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sur 588 notes
Louise Erdrich fait partie de ces auteurs américaines que je suis assidument, une voix littéraire forte pour porter l'étendard des communautés amérindiennes à l'instar d'une Toni Morrison pour la communauté afro-américaine. Cette fois, elle revient auréolée du très prestigieux Prix Pulitzer 2021 avec un roman inspiré par le combat politique de son grand-père, Patrick Gourneau lorsqu'il a défié le rouleau compresseur fédéral. Elle a retrouvé sa correspondance, formidable matériau de départ.

Le 1er août 1953, le Congrès des Etats-Unis adopte la Résolution 108 qui pose le principe de la politique de « termination ». Sous couvert d'égalité entre tous les citoyens américains, et d' « émancipation » il s'agit pour le gouvernement fédéral de renier les traités conclus de nation à nation avec les différentes tribus. In fine de supprimer les tribus en leur faisant perdre leur singularité autochtone. Officieusement de les dépouiller de leurs riches terres sises sur des réserves. Lorsque Thomas, président du conseil consultatif de la Bande d'Indiens Chippewas de Turtle Mountain ( Dakota du Nord ), double fictif de son grand-père, réalise la portée de cette loi scélérate, il décide de livrer combat dans ce nouveau front des guerres indiennes, une guerre légale, législative en préparant minutieusement son audience à Washington.

Celui qui veille n'est pas un roman à thèses. Louise Erdrich repense complètement le roman politique classiquement premier degré. Elle aurait également pu opter pour le rythme du thriller en exploitant un suspense quelque peu artificiel sur l'issue de la délégation chippewa au Congrès dans cette course contre la montre pour survivre et conserver ses traditions ancestrales. Elle propose plutôt un carnet d'esquisses croquant affectueusement les habitants de la réserve de Turtle Mountain. Leurs luttes prennent ainsi vie de façon très intime.

Le roman est structuré autour de deux personnages dont on suit les destins parallèles,  : Thomas, donc, et Pixie dite Patrice, jeune femme de dix-neuf ans qui travaille dans la même usine de pierres d'horlogerie que Thomas sur la réserve. Les deux ont quelque chose d'a priori très stéréotypée et pourtant on est immédiatement en empathie avec eux. Lui si bon, droit et parfait, qu'il en pourrait devenir ennuyeux ; elle si résolument battante qu'elle semble miraculeusement insubmersible même lorsqu'il s'agit de partir en mode guérilla urbaine retrouver sa soeur Vera. Deux personnages forts mais pas seulement, avec eux suivent les cercles sans cesse élargis de leurs relations.

En fait toute la puissance du récit naît des personnages, tournoie autour d'eux, de leurs émotions, de leurs colères, de leurs interactions foisonnantes. Ce sont eux qui guident la narration et l'imposent. Ce sont les maitres absolus du roman. Et ils sont très nombreux. Tellement qu'on pourrait décrocher de ce récit kaléidoscopique, être étourdi par l'alternance de chapitres courts changeant souvent de perspective narrative, chacun avec des cadences très fluctuantes. Au contraire, chaque nouveau personnage rajoute une couche d'intérêt et permette à l'auteur d'embrasser de nombreuses thématiques au-delà de la lutte contre le Termination Act : amour, identité, culture amérindienne, enlèvements et assassinats des femmes autochtones etc dans des tonalités très différentes passant de la tragédie la plus sombre à un sens du comique assumé. L'histoire est incarnée dans chaque parcelle écrite.

J'ai refermé ce roman très émue par son engagement lumineux et vibrant, empli d'une vitalité complice. Ce livre donne du courage, c'est un appel à l'Humanité sans lamento convoquant l'intelligence du lecteur à méditer sur le sens d'une lutte juste.
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Sur les maigres terres que cinq siècles de domination leur a laissées, ils tentent de survivre. Démunis mais encore riches d'une culture ancestrale qui les identifient. Or c'est ce dernier bastion que le gouvernement fédéral veut abattre. Une assimilation, une « termination » selon le terme anglais. le renoncement à leur identité, un statut de citoyen américain, et la condamnation certaine à la mendicité.

Thomas n'en veut pas. Ni lui ni aucun de ses pairs. S'il cultive ses terres le jour, il travaille aussi la nuit pour nourrir sa famille. C'est au cours de ces veilles qui le privent d'un sommeil réparateur jusqu'à l'hallucination, qu'il élabore une stratégie pour défendre les droits de sa tribu auprès des instances gouvernementales.

