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EAN : 9782253941712
576 pages
Le Livre de Poche (23/08/2023)
  Existe en édition audio
3.98/5   578 notes
Résumé :
Dakota du Nord, 1953. Thomas Wazhashk, veilleur de nuit dans l’usine de pierres d’horlogerie proche de la réserve de Turtle Mountain, n’est pas près de fermer l’œil. Il est déterminé à lutter contre le projet du gouvernement fédéral censé « émanciper » les Indiens, car il sait bien que ce texte est en réalité une menace pour les siens.
Contrairement aux autres jeunes employées chippewas de l’usine, Pixie, la nièce de Thomas, ne veut pour le moment ni mari ni ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (128) Voir plus Ajouter une critique
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sur 578 notes
Louise Erdrich fait partie de ces auteurs américaines que je suis assidument, une voix littéraire forte pour porter l'étendard des communautés amérindiennes à l'instar d'une Toni Morrison pour la communauté afro-américaine. Cette fois, elle revient auréolée du très prestigieux Prix Pulitzer 2021 avec un roman inspiré par le combat politique de son grand-père, Patrick Gourneau lorsqu'il a défié le rouleau compresseur fédéral. Elle a retrouvé sa correspondance, formidable matériau de départ.

Le 1er août 1953, le Congrès des Etats-Unis adopte la Résolution 108 qui pose le principe de la politique de « termination ». Sous couvert d'égalité entre tous les citoyens américains, et d' « émancipation » il s'agit pour le gouvernement fédéral de renier les traités conclus de nation à nation avec les différentes tribus. In fine de supprimer les tribus en leur faisant perdre leur singularité autochtone. Officieusement de les dépouiller de leurs riches terres sises sur des réserves. Lorsque Thomas, président du conseil consultatif de la Bande d'Indiens Chippewas de Turtle Mountain ( Dakota du Nord ), double fictif de son grand-père, réalise la portée de cette loi scélérate, il décide de livrer combat dans ce nouveau front des guerres indiennes, une guerre légale, législative en préparant minutieusement son audience à Washington.

Celui qui veille n'est pas un roman à thèses. Louise Erdrich repense complètement le roman politique classiquement premier degré. Elle aurait également pu opter pour le rythme du thriller en exploitant un suspense quelque peu artificiel sur l'issue de la délégation chippewa au Congrès dans cette course contre la montre pour survivre et conserver ses traditions ancestrales. Elle propose plutôt un carnet d'esquisses croquant affectueusement les habitants de la réserve de Turtle Mountain. Leurs luttes prennent ainsi vie de façon très intime.

Le roman est structuré autour de deux personnages dont on suit les destins parallèles,  : Thomas, donc, et Pixie dite Patrice, jeune femme de dix-neuf ans qui travaille dans la même usine de pierres d'horlogerie que Thomas sur la réserve. Les deux ont quelque chose d'a priori très stéréotypée et pourtant on est immédiatement en empathie avec eux. Lui si bon, droit et parfait, qu'il en pourrait devenir ennuyeux ; elle si résolument battante qu'elle semble miraculeusement insubmersible même lorsqu'il s'agit de partir en mode guérilla urbaine retrouver sa soeur Vera. Deux personnages forts mais pas seulement, avec eux suivent les cercles sans cesse élargis de leurs relations.

En fait toute la puissance du récit naît des personnages, tournoie autour d'eux, de leurs émotions, de leurs colères, de leurs interactions foisonnantes. Ce sont eux qui guident la narration et l'imposent. Ce sont les maitres absolus du roman. Et ils sont très nombreux. Tellement qu'on pourrait décrocher de ce récit kaléidoscopique, être étourdi par l'alternance de chapitres courts changeant souvent de perspective narrative, chacun avec des cadences très fluctuantes. Au contraire, chaque nouveau personnage rajoute une couche d'intérêt et permette à l'auteur d'embrasser de nombreuses thématiques au-delà de la lutte contre le Termination Act : amour, identité, culture amérindienne, enlèvements et assassinats des femmes autochtones etc dans des tonalités très différentes passant de la tragédie la plus sombre à un sens du comique assumé. L'histoire est incarnée dans chaque parcelle écrite.

