cette angoisse de la mort prochaine, pour échapper à cette nostalgie du monde perdu de son enfance, Benoît Duteurtre s'attache à jouir des choses simples de la vie et à conserver une capacité d'émerveillement. L'essentiel est de savoir profiter des beautés de la nature (ici, les Vosges !) et des petits bonheurs de la vie quotidienne.

Ces récits intimes sont entrecoupés par trois fictions qui sont de la même veine que les romans précédents de l'auteur. L'auteur est un expert dans l'art d'égratigner le conformisme et la modernité. Un avocat ouvert et tolérant décide de s'atteler à un ouvrage sur la musique classique. Mais, importuné par un musicien de rue qui joue chaque jour sous sa fenêtre, il va s'emporter et avoir un comportement bien loin de ses principes. Un jeune milliardaire de la Silicon Valley achète une île grecque pour y fonder une colonie idyllique. Mais il craint l'arrivée de migrants et les jeunes de l'île rejettent des règles qui les privent de certaines libertés comme l'accès à internet... Une tribu primitive est miraculeusement découverte au coeur d'une forêt. Les politiques décident de préserver cet état sauvage mais des divergences vont apparaître : la nature, oui, mais que faire d'une tribu qui ne respecte ni l'hygiène alimentaire, ni notre modernité bien-pensante.

« Livres pour adultes » est un recueil de récits intimes et fictionnels. le lecteur passe d'un texte au ton grave à une satire pleine de drôlerie. Son roman précédent « l'ordinateur du paradis » m'avait marqué déjà par sa dérision mordante. J'ai retrouvé dans ce livre la même légèreté de plume. Il sait par son style simple et agréable vous parler de la maladie ou de la mort , vous faire sourire grâce à une histoire cocasse ou vous enchanter en interprétant une symphonie pastorale. A mes yeux, les œuvres de Benoît Duteurtre ont toutes les qualités de l'esprit français : de la finesse, de la pertinence, de la dérision et une plume alerte,

Merci à Babelio et aux éditions Gallimard pour cette belle lecture.
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Quel mélimélo que ce livre là...
En cours de lecture, je suis revenue aux premières pages pour constater qu'il est bien étiqueté roman, quand il s'apparente pour moi à un recueil de nouvelles ou de 'je ne sais pas quoi" !
Un peu compliqué d'en trouver le fil rouge...
Heureusement, l'élégance narrative de Benoît Duteurtre est bien présente dans cette façon de mettre en scène des petites histoires de rencontres, de ressentis et de réflexions sur le monde qui l'entoure.

Il nous propose son propre constat, à la fois triste et clairvoyant, de la condition humaine, depuis la naissance jusqu'à l'inéluctable finalité. C'est un peu perturbant de suivre sa condamnation argumentée sur la nécessité de procréer, et son interrogation sur une existence, si belle soit-elle, qui inflige une punition si radicale. La nostalgie se glisse aussi dans le regret de sociétés qui se transforment, des êtres qui disparaissent, des habitudes qui évoluent.

L'ensemble est donc un peu fourre-tout mais chaque thématique est un plaisir de lecture, porté par un ton gentiment ironique et décalé. J'ai particulièrement apprécié son expérience de croisiériste de masse, confronté à l'universalité de la langue anglaise .