Patrice lutte aussi. Elle améliore le quotidien de sa famille avec le maigre salaire que lui octroie l'usine de pierres d'horlogerie et essaie même de faire des économies pour un jour reprendre ses études. D'autres combats animent ses journées : retrouver sa soeur Vera, dont on est sans nouvelles depuis son départ à la ville, et protéger sa famille des exactions avinées de son père. Il lui reste peu de temps pour les questions intimes qu'elle se pose.

Plongeant au coeur de ses racines, Louise Erdrich donne une fois de plus la parole au peuple de ses ancêtres, qui, à force de ténacité, est parvenu à persister dans le paysage nord-américain. Spoliés de leurs terres, mis au ban de la société, les indiens ont payé très cher l'invasion du continent.

On parcourt avec empathie l'histoire de cette poignée de résistants du Dakota du nord, prêts à payer de leur personne pour défendre leur légitimité.

Superbe roman choral, animé d'une conviction profonde, déclarant avec fermeté mais sans violence l'injustice faite aux premiers votes du continent américain.

560 pages Albin-Michel 5 janvier 2022
Sélection janvier Grand Prix Elle 2022
Lien : https://kittylamouette.blogs..
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« Celui qui veille » le nouveau roman de Louise Erdrich est un événement, comme à chaque parution chez Albin Michel d'un de ses livres. Celui-ci encore davantage, car il a été récompensé du Prix Pulitzer 2021. Un roman choral où l'on retrouve la voix si singulière et sublime de l'auteure, son style d'écriture tout en subtilité, délicatesse et émotion mais sans omettre de dire les choses, de les dénoncer avec force. La grande voix du roman américain contemporain, s'intéresse une nouvelle fois aux peuples Indiens et à leur sort dans cette histoire troublée et peuplée de fantômes des massacres perpétrés contre les Indiens par les États-Unis. Placé ensuite dans des réserves, les Indiens ont été forcés à l'assimilation avant qu'une loi inique, venant de Washington, ne cherche à bouleverser une énième fois les traités dûment signés entre les peuples indiens et Washington, l'État fédéral. Librement inspiré de la lutte pour la préservation des droits de son peuple de son grand père maternel dans les années 1950, Louise Erdrich nous plonge, nous immerge dans ce débat bouillonnant.

Deux histoires se croisent dans ce beau roman. La première est celle de Thomas Wazhashk qui est veilleur de nuit dans une usine de pierres d'horlogerie de la réserve de Turtle Mountain. Mais il est également, le président du conseil tribal de Turtle Mountain, celui qui veille sur son peuple et qui va se lever, vent debout, contre la résolution du Congrès des États-Unis stipulant que les Indiens allaient être émancipés. Ce terme « émancipation » fait réfléchir Thomas qui comprend la supercherie et la duperie se cachant derrière ces termes employés. « Émancipations », ils n'étaient pourtant pas des esclaves. Les émanciper de leurs statuts d'Indiens, les émanciper de leurs terres. En fait, on souhaitait ni plus ni moins que les libérer des traités que son père Biboon, et son grand père avant lui, avaient signés. Des traités censés durer pour toujours. Pour Thomas, il fallait lutter pour que la tribu reste « un problème » et pas pour que leurs statuts d'Indiens ne leurs soient ôtés. Au fond, la duplicité du Congrès est situé dans cette envie de vendre les terres des Indiens pour les « relocaliser » ailleurs. C'est un dialogue de sourd qui s'installe, un combat de longue haleine qui est parfaitement retranscrit ici, car on le sent, c'est un sujet qui tient à coeur à Louise Edrich puisque qu'elle nous parle de cette figure tutélaire de ce grand père maternel et de son peuple : les Chippewas.