J'ai refermé ce roman très émue par son engagement lumineux et vibrant, empli d'une vitalité complice. Ce livre donne du courage, c'est un appel à l'Humanité sans lamento convoquant l'intelligence du lecteur à méditer sur le sens d'une lutte juste.
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« Celui qui veille » le nouveau roman de Louise Erdrich est un événement, comme à chaque parution chez Albin Michel d'un de ses livres. Celui-ci encore davantage, car il a été récompensé du Prix Pulitzer 2021. Un roman choral où l'on retrouve la voix si singulière et sublime de l'auteure, son style d'écriture tout en subtilité, délicatesse et émotion mais sans omettre de dire les choses, de les dénoncer avec force. La grande voix du roman américain contemporain, s'intéresse une nouvelle fois aux peuples Indiens et à leur sort dans cette histoire troublée et peuplée de fantômes des massacres perpétrés contre les Indiens par les États-Unis. Placé ensuite dans des réserves, les Indiens ont été forcés à l'assimilation avant qu'une loi inique, venant de Washington, ne cherche à bouleverser une énième fois les traités dûment signés entre les peuples indiens et Washington, l'État fédéral. Librement inspiré de la lutte pour la préservation des droits de son peuple de son grand père maternel dans les années 1950, Louise Erdrich nous plonge, nous immerge dans ce débat bouillonnant.

Deux histoires se croisent dans ce beau roman. La première est celle de Thomas Wazhashk qui est veilleur de nuit dans une usine de pierres d'horlogerie de la réserve de Turtle Mountain. Mais il est également, le président du conseil tribal de Turtle Mountain, celui qui veille sur son peuple et qui va se lever, vent debout, contre la résolution du Congrès des États-Unis stipulant que les Indiens allaient être émancipés. Ce terme « émancipation » fait réfléchir Thomas qui comprend la supercherie et la duperie se cachant derrière ces termes employés. « Émancipations », ils n'étaient pourtant pas des esclaves. Les émanciper de leurs statuts d'Indiens, les émanciper de leurs terres. En fait, on souhaitait ni plus ni moins que les libérer des traités que son père Biboon, et son grand père avant lui, avaient signés. Des traités censés durer pour toujours. Pour Thomas, il fallait lutter pour que la tribu reste « un problème » et pas pour que leurs statuts d'Indiens ne leurs soient ôtés. Au fond, la duplicité du Congrès est situé dans cette envie de vendre les terres des Indiens pour les « relocaliser » ailleurs. C'est un dialogue de sourd qui s'installe, un combat de longue haleine qui est parfaitement retranscrit ici, car on le sent, c'est un sujet qui tient à coeur à Louise Edrich puisque qu'elle nous parle de cette figure tutélaire de ce grand père maternel et de son peuple : les Chippewas.