Passéiste, notre auteur? Réfractaire aux mutations? Sans doute car il semble ne pas s'en cacher. Accroché à ses souvenirs et aux petits bonheurs, il vitupère élégamment, agacé ou amusé. Et n'en reste pas moins un amoureux de la vie.
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Livre pour adultes : ce titre bien mystérieux cache-t-il quelque propos licencieux ? Non, pas du tout ! le sujet est tout autre et le voici : avant… disons approximativement… cinquante ans (je ne veux vexer personne !), on vit plutôt tourné vers l'avenir, on a du temps devant soi (ou on croit en avoir), des projets en nombre, des illusions, beaucoup d'illusions même, on se croirait presque immortel… Ah, vanitas vanitatum !
Et puis, un matin, au lever du lit, quelques douleurs physiques surgissent ici et là qui nous rappellent discrètement que notre corps vieillit. Parents et membres de la famille un peu âgés disparaissent peu à peu, nous laissant vraiment … j'allais dire « adulte ». Est-on d'ailleurs vraiment adulte tant que l'on a ses parents vivants ? Je ne sais pas, je me pose parfois la question.
Tandis que l'on prend de l'âge, le monde autour de nous change au point que l'on se sent parfois légèrement « à côté » et on a vite fait de se sentir « à côté » dans ce monde du numérique, des nouvelles technologies, de la consommation à gogo, de l'invasion des marques, des loisirs-parcs-d'attractions, du tourisme de masse, de l'uniformisation des villes et j'en passe… On sent confusément, au fond de soi, que l'on ne partage pas tout à fait les « valeurs » - si tant est que l'on puisse parler de « valeurs »- du monde qui est le nôtre.
Pour moi, l'expérience fut concrète et en trois points : j'ai commencé par ne plus comprendre les publicités, quel était l'objet vanté et en quoi consistait son usage. Ensuite, dans le cadre du travail, ce sont les sigles que j'ai eu du mal à décrypter jusqu'à ce que je me constitue une espèce de petit lexique auquel que je me reporte quand besoin est. D'ailleurs, je ne l'ouvre plus, considérant que, soit le propos est clair et je le comprends, soit il ne l'est pas et il n'avait qu'à l'être. Enfin, j'ai commencé à recevoir les invitations du Conseil Général de ma région pour aller faire tel et tel examen de santé.
Visiblement, j'étais (je suis) sur la mauvaise pente….
Pour en revenir au livre - mais je ne m'en suis guère écartée -, Benoît Duteurtre dit que c'est une bonne chose que de moins aimer son époque car on ne s'en détachera que plus facilement au moment de la mort. Pourquoi pas ? Il est bon, à défaut d'être croyant, d'être philosophe.
Vieillir, puisque c'est de cela qu'il s'agit, c'est prendre de la distance par rapport au monde, s'amuser de loin de la comédie humaine et par là même, acquérir une certaine sagesse, refuser le rythme effréné de l'existence, accepter que les autres ne soient pas tels qu'on les idéalisait, ne plus chercher à paraître ce que l'on n'est pas, être capable de contempler un paysage ou d'apprécier un bon mets.
Finalement, dommage que la vieillesse ou l'âge mûr ne dure pas plus longtemps car c'est sans doute le moment le plus agréable et le plus reposant de la vie.
Duteurtre a à peu près mon âge (même s'il est un peu plus âgé, je le précise quand même, on a son orgueil !) et donc, son propos m'a « parlé » comme on dit : la disparition ou la maladie des proches, la perte des illusions, l'incapacité à comprendre le fonctionnement souvent absurde et complètement dépourvu de bon sens du monde moderne. (J'aurais une sacrée liste d'exemples à fournir mais je vous en fais grâce !)
Enfant, Duteurtre n'a cessé d'aller pour les vacances dans les Vosges et il évoque de façon très sensible ce monde rural qui disparaît, ces paysans qu'il aimait et qui ne sont plus (extraordinaires propos d'un inspecteur de l'hygiène criant aux oreilles de Josette Antoine, une vieille agricultrice : « Je vous laisse continuer, mais n'oubliez pas que c'est une tolérance. Après, ce sera fini !», nostalgie de voir ces fermes s'effacer du paysage et être remplacées par des élevages intensifs aux NORMES (ah que notre époque aime les normes !) ou par des résidences secondaires très design : « Quand nous avions dix ou douze ans, mon cousin Jean-René, inséparable compagnon des vacances vosgiennes, lisait « le Dernier des Mohicans ». Ce titre me fascinait par son évocation de la fin d'un peuple, processus lent et complexe qui, pourtant, prend chair au moment où disparaît son ultime représentant. Toute notre vie est ainsi jalonnée par les extinctions d'êtres, d'objets, d'habitudes, comme autant de petits mondes qui s'éteignent pour toujours. »
Livre pour adultes évoque le passage, le tournant de la vie, la prise de conscience soudaine qu'il reste moins que plus, quoi qu'on fasse : « J'ai repoussé continuellement l'arrivée du moment où tout bascule, j'ai construit des échafaudages, des armatures, des murailles pour y résister. Évidemment, je suis dans l'erreur, comme ma mère. Car j'ai compris, au fil du temps, que la souffrance et la mort l'emportent toujours in fine. L'adulte sait qu'il court à sa perte et que le monde court à sa perte, lui aussi. Il peut s'enfermer dans le ressassement de la catastrophe à venir, ou tâcher de saisir une lueur d'espoir. Il sait néanmoins que tout cela finira mal. »
Une oeuvre intimiste qui mêle des genres différents : souvenirs personnels, réflexions et petites fictions satiriques qui disent ce qu'est notre monde devenu. Un texte, comme vous l'avez senti, emprunt de nostalgie et de mélancolie face à la disparition de ceux qui nous sont chers, à l'effacement de ce que nous aimions et au vieillissement qui est le nôtre.
Reste que les adultes sont peut-être les seuls capables d'apprécier le simple plaisir d'être avec la personne aimée, de déguster un bon verre de vin en contemplant un ciel étoilé ou de lire tranquillement près d'un feu de cheminée.
Autant ne pas s'en priver…

Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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Benoit Duteurtre, je le connaissais amoureux des galets d'Etretat et des bains toniques dans la Manche, évoqués dans "les pieds dans l'eau" ; je le découvre ici tout aussi attaché aux montagnes des ballons vosgiens avec leurs vallons brumeux ou enneigés et leurs forêts profondes.
"Livre pour adultes" n'est pas vraiment un roman racontant une histoire mais s'apparente plutôt à une suite de nouvelles, certaines totalement imaginaires et d'autres proches de confessions ou témoignages qui permettent à l'auteur de s'exprimer sur des sujets généraux ou qui font controverse comme la procréation, l'acharnement thérapeutique, la globalisation, l'abus de réglementations qui entravent nos libertés, la pensée unique...
Le chapitre sur l'ambiguïté du respect des coutumes d'autrui s'exprime dans un des passages les plus comiques, sous forme d'une parabole sur le bon sauvage.
Beaucoup de souvenirs d'un passé révolu ou presque, dans le monde paysan des Hautes Vosges, région chère au coeur de l'auteur. Certaines scènes me rappellent ma propre enfance et je les ai trouvées touchantes, faisant écho à mes propres souvenirs, comme l'anecdote relative au curé de campagne pas très catholique.
Il nous parle d'un temps que les moins de cinquante voire soixante ans ne peuvent pas connaître et c'est en cela que le titre "livre pour adultes" prend son sens. Les derniers chapitres sont un vibrant lamento plein de nostalgie mais que je trouve un peu trop excessif et larmoyant.
On peut reprocher l'absence d'une idée maîtresse qui aurait donné une cohérence à ce texte présenté comme roman mais plutôt inclassable.
Merci à Gallimard et Babelio pour cette lecture qui m'a révélé d'autres facettes de la personnalité d'un auteur que je suis toujours avec plaisir.
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Dans le genre nostalgie et souvenirs désenchantés, c'est pas mal.
Mais juste avant, je venais de terminer "Les Champs d'honneur" dont le thème est assez proche mais écrit avec un talent et une délicatesse incomparables.
Bref, Rouaud fait de la dentelle d'Alençon et Duteurtre du patchwork.
Mais on peut apprécier les deux.
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Merci infiniment à Babelio et Masse critique d'avoir anticipé mes choix de lectures de la rentrée littéraire de Septembre. J'ai retrouvé avec plaisir les lieux de prédilection de Benoît Duteurtre, l'admirateur de Marcel Aymé, «  l'optimiste désenchanté » qui possède le talent de passer notre époque au scalpel et de capturer l'extinction d'un monde de manière subtile.