Nous sommes dans le Dakota du Nord en 1953, (lieu de naissance de Louise Erdrich), et c'est ici que la grande histoire, celle de Thomas rejoint un autre récit : la quête de Pixie pour retrouver à Minneapolis sa soeur aînée Vera et son bébé. Celle-ci n'a plus donné signe de vie depuis des mois. Pour la première fois Pixie va quitter la réserve. Elle est la nièce de Thomas et une employée chippewas de l'usine. Elle a une forme de singularité et d'innocence car elle souhaite faire des études et ne veut, pour le moment, ni mari, ni enfants. Elle a un père alcoolique quittant le foyer familial. Une grande pauvreté dans ces réserves mais aussi la fierté de maintenir la langue chippewas, les traditions qui cohabitent avec leurs nouveaux usages instaurés par les hommes blancs. Il y a une profonde méfiance face à ces hommes qui leur ont bien trop souvent menti. Pixie fabrique elle-même sa valise car elle n'a pas l'argent pour en acheter une, chez elle, il n'y a pas d'électricité mais par contre, il y a l'amour d'une mère : Zhaanat. Les femmes ont un rôle très important dans le roman de Louise Erdrich. Elles sont les gardiennes des traditions, des valeurs de leur peuple, protectrice de leurs époux et de leurs enfants comme Rose, la femme de Thomas. Nul manichéisme pour autant, la complexité des rapports humains entre les Indiens eux-mêmes est parfaitement rendu. Pixie est un personnage de jeune fille fort attachant. Deux hommes aiment passionnément Pixie : un professeur de boxe blanc, Barnes, qu'elle n'aime pas. L'autre homme est lui aussi boxeur et il s'appelle Wood Mountain, un colosse au grand coeur. Cette histoire, celle de Pixie est celle qui m'a le plus passionné. le combat de Pixie et celui de Thomas, leur courage, leur abnégation m'ont profondément ému.

C'est assurément un de ces romans que l'on n'oublie pas. Magnifiquement écrites, ces deux histoires n'en formant qu'une, vont vous bouleverser. Louise Erdrich renoue avec ce qu'elle sait faire de mieux, parler de l'histoire des peuples indiens, leur offrir par sa plume, une voix qui ne s'éteindra pas , celle de la littérature intemporelle comme vecteur puissant d'expression du mal être mais aussi de la beauté de la culture indienne.
Lien : https://thedude524.com/2022/..
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Le « Termination Act » est une loi votée en 1953 et 1954 par le Congrès américain, destinée à "libérer les Indiens de la tutelle fédérale". Rompant avec la loi de Réorganisation Indienne de 1934, cette loi tend à mettre fin à l'existence des tribus indiennes pour les fondre dans la société américaine. Elle a ainsi causé la disparition de nombreuses réserves, dont les habitants ont été dispersés.

En s'inspirant de l'histoire de son propre grand-père et du combat qu'il a mené contre cette loi, Louise Erdrich fait débuter son histoire en septembre 1953, dans le Dakota du Nord, et nous invite à suivre toute une palette de personnages, dont Thomas Wazhashk, indien Chippewa de la réserve de Turtle Mountain, veilleur de nuit à la tombée du jour et président du Bureau des affaires indiennes en journée. Déterminé à défendre les droits de sa communauté et le peu de territoire qu'on leur a laissé, Thomas est prêt à se déplacer jusqu'à Washington pour se faire entendre.

Celui qui veille, c'est bien évidemment Thomas, mais tout ne tourne pas autour de lui. On fait connaissance avec tout un tas d'autres personnages aussi intéressants les uns que les autres, des Indiens pour la plupart, mais aussi de quelques Blancs. Il y a Patrice, jeune femme déterminée à retrouver sa soeur disparue ; Wood Mountain, boxeur au grand coeur ; Barnes, professeur de mathématiques et entraîneur de boxe en quête d'amour ; Juggie Blue, la cuisinière ; Roderick, le fantôme ; LaBatte, le poisseux ; Louis et ses feuilles de pétition ; Vera, la soeur disparue ; et bien d'autres encore. C'est l'ensemble d'une communauté que l'on suit, dans leur lutte contre le Congrès, mais aussi dans leur vie quotidienne. Ils se connaissent tous et ont tous plus ou moins des liens de parenté. Chacun traîne son histoire, ses problèmes, ses préoccupations, ses rêves...

Ils sont nombreux oui, mais on les apprivoise, on apprend à les apprécier au fur et à mesure qu'on apprend à les connaître. On fait de leur combat le nôtre, on aimerait s'investir nous aussi, on leur souhaite d'obtenir gain de cause.