Nous sommes dans le Dakota du Nord en 1953, (lieu de naissance de Louise Erdrich), et c'est ici que la grande histoire, celle de Thomas rejoint un autre récit : la quête de Pixie pour retrouver à Minneapolis sa soeur aînée Vera et son bébé. Celle-ci n'a plus donné signe de vie depuis des mois. Pour la première fois Pixie va quitter la réserve. Elle est la nièce de Thomas et une employée chippewas de l'usine. Elle a une forme de singularité et d'innocence car elle souhaite faire des études et ne veut, pour le moment, ni mari, ni enfants. Elle a un père alcoolique quittant le foyer familial. Une grande pauvreté dans ces réserves mais aussi la fierté de maintenir la langue chippewas, les traditions qui cohabitent avec leurs nouveaux usages instaurés par les hommes blancs. Il y a une profonde méfiance face à ces hommes qui leur ont bien trop souvent menti. Pixie fabrique elle-même sa valise car elle n'a pas l'argent pour en acheter une, chez elle, il n'y a pas d'électricité mais par contre, il y a l'amour d'une mère : Zhaanat. Les femmes ont un rôle très important dans le roman de Louise Erdrich. Elles sont les gardiennes des traditions, des valeurs de leur peuple, protectrice de leurs époux et de leurs enfants comme Rose, la femme de Thomas. Nul manichéisme pour autant, la complexité des rapports humains entre les Indiens eux-mêmes est parfaitement rendu. Pixie est un personnage de jeune fille fort attachant. Deux hommes aiment passionnément Pixie : un professeur de boxe blanc, Barnes, qu'elle n'aime pas. L'autre homme est lui aussi boxeur et il s'appelle Wood Mountain, un colosse au grand coeur. Cette histoire, celle de Pixie est celle qui m'a le plus passionné. le combat de Pixie et celui de Thomas, leur courage, leur abnégation m'ont profondément ému.

C'est assurément un de ces romans que l'on n'oublie pas. Magnifiquement écrites, ces deux histoires n'en formant qu'une, vont vous bouleverser. Louise Erdrich renoue avec ce qu'elle sait faire de mieux, parler de l'histoire des peuples indiens, leur offrir par sa plume, une voix qui ne s'éteindra pas , celle de la littérature intemporelle comme vecteur puissant d'expression du mal être mais aussi de la beauté de la culture indienne.
Lien : https://thedude524.com/2022/..
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Le « Termination Act » est une loi votée en 1953 et 1954 par le Congrès américain, destinée à "libérer les Indiens de la tutelle fédérale". Rompant avec la loi de Réorganisation Indienne de 1934, cette loi tend à mettre fin à l'existence des tribus indiennes pour les fondre dans la société américaine. Elle a ainsi causé la disparition de nombreuses réserves, dont les habitants ont été dispersés.

En s'inspirant de l'histoire de son propre grand-père et du combat qu'il a mené contre cette loi, Louise Erdrich fait débuter son histoire en septembre 1953, dans le Dakota du Nord, et nous invite à suivre toute une palette de personnages, dont Thomas Wazhashk, indien Chippewa de la réserve de Turtle Mountain, veilleur de nuit à la tombée du jour et président du Bureau des affaires indiennes en journée. Déterminé à défendre les droits de sa communauté et le peu de territoire qu'on leur a laissé, Thomas est prêt à se déplacer jusqu'à Washington pour se faire entendre.

Celui qui veille, c'est bien évidemment Thomas, mais tout ne tourne pas autour de lui. On fait connaissance avec tout un tas d'autres personnages aussi intéressants les uns que les autres, des Indiens pour la plupart, mais aussi de quelques Blancs. Il y a Patrice, jeune femme déterminée à retrouver sa soeur disparue ; Wood Mountain, boxeur au grand coeur ; Barnes, professeur de mathématiques et entraîneur de boxe en quête d'amour ; Juggie Blue, la cuisinière ; Roderick, le fantôme ; LaBatte, le poisseux ; Louis et ses feuilles de pétition ; Vera, la soeur disparue ; et bien d'autres encore. C'est l'ensemble d'une communauté que l'on suit, dans leur lutte contre le Congrès, mais aussi dans leur vie quotidienne. Ils se connaissent tous et ont tous plus ou moins des liens de parenté. Chacun traîne son histoire, ses problèmes, ses préoccupations, ses rêves...

Ils sont nombreux oui, mais on les apprivoise, on apprend à les apprécier au fur et à mesure qu'on apprend à les connaître. On fait de leur combat le nôtre, on aimerait s'investir nous aussi, on leur souhaite d'obtenir gain de cause.