Benoît Duteurtre Livre pour adultes nrf Gallimard

( 243 pages – 19,50€)

Benoît Duteurtre consacre ce récit à sa mère, et égrène une mosaïque de souvenirs.
L'auteur reprend le chemin de son enfance et dresse un portrait touchant de la figure maternelle. Il évoque avec délicatesse la période de la maladie et témoigne de son admiration devant l'abnégation et le dévouement du personnel soignant. Cette mère, à «  l'optimisme résolu » lui a inculqué ce précepte, «  aux vertus apaisantes » : «  Ne regrette jamais les choses auxquelles tu ne peux plus rien ».

Qui se souvient de la famille Coty ? Question qui taraude Benoît Duteurtre, faisant le triste constat qu ' «  en deux générations, cette famille avait retrouvé l'anonymat ».
Il reste la littérature pour combler cette béance : parler d'eux pour les faire durer.
N'est-ce donc pas à lui de la ressusciter ?
Évoquer ses grand-parents, oncle , c'est aborder la vieillesse avec son lot de souffrances, la déliquescence des corps, les maisons de retraites et thanatos, thème déjà abordé dans L'ordinateur du paradis, mais aussi revivre des moments forts.

Il dresse, avec nostalgie, l'inventaire de tout ce qui a disparu : le moulin, la scierie, une maison de repos, le bar épicerie qu'il a tenté de sauver, les fermes (qui ne répondent plus aux normes à cause des directives draconiennes de Bruxelles, des contraintes d'hygiène en vigueur qui génèrent des suicides), les ponts de pierre.
Il pourfend « l'agriculture industrielle, l'élevage intensif », cause de « pandémies ».
Et il dépeint une galerie de portraits des villageois, des sagards, honore la mémoire de certains, égrenant un émouvant chapelet de nécrologies.


Dans le chapitre III, on retrouve L'auteur de Polémiques, «  mamanphobe, bébéphobe, familophe, poussettophobe » ! C'est le même ton satirique qu 'il adopte. Installé sur une plage d' Etretat, son fief estival, l'auteur des Pieds dans l'eau croque, tel un dessin de Sempé, ses contemporains d'un ton satirique.
Il devise même sur leurs destinées. Il ne cache pas ses opinions sur ces parents désireux de «  fonder une famille », de quoi s'attirer leurs foudres. Son esprit malicieux suggère même un «  examen » préalable afin qu'ils pèsent bien la charge qui leur incombera. Il se plaît à rappeler que donner la vie, c'est aussi donner la mort.


Il n'est donc pas surprenant que ses amis «  constituent sa véritable famille », suivant l'exemple de sa mère qui «  affirmait cette primauté des amis sur la famille ».
L'auteur confie son attachement irrémédiable à Victor, cet ami comédien surnommé «  le chat », car il aime « ronronner » devant « le feu qui crépite ».
Il confesse éprouver à son égard un « besoin vital ». Ensemble jusqu'à l'au - delà.

Les mélomanes retrouveront tout au long du roman l'animateur de France Musique,
Benoît, qui a «  cette obsession des destins perdus » et nous étonne à débusquer des artistes oubliés. Les airs se déroulent : Stravinsky, Mozart, Schubert, André Roussel.
Benoît Duteurtre n'est pas un sédentaire même si les Vosges sont son refuge et la côte normande sa destination immuable d'août. Étretat, «  bonheur d'été » à contempler le soleil qui «  commence à dorer la falaise » ou les vagues « qui déroulent leurs torsades, dans un bouillonnement d'écume où passent les goélands argentés. »