Louise Erdrich nous propose là un roman tel que je les aime : complet, méticuleusement travaillé tant sur la forme que sur le fond. Elle connaît clairement son sujet et sait nous en parler de telle sorte qu'on a l'impression d'être nous-mêmes concernés. À la fois fiction biographique et roman historique, elle donne la voix à ses nombreux personnages, qu'on entend distinctement. Grâce à son travail minutieux, elle nous offre un contexte historique immersif, des personnages bien fouillés (pour la plupart), une histoire brillante (bien que ce terme soit en contradiction avec les sujets abordés), une lecture addictive. Elle use d'une plume par ailleurs à la fois déterminée et envoûtante, octroyant une certaine intensité, une certaine puissance à son récit, tant dans les ressentis des personnages, dans leurs relations aux autres, ou encore dans leur mode de vie, leurs traditions et leurs croyances.

Ce roman foisonnant peut faire peur au premier abord, au vu de ses nombreux protagonistes, au vu du temps pris pour les mettre en scène chacun à leur tour, afin que chacun y trouve sa place, son rôle. Mais ne vous arrêtez pas à ça, vous ne le regretterez pas. Aucunement on ne se perd. Au contraire, la force de ce livre, c'est eux justement. On aime les voir interagir, évoluer, se battre, espérer, vivre, s'imposer à nous.

À l'origine, c'est "Dans le silence du vent" que je voulais lire, grâce aux récents et superbes retours de Nicola (@NicolaK) et de Chrystèle (@HordeDuContrevent). Mais comme il n'était pas dispo à la bibliothèque, je me suis rabattue sur "Celui qui veille", un peu par hasard, un peu pour sa couverture aussi. Alors merci les filles : sans vous, je ne connaîtrais toujours pas Louise Erdrich et ce serait sacrément dommage !
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Sur les terres de la réserve de Turtle Moutain en 1953 , dans le Dakota du Nord, Thomas s'apprête à se battre pour que la loi de "termination" ne passe pas . Cette loi priverait les indiens de leur terre , après les avoir privés de tant d'autres choses.

Louise Erdrich a écrit un livre pour honorer la mémoire de son grand père, Thomas ici, mais aussi pour que l'histoire se souvienne de cette loi de termination qui sous ses aspects 'intégration' visait purement et simplement à faire main basse sur le peu que possédaient les indiens.

