Quand nous pensons à ces dix années, à la forme qu'elles ont donnée à l'esprit du temps, à la trame qu'elles ont tissée, sur laquelle les figures de l'inconscience brodent leurs prévisibles entrelacs, nous pensons d'abord à l'impuissance, puis à l'inquiétude. Impuissance des individus dont la vie entière est plus que jamais soumise aux délirantes exigences du système de la production présente, et que leur pitoyable bavardage justificatif, comme leur faux cynisme ou leur affectation d'euphorie, ne font que rendre plus manifeste.
Certes pour posséder la conscience d'un changement possible de la vie, il faut en refuser radicalement l'organisation existante. Mais pour pratiquer ce refus il faut tout aussi bien pouvoir déjà s'appuyer sur la conscience d'une autre vie possible.
Il faut cependant constater qu'en cessant d'être acteur dans l'histoire on ne se met pas pour autant à l'abri de ses coups : on les reçoit seulement dans un combat que l'on n'a pas choisi.
Ce monde n'est donc en aucune façon devenu plus aimable, mais il a cependant réussi à restaurer l'idée qu'il est le seul possible.