C'est en tant que conférencier qu'il nous embarque à bord de l'Amadeus, pour une croisière musicale sur «  le beau Danube bleu » qu'il voit plutôt vert. Benoît Duteurtre,qui excelle dans la satire de la modernité, compare dans ce chapitre les croisières de luxe du temps du Normandie à celles à bas prix où « le service fait défaut ». Pour le critique musical de renom, Vienne évoque le Concert du Nouvel An, qu'il présente en direct à la télévision.Mais pour les «  tour-operators », c'est un autre orchestre, « spécialisé pour les groupes » qui a exaspéré Victor au point de partir à l'entracte. «  le style d'interprétation » ressemblait trop aux «  danses du balai » « dans les mariages ». Il souligne avec ironie la frénésie de ceux qui ne regardent qu'à travers le prisme de leurs iPhones les fresques du plafond!

Avec autodérision, il relate sa galère pour trouver des chaussures en Slovaquie.
Et de constater la suprématie de l'anglais, lui, dont les parents avaient «  eu la fâcheuse idée de lui faire étudier l'allemand », aussi bien à Bratislava qu'à Prague
Il pointe le fossé des classes ( rentier germain/ seniors) selon le luxe du bateau.
Il voit avec amertume la fin des croisières autour de la musique classique faute d'une clientèle aisée et mélomane.Il décline ce qui l'insupporte dans ces voyages : «  rester groupés », préférant arpenter les ruelles à son gré.

Benoît Duteurte nous déboussole en relatant la découverte inouïe d'une tribu, ce qui enflamma les réseaux. La deuxième expédition constituée de l'équipe de scientifiques,de la journaliste et du stagiaire( dont le professeur conférencier occulte le nom, bien que le premier à avoir établi le contact) nous conduit dans un territoire hostile ( ronces, cascade à traverser avant d'arriver à la caverne). Dès la parution du premier volet du feuilleton, les médias s'emballent, les réactions fusent sur la toile,des idées se concrétisent par une charte pour protéger cette civilisation, une sénatrice écologiste, féministe , «  militante du droit des minorités » outrée, choquée, démissionne du «  comité d'éthique ».Le narrateur a réussi son coup, le lecteur tenu en haleine, devant ce déchaînement, guette l 'épisode suivant, mais il est privilégié, il n'a pas à attendre une semaine ! Si l'escale viennoise s' achève en apothéose avec le concert, le feuilleton La tribu atteint un climax à couper le souffle ! A travers l' épilogue surprenant et incroyable, amené comme la chute dans une nouvelle, l'auteur souligne les travers de notre société corsetée par les interdictions et pointe comment une information relayée à grande échelle peut berner une large audience.

Le retentissant succès de la journaliste Daisy Bruno pour le reportage ci-dessus lui facilite l'accès à l'île grecque de Michael Works. Que penser de ce milliardaire qui a imposé la vidéosurveillance, l'absence de voitures ? Est-il un prophète, un gourou ?
Ne dévoilons rien de son projet pilote ambitieux pour mieux savourer cette truculente sotie.

Benoît Duteurtre, parisien depuis 1988 passe en revue toutes les transformations de
son quartier, s'adaptant «  aux normes du pittoresque organisé ». Il ironise sur le Paris plage et « la pollution renforcée ».

Même si le narrateur a dû dire adieu au rituel de la fenaison, au royaume enchanté du grenier à foin, au pot de lait tiède, il a conservé des plaisirs enfantins : «  mettre les pieds dans l'eau », s'allonger «  parmi les fougères odorantes » ou «  plus rustres » : couper son bois , ramasser du petit bois pour cette maison, « surplombée par la cime dentelée des sapins », que les lecteurs de Chemins de fer reconnaîtront.


Si le temps est assassin, la mémoire est la seule revanche, pour faire durer. L'auteur rend hommage à tous ces disparus qu'il a connus, dédie son roman à David Rochline.
Benoît Duteurtre livre un roman plus intimiste, à la veine autobiographique, plein de larmes rentrées, hanté par la mort, la fuite du temps, notre finitude, où se côtoient un cortège d'émotions, d'anecdotes et fables. le ton grave du début laisse place à une plume roborative, poétique : « grelots de la rivière » et pétrie d'humour.