Louise Erdrich nous propose là un roman tel que je les aime : complet, méticuleusement travaillé tant sur la forme que sur le fond. Elle connaît clairement son sujet et sait nous en parler de telle sorte qu'on a l'impression d'être nous-mêmes concernés. À la fois fiction biographique et roman historique, elle donne la voix à ses nombreux personnages, qu'on entend distinctement. Grâce à son travail minutieux, elle nous offre un contexte historique immersif, des personnages bien fouillés (pour la plupart), une histoire brillante (bien que ce terme soit en contradiction avec les sujets abordés), une lecture addictive. Elle use d'une plume par ailleurs à la fois déterminée et envoûtante, octroyant une certaine intensité, une certaine puissance à son récit, tant dans les ressentis des personnages, dans leurs relations aux autres, ou encore dans leur mode de vie, leurs traditions et leurs croyances.

Ce roman foisonnant peut faire peur au premier abord, au vu de ses nombreux protagonistes, au vu du temps pris pour les mettre en scène chacun à leur tour, afin que chacun y trouve sa place, son rôle. Mais ne vous arrêtez pas à ça, vous ne le regretterez pas. Aucunement on ne se perd. Au contraire, la force de ce livre, c'est eux justement. On aime les voir interagir, évoluer, se battre, espérer, vivre, s'imposer à nous.

À l'origine, c'est "Dans le silence du vent" que je voulais lire, grâce aux récents et superbes retours de Nicola (@NicolaK) et de Chrystèle (@HordeDuContrevent). Mais comme il n'était pas dispo à la bibliothèque, je me suis rabattue sur "Celui qui veille", un peu par hasard, un peu pour sa couverture aussi. Alors merci les filles : sans vous, je ne connaîtrais toujours pas Louise Erdrich et ce serait sacrément dommage !
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Sur les maigres terres que cinq siècles de domination leur a laissées, ils tentent de survivre. Démunis mais encore riches d'une culture ancestrale qui les identifient. Or c'est ce dernier bastion que le gouvernement fédéral veut abattre. Une assimilation, une « termination » selon le terme anglais. le renoncement à leur identité, un statut de citoyen américain, et la condamnation certaine à la mendicité.

Thomas n'en veut pas. Ni lui ni aucun de ses pairs. S'il cultive ses terres le jour, il travaille aussi la nuit pour nourrir sa famille. C'est au cours de ces veilles qui le privent d'un sommeil réparateur jusqu'à l'hallucination, qu'il élabore une stratégie pour défendre les droits de sa tribu auprès des instances gouvernementales.

Patrice lutte aussi. Elle améliore le quotidien de sa famille avec le maigre salaire que lui octroie l'usine de pierres d'horlogerie et essaie même de faire des économies pour un jour reprendre ses études. D'autres combats animent ses journées : retrouver sa soeur Vera, dont on est sans nouvelles depuis son départ à la ville, et protéger sa famille des exactions avinées de son père. Il lui reste peu de temps pour les questions intimes qu'elle se pose.

Plongeant au coeur de ses racines, Louise Erdrich donne une fois de plus la parole au peuple de ses ancêtres, qui, à force de ténacité, est parvenu à persister dans le paysage nord-américain. Spoliés de leurs terres, mis au ban de la société, les indiens ont payé très cher l'invasion du continent.

On parcourt avec empathie l'histoire de cette poignée de résistants du Dakota du nord, prêts à payer de leur personne pour défendre leur légitimité.

Superbe roman choral, animé d'une conviction profonde, déclarant avec fermeté mais sans violence l'injustice faite aux premiers votes du continent américain.