Au de là de l'histoire de Thomas, c'est toute la communauté que l'on va suivre . On imagine les conditions précaires , notamment des habitations , l'alcoolisme latent, la brutalité des moeurs, le racisme.
Il y a plusieurs livres dans ce livre en fait : le combat remarquable de Thomas certes , les rapports indiens/ américains , mais aussi les doutes d'une jeune fille, le volet un indien dans la ville , bien moins réjouissant que sa version cinématographique, les traditions, les rituels , la vie de la communauté au milieu du XXème siècle .
Beaucoup de raisons de lire ce livre . Je ne suis pas particulièrement sensible au style de l'auteur mais elle raconte très bien les histoires et a sans doute donné beaucoup d'elle même pour fusionner l'histoire familiale , L Histoire et la fiction.
Et c'est franchement une belle réussite.
Ce livre se conclut sur quelques mots de l'auteur qui a eux seuls valent la lecture .
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Une fois encore, j'ai ouvert un livre pour entendre la voix magistrale de Louise Erdrich qui me parle des siens, les Chippewa, peuple amérindien du Dakota du Nord, luttant âprement pour défendre leurs droits opprimés, cette autrice américaine qui ne cesse d'être à leurs côtés, ici encore dans ce très beau roman, pour rappeler ce qu'ils ont de plus cher, leurs terres, leurs croyances, leurs rites et leur mémoire et que les autorités américaines n'ont eu de cesse de venir piétiner, mépriser, bafouer...
Nous sommes donc dans le Dakota du Nord, dans les années cinquante. Celui qui veille, c'est justement un veilleur de nuit dans l'usine de pierres d'horlogerie proche de la réserve de Turtle Mountain, il s'appelle Thomas Wazhashk, il est Chippewa. Mais le jour, que fait-il ?
Celui qui veille, c'est celui qui ne doit pas dormir, doit tenir la nuit à distance.
J'ai eu l'impression que cet homme ne dormait jamais, n'était pas prêt de fermer l'oeil, veillait au grain, depuis qu'ils avaient décidé, lui et les siens, de se mobiliser contre un projet du gouvernement fédéral censé « émanciper » son peuple. Président du conseil tribal des Chippewas de Turtle Mountain, il est loin d'être un perdreau de l'année, il sait bien que l'adoption de ce texte serait un blanc-seing vers l'effacement de ce qu'ils leur restent de plus cher, ce serait ce que les siens appellent la termination de leurs droits...
Il faut dire que le sénateur qui porte ce projet de loi est un Mormon, bon pourquoi pas après tout, mais quand même avec une étrange façon de considérer son prochain et vouloir lui faire du bien surtout lorsqu'il est différent, ce sénateur a dans l'idée une manière bien particulière de vouloir intégrer pour ne pas dire assimiler l'identité des minorités, c'est-à-dire tout bonnement les effacer.
Ce majestueux roman est le récit de deux Chippewa qui vont se dresser, se tenir debout, lui et sa nièce, une jeune femme nommée Patrice, encore naïve à bien des endroits, hantée par la disparition de sa soeur ainée et de son désir ardent de la retrouver. Tous deux, mais pas qu'eux, vont se dresser pour réagir et marcher vers Washington, faire entendre leur voix, celle d'un peuple encore uni et solidaire de leur cause.
Je vous avoue avoir ressenti une émotion particulière pour cette jeune femme amérindienne, Patrice, figure touchante, émouvante, embarquée un peu malgré elle dans une histoire intime qui va croiser la dimension universelle de ce roman.
Ce récit emporte derrière eux toute une kirielle de personnages haut en couleurs, tous plus attachants les uns que les autres, unis dans une odyssée presque désespérée pour sauvegarder leur identité, leur épargner un drame supplémentaire menacé par ce projet de loi absurde.
Ce sont des personnages à la fois ordinaires et terriblement idéalistes, parfois abimés par leurs rêves ou par l'alcool, ou bien tout simplement par ce désir insoutenable de survivre avant que d'être broyés dans la masse ou dans la nasse d'une loi qui n'est pas faite pour eux. J'ai croisé ici un boxeur, un professeur de maths, des femmes, des hommes, des jeunes, des anciens, des vies précaires, fragiles, impuissantes et méprisées, mais animées d'une foi irrésistible dans ce qui fait l'ADN de leur peuple.
C'est un récit polyphonique bouillonnant de vies individuelles prises dans le courant frénétique d'une aventure effervescente qui va puiser des élans de solidarité parmi cette société de pauvreté mais de dignité et de rigueur aussi.
Entre rêve et réalité, c'est un livre épris d'humanité. L'humour de certaines scènes y contribuent sans doute aussi...
Parfois des esprits traversent discrètement les pages, à moins que ce ne soient des auréoles boréales ou bien ce sont peut-être simplement mes yeux émus, humides, qui tentent de se faufiler entre les vivants et les morts.
Des rêves prémonitoires, un peu de tabac qu'on brûle au pied d'un sycomore, une chouette harfang qui tape à la fenêtre, le ciel de ce roman est empli de fantômes et de constellations.
J'ai aimé savoir que les personnages de cette histoire se sentent protégés malgré tout, protégés par ceux qui ne sont plus là et qui veillent sur eux, qu'importe d'y croire ou de ne pas y croire, protégés aussi par ceux qui sont bien vivants, têtus, pugnaces, se dressent debout pour affronter des lois censés décider de leur bien-être à leur place ; brusquement la plume légèrement onirique de Louise Erdrich nous invite à imaginer que ces êtres vivants croisent l'invisible, l'impossible, le temps d'un effleurement. C'est beau.
Veiller sur les siens est une force incroyable, intemporelle, nous dit humblement ce récit.
J'ai été touché que Louise Erdrich, convoquant un récit inspiré de l'histoire de son grand-père, vienne puiser une fois de plus dans la mémoire blessée de ses ancêtres.
Son écriture, à la fois évocatrice et tout en retenue, poétique et sobre, esquisse en quelques lignes des portraits convaincants, attachants, familiers qui m'ont pris par la main, m'ont rallié à leur cause, ne m'ont plus quitté... Longtemps après avoir refermé le livre…
Ode à la différence, à la fraternité, au bien commun qu'il faut protéger comme une terre sacrée, ce récit inspirant nous invite par un magnifique pas de côté vers nos vies fracturées qu'il nous faut recoudre.
Celui qui veille, c'est peut-être l'Indien qui sommeille en nous.
Ce fut un plaisir de découvrir ce roman avec quelques fidèles amis d'ici dans le cadre d'un programme de lectures communes magnifiquement orchestré par Sandrine (@HundredDreams) et nous invitant à cheminer dans l'oeuvre riche de Louise Erdrich.
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C'est mon deuxième livre de Louise Erdrich. le premier m'avait emportée dans un torrent d'émotions, dès les premiers chapitres et j'avais ressenti immédiatement une grande empathie pour les personnages. Celui-ci a dû m'apprivoiser, les premiers chapitres ont été lus très lentement à l'égal du rythme du livre. J'ai même fait une pause pour lire un autre livre. C'est très rare que cela m'arrive. Mais ce fut une bonne idée. J'ai retrouvé alors avec plaisir tous les personnages, j'ai découvert qu'ils me manquaient et soudain, je n'ai plus eu envie de poser le livre.

