Citations sur Ravel (56)
Technique n°2 : tout en se retournant dans son lit pendant des heures, chercher la meilleure position, l'adaptation idéale de l'organisme nommé Ravel au meuble nommé lit de Ravel, la respiration la plus régulière, la pose parfaite de la tête sur l'oreiller, l'état qui fait se fondre puis se confondre le corps avec sa couche, cette fusion pouvant ouvrir une des portes du sommeil.
Une fois qu'ils ont échangé un petit regard et un signe de tête, ils attaquent le premier mouvement de la sonate que Ravel a terminée cette année, dédiée à Hélène et créée lui-même avec Enesco au violon, toujours salle Erard, au mois de mai. C'est peu dire que Ravel est gêné, presque un peu contrarié. D'ordinaire, au concert, il sort fumer une cigarette quand c'est au tour d'une de ses oeuvres d'être exécutée. Il n'aime pas être là quand on le joue. Mais pas moyen de se défiler, c'est de bon coeur qu'on a voulu lui faire une petite surprise, il s'efforce de sourire en maugréant intérieurement. D'autant plus que sa nouvelle sonate ils ne l'exécutent pas, juge-t-il, très bien.
Ce ne sont pas vraiment des mains de pianiste et d’ailleurs il ne possède pas une grande technique, on voit bien qu’il n’est pas exercé, il joue raidement en accrochant tout le temps.
[...] chose qui s’auto-détruit, une partition sans musique, une fabrique orchestrale sans objet, un suicide dont l’arme est le seul élargissement du son [...] (à propos de son boléro, dont le succès étonna Maurice Ravel)
Il grimpe l’escalier de sa petite maison compliquée : côté jardin c’est trois étages mais de l’extérieur on n’en voit qu’un. Au troisième, qui est donc de plain-pied avec la rue, il examine celle-ci par une fenêtre du couloir pour estimer le nombre d’épaisseurs couvrant les passants, histoire de se faire une idée de ce qu’il doit se mettre. Mais il est bien trop tôt pour Montfort-l’Amaury, il n’y a rien ni personne qu’une petite Peugeot 201 toute grise et plus très jeune, déjà garée devant chez lui avec Hélène à l’intérieur. Il n’y a rien d’autre au monde à voir, le ciel couvert contient un soleil pâle.
L'ennui se double aussi souvent d'accès de découragement, de pessimisme et de chagrin qui lu font amèrement reprocher à ses parents, dans ces moments, de ne pas l'avoir mis dans l'alimentation.
On sait qu'un jour, prenant congé de Leyritz, Ravel lui a négligemment indiqué qu'il se rendait au bordel, mais aussi bien badinait-il.
Hélène est une assez joie femme qui pourrait ressembler un peu à Orane Demazis, pour ceux qui se souvient d'elle, mais dans ces années-là pas mal de femmes peuvent avoir un petit quelque chose d'Orane Demazis.
Nous sommes tes orteils, nous sommes tous là et nous comptons sur toi, tu sais que tu peux aussi compter sur nous comme sur tes doigts.
Il pense pouvoir compter sur eux mais le surlendemain, voulant jouer sa Sonatine à l'ambassade de Madrid, il enchaîne directement l'exposition à la coda du finale en sautant le mouvement de menuet. On peut penser à ce qu'on veut de cet incident. On peut croire à un trou de mémoire. On peut supposer que ça le fatigue, de rejouer éternellement cette chose vieille de plus de vingt ans. On peut encore imaginer que, devant un auditoire inattentif, il préfère expédier cette exécution. Mais on peut se dire aussi que, pour la première fois en public, quelque chose ne colle plus.
Phrase ressassée, chose sans espoir et dont on ne peut rien attendre, voilà au moins, dit-il, un morceau que les orchestres du dimanche n'auront pas le front d'inscrire à leur programme.