560 pages Albin-Michel 5 janvier 2022
Sélection janvier Grand Prix Elle 2022
Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Une fois encore, j'ai ouvert un livre pour entendre la voix magistrale de Louise Erdrich qui me parle des siens, les Chippewa, peuple amérindien du Dakota du Nord, luttant âprement pour défendre leurs droits opprimés, cette autrice américaine qui ne cesse d'être à leurs côtés, ici encore dans ce très beau roman, pour rappeler ce qu'ils ont de plus cher, leurs terres, leurs croyances, leurs rites et leur mémoire et que les autorités américaines n'ont eu de cesse de venir piétiner, mépriser, bafouer...
Nous sommes donc dans le Dakota du Nord, dans les années cinquante. Celui qui veille, c'est justement un veilleur de nuit dans l'usine de pierres d'horlogerie proche de la réserve de Turtle Mountain, il s'appelle Thomas Wazhashk, il est Chippewa. Mais le jour, que fait-il ?
Celui qui veille, c'est celui qui ne doit pas dormir, doit tenir la nuit à distance.
J'ai eu l'impression que cet homme ne dormait jamais, n'était pas prêt de fermer l'oeil, veillait au grain, depuis qu'ils avaient décidé, lui et les siens, de se mobiliser contre un projet du gouvernement fédéral censé « émanciper » son peuple. Président du conseil tribal des Chippewas de Turtle Mountain, il est loin d'être un perdreau de l'année, il sait bien que l'adoption de ce texte serait un blanc-seing vers l'effacement de ce qu'ils leur restent de plus cher, ce serait ce que les siens appellent la termination de leurs droits...
Il faut dire que le sénateur qui porte ce projet de loi est un Mormon, bon pourquoi pas après tout, mais quand même avec une étrange façon de considérer son prochain et vouloir lui faire du bien surtout lorsqu'il est différent, ce sénateur a dans l'idée une manière bien particulière de vouloir intégrer pour ne pas dire assimiler l'identité des minorités, c'est-à-dire tout bonnement les effacer.
Ce majestueux roman est le récit de deux Chippewa qui vont se dresser, se tenir debout, lui et sa nièce, une jeune femme nommée Patrice, encore naïve à bien des endroits, hantée par la disparition de sa soeur ainée et de son désir ardent de la retrouver. Tous deux, mais pas qu'eux, vont se dresser pour réagir et marcher vers Washington, faire entendre leur voix, celle d'un peuple encore uni et solidaire de leur cause.
Je vous avoue avoir ressenti une émotion particulière pour cette jeune femme amérindienne, Patrice, figure touchante, émouvante, embarquée un peu malgré elle dans une histoire intime qui va croiser la dimension universelle de ce roman.
Ce récit emporte derrière eux toute une kirielle de personnages haut en couleurs, tous plus attachants les uns que les autres, unis dans une odyssée presque désespérée pour sauvegarder leur identité, leur épargner un drame supplémentaire menacé par ce projet de loi absurde.
Ce sont des personnages à la fois ordinaires et terriblement idéalistes, parfois abimés par leurs rêves ou par l'alcool, ou bien tout simplement par ce désir insoutenable de survivre avant que d'être broyés dans la masse ou dans la nasse d'une loi qui n'est pas faite pour eux. J'ai croisé ici un boxeur, un professeur de maths, des femmes, des hommes, des jeunes, des anciens, des vies précaires, fragiles, impuissantes et méprisées, mais animées d'une foi irrésistible dans ce qui fait l'ADN de leur peuple.
C'est un récit polyphonique bouillonnant de vies individuelles prises dans le courant frénétique d'une aventure effervescente qui va puiser des élans de solidarité parmi cette société de pauvreté mais de dignité et de rigueur aussi.
Entre rêve et réalité, c'est un livre épris d'humanité. L'humour de certaines scènes y contribuent sans doute aussi...
Parfois des esprits traversent discrètement les pages, à moins que ce ne soient des auréoles boréales ou bien ce sont peut-être simplement mes yeux émus, humides, qui tentent de se faufiler entre les vivants et les morts.