Celui qui veille c'est Thomas. Il veille la nuit, c'est son métier, dans l'usine de pierres d'horlogerie qui jouxte la réserve de Turtle Mountain et où travaillent beaucoup de jeunes femmes de la réserve. Il veille aussi le jour en tant que président du conseil tribal de cette réserve, et ces jours -ci, une résolution du congrès l'inquiète, la résolution 108 qui vise à supprimer les tribus indiennes en les assimilant à des citoyens américains comme les autres, et en leur retirant leurs terres, ne craignant point de renier tous les traités signés précédemment. Thomas va mobiliser les siens contre cette résolution, il oeuvre doucement mais surement. Il est profondément respectueux des autres, et c'est ce que j'aime chez lui.

Et c'est le combat de Thomas, inspiré par celui mené réellement par son grand-père, que l'autrice raconte dans ce roman. Mais pas que … C'est aussi l'occasion pour elle de brosser un grand nombre de portraits, de personnes vivant sur cette réserve, indiens principalement, mais aussi quelques blancs.

Celle qui après Thomas y tient la plus grande place c'est Patrice (ne l'appelez plus Pixie, elle ne veut plus être ce petit lutin). Patrice est jeune, mais son salaire fait vivre sa famille. Son père est devenu un ivrogne et tous se portent mieux quand il n'est pas là. Sa mère est une savante, savante des savoirs des indiens, plantes, rites, histoires. Son frère boxe. Mais sa soeur manque à l'appel. Patrice se jettera dans l'inconnu pour essayer de la retrouver, affrontant la grande ville, ses dangers, les hommes qui guettent les jeunes femmes fragiles. Mais Patrice sera tout, sauf fragile. A la fois dans cette quête et plus tard dans le roman, elle trace son chemin, ne pliant pas. Elle a été clairement avec Thomas, mon personnage préféré dans ce roman. Elle a dû grandir très vite, mais est restée très liée avec sa mère. Elle ne veut pas être seulement une épouse et une mère, mais faire ses propres choix. Elle ose poser les questions nécessaires, faire ses expériences quand elle veut, avec qui elle veut. C'est une femme libre.

Mais en dehors de ces deux-là, par petites touches et petits chapitres au rythme et aux sonorités très différentes, c'est toute la vie de cette réserve que l'on découvre, tout un peuple qui essaie de maintenir ce qu'il reste de leurs traditions, et en parallèle de s'acclimater à la vie plus moderne pour ne pas disparaitre. Il y a même un fantôme qui erre dans ces pages.

Ces personnages sont tous liés, et après un début un peu laborieux pour moi, j'ai été conquise par ce récit de leurs vies. Chacun ajoute une petite pierre à l'édifice que construit Louise Erdrich. Ce récit n'est pas seulement la lutte contre la résolution 108, mais de façon beaucoup plus vaste tout un pan de l'histoire d'un peuple, les amérindiens et particulièrement cette tribu de Turtle Mountain. Et cela raconté avec les mots de Louise Erdrich, si justes et si limpides, si tendres et si évocateurs, si envoutants.

Si comme pour moi, le début vous parait un peu lent, que vous avez du mal à vous attacher aux personnages, faites éventuellement une petite pause et reprenez le livre. Il serait vraiment dommage de passer à côté.
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Première rencontre avec Louise ERDRICH et c'est une bonne surprise. Celui qui veille est un roman basé sur les lettres écrites par le grand-père de l'autrice, un amérindien né dans une réserve et qui a connu le pensionnat. C'est peut être cette spécificité qui donne un côté intimiste au roman. Ce n'est pas récit au rythme haletant avec moult rebondissements et plein de surprises. Il s'agit plutôt d'une balade en forêt où tout est calme en apparence mais où chaque endroit où on pause les yeux raconte une histoire, regorge de vie.