Le roman se clôt par une liste des « enchantements » de l' écrivain, un hymne poétique et nostalgique aux Vosges, à cette chère vallée, son « paradis » où il vient se ressourcer et écrire. Savoir s'émerveiller devant les beautés de la nature, la splendeur des paysages, n'est-ce pas un viatique de jouvence ?
Sachons gré à Benoît Duteurtre qui, lui, ne «  garde pas ses souvenirs » mais les partage et nous réjouit d'étincelles de bonheur. On prendrait volontiers un verre de gentiane en compagnie de l'auteur pour prolonger la conversation.
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Le dernier Duteurtre est un mélange de souvenirs, d'essai, de fiction, teinté de nostalgie et de désenchantement. On y retrouve les thèmes de prédilection de l'auteur de "L'été 76" et des "Pieds dans l'eau" (la famille, la musique, les lieux de villégiature, la critique du monde moderne...). C'est surtout l'oeuvre d'un auteur qui est à un stade de sa vie où il observe et analyse la vieillesse, la déchéance et la mort, avec une grande lucidité d'adulte (d'où le titre du livre). Tant il est vrai qu'il n'y a qu'un sujet sur lequel s'attarder: le temps qui passe... Livre sombre et crépusculaire ? Pas seulement. Il y a également des moments drôles, comme cette histoire du "fou de musique" ou celle de la découverte d'une pseudo tribu primitive. Dans sa liste des plaisirs qu'il déroule dans un chapitre, Duteurtre met au plus haut la nostalgie qu'il juge "un fruit délicieux". On le suit volontiers sur ce terrain-là.
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Adultes, nous prenons la mesure du temps passé, enfui à jamais et enfoui en nous, en sursis. Adultes, nous percevons l'écoulement vers la chute contre lequel nous ne pouvons rien. Enfance et adolescence s'estompent, en accord avec le monde d'alors, un monde qui s'est écroulé et renaît de ses cendres, un autre monde, une autre façon de vivre, une campagne qui se modernise sous le poids écrasant du béton, des fermes qui se transforment en laboratoires, même le temps semble courir plus vite grâce aux réseaux de communication, la rumeur se déploie promptement, la langue se détériore elle aussi, galvaudée, le tourisme de masse altère et abîme, les normes envahissent notre espace vital, oppressantes...
La mère du narrateur s'est éteinte. Elle, qui était la joie de vivre incarnée, s'est consumée doucement perdant peu à peu sa mémoire, ses repères, son enthousiasme. Ses souvenirs et son optimisme lui furent ôtés, avec violence par la maladie d'Alzheimer. La perte d'une mère, la perte d'un monde.
Réminescences personnelles et histoires inventées se chevauchent au fil de ce livre « pour adultes ».
Réflexions et observations sur la vie, la vieillesse et la mort. Un souffle de nostalgie mêlé d'humour et de satire. Les vibrations de la musique, de la poésie et de la nature. Une pointe de polémique, une dose d'ironie et ici et là des absurdités qui jalonnent les existences. Une galerie de personnages tour à tour touchants, drôles, admirables, désenchantés. de la tendresse, de l'autodérision, de la mélancolie.
Un roman où les genres se mélangent, les histoires résonnent entre elles et la vie des gens se fait volontiers miroir. Un roman à l'image de la vie, sinueux, ombreux, lumineux, heureux, facétieux, tumultueux.
Lien : https://lesmotsdelafin.wordp..
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Benoit Duteurtre dont j'avais bien aimé le dernier livre assez fantaisiste « L'ordinateur du paradis » nous livre ici un texte beaucoup plus intime. Il ne faut pas se fier à son titre qui pourrait évoquer un livre un peu coquin...