Des rêves prémonitoires, un peu de tabac qu'on brûle au pied d'un sycomore, une chouette harfang qui tape à la fenêtre, le ciel de ce roman est empli de fantômes et de constellations.
J'ai aimé savoir que les personnages de cette histoire se sentent protégés malgré tout, protégés par ceux qui ne sont plus là et qui veillent sur eux, qu'importe d'y croire ou de ne pas y croire, protégés aussi par ceux qui sont bien vivants, têtus, pugnaces, se dressent debout pour affronter des lois censés décider de leur bien-être à leur place ; brusquement la plume légèrement onirique de Louise Erdrich nous invite à imaginer que ces êtres vivants croisent l'invisible, l'impossible, le temps d'un effleurement. C'est beau.
Veiller sur les siens est une force incroyable, intemporelle, nous dit humblement ce récit.
J'ai été touché que Louise Erdrich, convoquant un récit inspiré de l'histoire de son grand-père, vienne puiser une fois de plus dans la mémoire blessée de ses ancêtres.
Son écriture, à la fois évocatrice et tout en retenue, poétique et sobre, esquisse en quelques lignes des portraits convaincants, attachants, familiers qui m'ont pris par la main, m'ont rallié à leur cause, ne m'ont plus quitté... Longtemps après avoir refermé le livre…
Ode à la différence, à la fraternité, au bien commun qu'il faut protéger comme une terre sacrée, ce récit inspirant nous invite par un magnifique pas de côté vers nos vies fracturées qu'il nous faut recoudre.
Celui qui veille, c'est peut-être l'Indien qui sommeille en nous.
Ce fut un plaisir de découvrir ce roman avec quelques fidèles amis d'ici dans le cadre d'un programme de lectures communes magnifiquement orchestré par Sandrine (@HundredDreams) et nous invitant à cheminer dans l'oeuvre riche de Louise Erdrich.
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critiques presse (6)
Telerama
16 octobre 2023
Hymne à la mémoire, ce roman foisonne, lancé dans sa tâche impossible de saisir « le frottement du temps », de tout embrasser, tout immortaliser.
Lire la critique sur le site : Telerama
LeFigaro
11 mai 2022
Fille d’une Indienne chippewa de Turtle Mountain, Louise Erdrich sait de quoi elle parle et envoie promener les mauvaises caricatures qui, depuis si longtemps, collent à la peau de ces autochtones méprisés, le plus souvent impuissants devant leurs droits bafoués.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Bibliobs
11 mai 2022
Sans aucun moyen financier face au rouleau compresseur fédéral, la lutte acharnée de Thomas offre au récit une solide colonne vertébrale. Mais ce sont les personnages féminins qui emportent l’adhésion [...].
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Depuis la parution de Love Medecine, vers le milieu des années 1980, l’écrivaine américaine Louise Erdrich n’a pas hésité à reprendre la plume pour nous offrir une œuvre aussi singulière que nécessaire.
Lire la critique sur le site : LeJournaldeQuebec
LeMonde
13 janvier 2022
Louise Erdrich nous invite […] à une méditation sur le langage. Sur le sens de ces mots modernes – assimilation, relocalisation, émancipation… –, termes « sobres et parfaitement inoffensifs » en apparence mais qui, à eux seuls, peuvent causer la ruine d’un peuple.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LaCroix
06 janvier 2022
Ce roman inspiré par son histoire familiale est le portrait d’une communauté amérindienne déterminée à vivre coûte que coûte.
Lire la critique sur le site : LaCroix
Citations et extraits (181) Voir plus Ajouter une citation
