Certains soirs, toute musique prend l'allure d'une berceuse et toute lecture plombe autant qu'un somnifère.
Après avoir feuilleté deux autres livres, j'ai tenté de garder les yeux ouverts avec
Ravel de
Jean Echenoz. On ne peut rêver meilleure compagnie.
Malheureusement le charme n'a pas opéré, mon regard s'est perdu et le premier mouvement de ce concerto m'a envoyé assez rapidement dans les bras de Morphée.
Mais après une bonne nuit de sommeil et le retour du compositeur d'une tournée aux Etats Unis, mon intérêt s'est éveillé, a grandi et ne m'a plus quittée.
Ravel est décrit comme un individu presque ordinaire, terriblement insomniaque, solitaire, piètre pianiste.
Sa création naît dans la douleur. Il a un regard plutôt modeste sur son travail. Il apparaît assez détaché par rapport à sa gloire qui se confirme et qu'il ne comprend pas toujours, particulièrement concernant le Boléro.
"Chaîne et répétition,
la composition s'achève en octobre après un mois de travail seulement troublé par un splendide rhume cueilli, pendant une tournée en Espagne, sous les cocotiers de Malaga. Il sait très bien ce qu'il a fait, il n'y a pas de forme à proprement parler, pas de développement ni de modulation, juste du rythme et de l'arrangement. Bref c'est une chose qui s'autodétruit, une partition sans musique, une fabrique orchestrale sans objet, un suicide dont l'arme est le seul élargissement du son. Phrase ressassée, chose sans espoir et dont on peut rien attendre, voilà au moins, dit-il, un morceau que les orchestres du dimanche n'auront pas le front d'inscrire à leur programme. Mais tout cela n'a pas d'importance, c'est seulement fait pour être dansé. Ce seront
la chorégraphie, la lumière et le décor qui feront supporter les redites de la phrase...
Or ça ne se passe pas du tout comme prévu. La première fois que c'est dansé ça déconcerte un peu mais ça marche. Mais c'est ensuite au concert que ça marche terriblement. ça marche extraordinairement. Cet objet sans espoir connaît un triomphe qui stupéfie tout le monde à commencer par son auteur. il est vrai qu'à la fin d'une des premières exécutions, une vieille dame dans la salle crie au fou, mais
Ravel hoche la tête: En voilà au moins une qui a compris, dit-il juste à son frère. (pages 80-81)"
Après sa consécration, on assiste, dans un dernier mouvement,à
la chute du compositeur: maladie, troubles de la mémoire, accident...
Il quitte ce monde en ayant le sentiment d'avoir seulement esquisser son oeuvre.
"Mais comme il continue à se désoler elle lui fait observer que, même s'il ne peut plus rien produire, son oeuvre est là.
Ravel ne la laisse pas finir sa phrase: Mais comment pouvez-vous dire ça?
la coupe-t-il désespérément. Je n'ai rien écrit, je ne laisse rien, je n'ai rien dit de ce que je voulais dire. (page 117)"
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