Les pages défilent sans ennui, sans longueur. L'autrice nous relate des morceaux de vie, celle de Patrice une jeune fille au caractère bien trempé et de Thomas, un père de famille aux allures de vieux sage. Des personnages dont les destins s'entrelacent et qui nous parlent de leur entourage. Au final c'est l'histoire d'une communauté et à travers elle celle du peuple amérindien. Un peuple qui se bat pour sauvegarder sa spécificité, son identité. Un peuple qui refuse d'être noyé dans l'oubli, noyé parmi le reste de la population. Un indien n'est pas un homme blanc et ne le sera jamais, penser le contraire est une hérésie.

Cette histoire c'est aussi celle d'une quête, la recherche d'une soeur disparue, l'apaisement de l'âme d'un vieux camarade du pensionnat, celle de l'âme soeur, celle de soi même. Comment savoir qui l'on est quand pendant des années un peuple s'est acharné à vouloir détruire le votre ? Comment retrouver l'identité perdue, malmenée ? Comment se recomposer une identité sans trahir ses ancêtres et en s'intégrant au monde tel qu'il est désormais.

Cette histoire est empreinte de chamanisme, de vieilles croyances. Elle raconte un mode de vie humble et sincère qui de tous temps à chercher à s'harmoniser avec la nature, pas à la dompter, à s'harmoniser avec les êtres vivants, les esprits, les âmes de ceux qui ne sont plus et les mystères de ce monde. Ne pas chercher à tout expliquer, vivre en acceptant, ne pas tenter de soumettre le monde tout autour. Vivre sans juger, laisser exister, accepter ce que l'on comprend et ce qui nous échappe.

Il y a beaucoup de résilience dans ce livre et de détermination. Une détermination calme et pesée, silencieuse et discrète mais indéfectible. Une histoire racontée sans fard et sans misérabilisme.

Ce livre est une invitation à l'introspection et à la remise en question. En parallèle l'intrigue est bien menée et le tout est très agréable à lire. Il m'a juste manqué (question de goût) un peu de passion. de celles qui nous font déraper et faire des folies, sur un coup de tête. J'ai parfois trouvé que c'était trop maîtrisé et raisonnable mais j'ai passé un très beau moment de lecture. J'y reviendrai sûrement.

Merci aux copains de la LC qui comme d'habitude ont enrichi cette lecture avec leur bonne humeur, leur érudition et leur bienveillance. Sandrine, berni, Jean-Michel, Nico, Isa, Anne-So, Marie Caroline, Yellowsub, ... une classe dissipée mais studieuse ;-)
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Louise Erdrich éclaire le monde avec ce roman/ récit choral qui met en scène des indiens Chippewa de la réserve de Turtle Mountain,Dakota du nord.De sa plume prolixe ( un peu trop ?) elle nous entraîne dans la dure existence de ses ancêtres,entre traditions, croyances et dérives ou le meilleur côtoie le pire.
Apprendre,comprendre,c'est aussi s'identifier pour mieux ressentir et compatir à cette lutte pour préserver leur dignité et la disparition de leurs terres.
L'humanité,l'identité, c'est bien ça le sujet, qui donne envie d'en savoir plus sur ce peuple amérindien si proche de la nature et si bien représenté par cette autrice majeure de la littérature américaine.

Lu dans le cadre du prix des lecteurs des Hauts-cantons de l'Hérault 2024
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Malgré l'heure tardive, Thomas, un Indien d'Amérique veilleur de nuit dans une usine de pierre d'horlogerie est bien réveillé. Entre deux rondes, il profite de ses longues nuits de travail pour trouver le moyen de lutter contre le souhait en 1953 du Congrès des États-Unis de leur offrir une "émancipation", procédé déguisé visant à ne plus reconnaître les différents peuples indiens. Par ses nombreux courriers, Thomas souhaite protéger l'histoire et le devenir des tribus indiennes, et plus particulièrement la sienne, celle des Chippewas. Malgré les difficultés et les ravages causés par l'alcool, cette communauté reste soudée et on y découvre tour à tour la vie de ses membres...

Récit très intéressant inspiré par la vie de son grand-père, l'auteure, Louise Erdrich revient de manière romancée sur le parcours de son aïeul qui a pris place dans cette lutte. Ce bel hommage met en lumière une période assez méconnue qui a pourtant était un tournant pour les tribus indiennes. Les passionnés de culture américaine se réjouiront à la lecture de cet ouvrage.
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