La beauté des feuilles avait disparu, un autre quart de la grande roue de l'année avait tourné. Les branches élégantes étaient nues. Il adorait ce moment où la véritable forme des arbres se révélait. Il dormait et dormait encore. Pouvait dormir tout un jour et toute une nuit. C'était étrange, se disait-il, qu'avec si peu de temps devant lui, il choisisse de le passer délicieusement inconscient. Il éprouvait pourtant toujours l'envie folle de s'abreuver à la grandeur du monde. Les jours les plus doux, quand il s'emmitouflait pour s'installer dehors sur sa petite chaise, il sentait le murmure des racines sous la terre. Les arbres buvaient une dernière goulée des grandes eaux coulant dans les profondeurs avant de s'endormir. S'endormir, comme lui. Sous cette couche d'eau, il percevait la présence d'autres êtres qui bougeaient si lentement que les humains n'avaient généralement pas conscience de leur existence. Mais lui détectait leurs mouvements, tout là-bas dessous. Et plus profond encore, bien plus profond, sous ces êtres, il y avait le feu de la création, enterré par les étoiles au centre de la terre.
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Harry vivait avec une chienne appelée Edith, brune, intelligente, d’apparence quelconque. Comme toujours lorsqu’un être humain vit seul avec un chien, Edith avait développé des dons de clairvoyance. Le temps que Harry arrive, elle savait qu’il avait ramassé quelqu’un sur la route. Elle attendait dans l’allée, en silence, sur le qui-vive. Elle s’approcha lorsqu’il se gara et se tint à ses côtés tandis qu’il plongeait à l’arrière du véhicule. Il en sortit l’autre être humain, tituba un peu en le soulevant dans ses bras, se redressa et se mit en marche. La façon dont Harry tenait cette femme fit comprendre à Edith qu’elle devrait monter la garde auprès d’elle.
Elle lui renifla les jambes : la femme portait les vêtements d’un homme qui cuisinait gras, elle avait dormi dans la neige et la menthe sauvage, près du cadavre d’une mouffette, elle avait récemment été en ville et, avant ça, sur l’eau. Il n’y avait pas de maladie en elle mais elle était perdue, désespérée, et elle choisirait peut-être de dormir pour toujours. Edith acceptait tout cela. Quand Harry porta la femme à l’intérieur, la chienne suivit. Au garde-à-vous, les oreilles mobilisées, elle le regarda déposer sa charge sur le canapé qu’elle-même s’appropriait souvent lorsqu’il dormait. C’était un long divan moelleux et la femme était petite. Edith voulait bien partager.
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« – Nous, nous sommes d’ici. » Thomas plongea un moment dans ses pensées en buvant son thé. « Réfléchissez. Si nous, les Indiens, nous avions levé l’ancre, vogué là-bas, tué la plupart des Européens et pris votre terre, hein ? Imaginons que vous ayez une grande ferme en Angleterre. Qu’on s’y installe et qu’on vous en chasse. Qu’est-ce que vous diriez, alors ? »
Ébranlé par ce scénario, Barnes haussa les sourcils avec une telle rapidité qu’une mèche de cheveux lui tomba sur le front.
« Je dirais qu’on était là les premiers.
– D’accord, dit Thomas. Imaginons qu’on s’en fiche. Comme vous avez survécu à tout le bazar, on vous autorise à garder un petit lopin et à y vivre, mais à condition que vous adoptiez notre langue et nos mœurs. Ajoutons que nous sommes des Indiens à l’ancienne. Vous devez donc devenir un Indien à l’ancienne et parler chippewa. »
Barnes sourit en pensant à Zhaanat.
« Je ne le pourrais pas, dit-il.
– C’est normal, reprit Thomas, et ça tombe bien, personne ne vous le demande. Eh bien moi non plus je ne peux pas devenir un homme blanc. C’est comme ça. Je peux parler anglais, planter des pommes de terre, tenir une liasse[…] »
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Alors on en est là, se dit Thomas en fixant la froide succession de phrases de la proposition de loi. On a survécu à la variole, à la carabine à répétition, à la mitrailleuse Hotchkiss et à la tuberculose. À la grippe de 1918 et à quatre ou cinq guerres meurtrières sur le sol américain. Et c'est à une série de mots ternes que l'on va finalement succomber. Réallocation, intensification, termination, assurer, et cetera.
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Thomas ressassait le mémoire dans ses moindres détails

