Il est seul, chez lui à Montfort, sans illusion. Il a toujours été seul, mais suspendu à sa musique.
Il considère ses pieds au bout desquels ses dix orteils se déplacent tout seuls, bougent entre eux comme s'ils lui faisaient des signes, lui adressaient des marques de solidarité. Nous sommes tes orteils, nous sommes tous là et nous comptons sur toi, tu sais que tu peux aussi compter sur nous comme sur tes doigts.
Il se rendort, il meurt dix jours après, on revêt son corps d'un habit noir, col dur à coins cassés, noeud papillon blanc, gants clairs, il ne laisse pas de testament, aucune image filmée, pas le moindre enregistrement de sa voix.
Vous êtes vraiment une idiote Marguerite, s'énerve froidement Ravel. Une conne, précise-t-il posément en pliant en quatre un journal.
Chaque fois qu'arrive le 14 juillet, Ravel est excité comme une puce, pas question de rater le moindre bal.
En arrivant au bout de la rue de la pépinière on aperçoit ainsi, s'engouffrant dans la rue de Rome, une longue Salmson VAL3, bicolore et profilée comme un escarpin de souteneur.
Comme Hélène lui suggère de changer de traitement, il répond que c'est aussi l'avis d'un confrère qui vient de lui écrire pour l'exhorter à l'homéopathie : certains ne jurent que par cela , l'homéopathie. Enfin bon, il verra à son retour.
Ayant mal et peu dormi comme chaque nuit, Ravel est dans de mauvaises dispositions comme chaque matin sans même savoir comment s'habiller, phénomène qui aggrave cette humeur.
...à la fin d'une de ses premières exécutions, une vieille dame dans la salle crie au fou,mais Ravel hoche la tête:En voilà une qui a compris dit-il juste à son frère.De cette réussite,il finirait par s'inquiéter.Qu'un projet si pessimiste recueille un accueil populaire,bientôt,bientôt et pour longtemps,au point de devenir un des refrains du monde,il y a de quoi se poser des questions et surtout mettre les choses au point.
Combiné à l'absence de projet, l'ennui se double aussi souvent d'accès de découragement,de pessimisme et de chagrin qui lui font amèrement reprocher à ses parents,dans ces moments,de ne pas l'avoir mis dans l'alimentation.