Dans ces lectures plurielles, Elbaz fait l'analyse sémantique et thématique, chant par chant, de l'ensemble du poème, analyse qu'il résume sur le mode académique en plusieurs tableaux (p 36 pour la Chanson liminaire, p 66 pour le Chant III, p 86 pour le Chant VII). Comme l'indique le sous-titre, son fil directeur est le couple Désert/Désir, deux thèmes en effet omniprésents mais dispersés dans le poème. SJP ne les rapproche pas dans le même vers, sinon par allusion dans la citation de la quatrième de couverture : « La terre vaste à mon désir, et qui en posera les limites ce soir ? » (Chant III, p 97 des oeuvres complètes de la Pléiade). Par ce couple thématique, Elbaz rapproche Anabase de la Bible (les Hébreux au désert, la tentation du Christ), un rapprochement que SJP, qui écartait de son oeuvre toute référence mythologique, religieuse ou culturelle, n'aurait pas nécessairement apprécié. Elbaz souligne ailleurs la recherche par SJP d'une impression d'utopie et d'uchronie : « On sait combien l'usage de temps (ainsi que des pronoms) est déroutant chez Perse. L'ordre chronologique, comme la désignation précise de lieux géographiques ou l'identification des personnages […], sont scrupuleusement évités dans une poésie conçue hors du temps et de l'espace » (p 98). Elbaz extrait du texte des tonalités qui participent précieusement à l'originalité et à la jubilation de la lecture :
L'aspect d'écoulement euphorique. L'Anabase est mouvement sans fin, quête et conquête toujours inachevées (voir p 158 : séjour, départ, arrêt, marche, halte etc.) : « Un sentiment d'euphorie, qui va devenir la « marque » de l'écriture persienne. Les conflits, les violences, les fureurs, les éruptions, les déchirements […] n'affectent, paradoxalement, pas l'écoulement de la « matière » signifiante (les sons et leurs savantes combinaisons, les rythmes et leur diversité), écoulement « harmonieux » mais non exempt de haltes, de paliers-tremplins (ou relais) pour la continuation du mouvement en avant » (p 120). L'optimisme du titre même (littéralement : montée, ascension), et de l'ensemble du texte (désir, satisfaction, retour du désir). Sa sensualité (« Le discours de Perse, loin d'être une suite d'effets de style, est, malgré son caractère sonore et solennel, constamment vivifié d'images dont nous avons souligné plus d'une fois l'enracinement dans le concret le plus sensuel » p 151). Son amoralité et sa violence, qui sont le propre du vivant (p 142+). La fécondité du songe dans ses multiples contextes (p 108-9).
Une lecture plus ouverte et plus profonde que celle de Caillois dans Poétique de St-John Perse.
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