Bonne nouvelle : nous sommes suffisamment pauvres pour demander que le gouvernement maintienne, et même améliore, le statu quo. Mauvaise nouvelle : nous sommes très pauvres. Bonne nouvelle : le comté, l’Etat et nos voisins des villes hors réserve ne veulent pas nous avoir sur les bras.

Mauvaise nouvelle : ce n’est pas seulement parce que nous sommes pauvres, mais aussi parce qu’ils ne nous aiment pas.

Bonne nouvelle : nous avons tous un toit sur la tête. Mauvaise nouvelle : 97 % de ces toits sont en papier goudronné. Bonne nouvelle : nous avons des écoles.

Mauvaise nouvelle : beaucoup d’entre nous sont illettrés. Bonne nouvelle : on a trouvé un remède au dernier fléau à s’être abattu sur nous, la tuberculose. Mauvaise nouvelle : beaucoup de parents en sont morts et leurs enfants ont grandi au pensionnat. Bonne nouvelle : nous avons ce mémoire. Mauvaise nouvelle : ce que dit ce mémoire.
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Videos de Louise Erdrich (23) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Louise Erdrich
C'est par la poésie que Gaëlle Josse est entrée en littérature. Elle a publié plusieurs recueils, jusqu'à ce jour où elle découvre un tableau d'un peintre flamand qui la happe littéralement. Sur cette toile, une femme, de dos, dont il devient urgent pour Gaëlle Josse de raconter l'histoire. Son premier personnage est là et le roman naît. Les Heures silencieuses paraît en 2011. En treize ans, treize autres livres suivront : des romans, des essais, un recueil de microfictions. Tous nous embarquent dans des univers différents, font exister des personnages -réels ou fictionnels-, disent la force de l'art -pictural, photographique ou musical-, et mettent des mots sur nos émotions avec une grande justesse.
Au cours de ce deuxième épisode de notre podcast avec Gaëlle Josse, nous continuons d'explorer son atelier d'écrivain : ses obsessions, son processus d'écriture, la façon dont le désir d'écrire naît et grandit. un conversation émaillée de conseils de lecture et d'extraits.
Voici la liste des livres évoqués dans cet épisode :
- Et recoudre le soleil, de Gaëlle Josse (éd. Noir sur blanc) : https://www.librairiedialogues.fr/livre/20108563-et-recoudre-le-soleil-gaelle-josse-les-editions-noir-sur-blanc ;
- À quoi songent-ils, ceux que le sommeil fuit ?, de Gaëlle Josse (éd. Noir sur blanc) : https://www.librairiedialogues.fr/livre/23044434-a-quoi-songent-ils-ceux-que-le-sommeil-fuit--gaelle-josse-les-editions-noir-sur-blanc ;
- La Nuit des pères, de Gaëlle Josse (éd. Noir sur blanc/J'ai lu) : https://www.librairiedialogues.fr/livre/22564206-la-nuit-des-peres-gaelle-josse-j-ai-lu ;
- Ce matin-là, de Gaëlle Josse (éd. Noir sur blanc/J'ai lu) : https://www.librairiedialogues.fr/livre/20840891-ce-matin-la-gaelle-josse-j-ai-lu ;
- L'Amour, de François Bégaudeau (éd. Verticales) : https://www.librairiedialogues.fr/livre/22446116-l-amour-francois-begaudeau-verticales ;
- La Sentence, de Louise Erdrich (éd. Albin Michel) : https://www.librairiedialogues.fr/livre/22512129-la-sentence-louise-erdrich-albin-michel.
Invitée : Gaëlle Josse
Conseils de lectures de : Anthony Cerveaux, bibliothécaire à la médiathèque des Capucins, à Brest, et Rozenn le Tonquer, libraire à la librairie Dialogues, à Brest
Enregistrement, interview et montage : Laurence Bellon
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Les Éclaireurs de Dialogues, c'est le podcast de la librairie Dialogues, à Brest. Chaque mois, nous vous proposons deux nouveaux épisodes : une plongée dans le parcours d'un auteur ou d'une autrice au fil d'un entretien, de lectures et de plusieurs conseils de livres, et la présentation des derniers coups de coeur de nos libraires, dans tous les rayons : romans, polar, science-fiction, fantasy, BD, livres pour enfants et adolescents, essais de sciences humaines, récits de voyage…
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