En deuil de sa mère, il égrène ses souvenirs d'enfance dans ce livre qui tient à la fois de l'autobiographie quand il évoque sa mère, petite fille du président Coty, femme à l'optimisme forcené, son meilleur ami et beaucoup de ses chers disparus mais qui contient aussi de belles réflexions sur la vieillesse, la déchéance, l'amitié, la mort, l'évolution du monde rural… Autobiographie et réflexions auxquelles sont mêlées des fictions sous la forme de nouvelles qui reprennent souvent les thèmes abordés sous l'angle de la réflexion. Une construction intéressante et originale.

Pour moi, les plus beaux passages concernent son village d'enfance dans les Vosges, il nous livre des chapitres empreints de nostalgie où il évoque l'évolution du monde, le déclin voire l'extinction du monde rural. Il fustige les pouvoirs publics qui se désintéressent de l'agriculture et les hygiénistes avec leurs normes.

Il interroge la normalisation, l'hygiènisme obsessionnel qui conduit à considérer tout produit naturel comme potentiellement dangereux, les normes européennes, le fameux principe de précaution...

Le ton est tour à tour tendre, par exemple quand il parle des personnes vieillissantes, nostalgique et même parfois assez sombre au sujet de la disparition du monde rural et de la normalisation de notre société. Mais il peut aussi être drôle comme lorsqu'il raconte la découverte d'une tribu primitive. Il inscrit joliment la nostalgie dans la liste de ses plaisirs en la qualifiant de « fruit délicieux ».

Selon lui, ce roman est un livre pour adultes car l'adulte est à un âge où il commence à s'intéresser autant à ce qui est derrière lui qu'à ce qui est devant. Jolie définition... "Quand nous arrivons à la moitié de notre existence, le balancier s'inverse et la vie antérieure prend plus d'intérêt que le monde à venir."

J'ai trouvé Benoit Duteurtre habile dans ses va-et-vient entre monde de consommation moderne à la communication tout azimut et monde plus authentique et j'ai passé un agréable moment de lecture avec ce roman qui aborde beaucoup de thèmes essentiels.


Lien : http://leslivresdejoelle.blo..
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J'aime beau­coup l'écriture de Benoît Duteutre, et ce livre est encore une fois parfai­te­ment écrit. Ces nouvelles ont été rédi­gées au moment où sa mère mourait dans une maison adap­tée à la grande vieillesse dépen­dante d'autrui pour survivre. Et toutes ces nouvelles sont marquées par cette tris­tesse et même si c'est bien vu, c'est trop triste pour moi (et pour mon public qui a surtout besoin d'optimisme pour vaincre le poids des soucis de santé). Dans un des textes, il met en scène les retrou­vailles des familles sur la plage d'Étretat (cela pour­rait être Dinard) qui s'émerveillent devant le dernier né de la famille et toutes les petites têtes blondes qui jouent sur la plage. Face à ce que peuvent deve­nir chaque humain au choix (selon lui) : délin­quant, abruti, cancé­reux, sectaire ou drogué, il a du mal à être au diapa­son de cette joie qu'il trouve factice. Consta­tant de plus que l'homme est, quelque soit son destin, le plus grand préda­teur de la planète, il se réjouit que lui et son compa­gnon n'aient pas d'enfants.

Dans une autre nouvelle, son person­nage prin­ci­pal s'agace du musi­cien de rue qui joue toujours le même morceau. Son agace­ment tour­nera à l'obsession, et il perdra son goût pour l'écriture, son loge­ment et son amie qui tombera amou­reuse du musi­cien en ques­tion. Toutes les nouvelles ont cette couleur là, et, ce n'est évidem­ment pas la descrip­tion de la vie de la maison dans laquelle sa mère va mourir qui peut nous réjouir. Il passe aussi ses vacances dans les Vosges, la descrip­tion de la fin du monde rural est d'une tris­tesse infi­nie. Bref si vous avez un moral d'acier et que vous voulez une petite note de tris­tesse ce livres est pour vous, sinon fuyez, vous allez deve­nir neuras­thé­nique !
Lien : http://luocine.fr/?p=8447
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