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EAN : 9782226455994
560 pages
Albin Michel (05/01/2022)
  Existe en édition audio
4.02/5   365 notes
Résumé :
Dakota du Nord, 1953. Thomas Wazhashk, veilleur de nuit dans l’usine de pierres d’horlogerie proche de la réserve de Turtle Mountain, n’est pas près de fermer l’œil. Il est déterminé à lutter contre le projet du gouvernement fédéral censé « émanciper » les Indiens, car il sait bien que ce texte est en réalité une menace pour les siens.
Contrairement aux autres jeunes employées chippewas de l’usine, Pixie, la nièce de Thomas, ne veut pour le moment ni mari ni ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (97) Voir plus Ajouter une critique
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sur 365 notes
Louise Erdrich fait partie de ces auteurs américaines que je suis assidument, une voix littéraire forte pour porter l'étendard des communautés amérindiennes à l'instar d'une Toni Morrison pour la communauté afro-américaine. Cette fois, elle revient auréolée du très prestigieux Prix Pulitzer 2021 avec un roman inspiré par le combat politique de son grand-père, Patrick Gourneau lorsqu'il a défié le rouleau compresseur fédéral. Elle a retrouvé sa correspondance, formidable matériau de départ.

Le 1er août 1953, le Congrès des Etats-Unis adopte la Résolution 108 qui pose le principe de la politique de « termination ». Sous couvert d'égalité entre tous les citoyens américains, et d' « émancipation » il s'agit pour le gouvernement fédéral de renier les traités conclus de nation à nation avec les différentes tribus. In fine de supprimer les tribus en leur faisant perdre leur singularité autochtone. Officieusement de les dépouiller de leurs riches terres sises sur des réserves. Lorsque Thomas, président du conseil consultatif de la Bande d'Indiens Chippewas de Turtle Mountain ( Dakota du Nord ), double fictif de son grand-père, réalise la portée de cette loi scélérate, il décide de livrer combat dans ce nouveau front des guerres indiennes, une guerre légale, législative en préparant minutieusement son audience à Washington.

Celui qui veille n'est pas un roman à thèses. Louise Erdrich repense complètement le roman politique classiquement premier degré. Elle aurait également pu opter pour le rythme du thriller en exploitant un suspense quelque peu artificiel sur l'issue de la délégation chippewa au Congrès dans cette course contre la montre pour survivre et conserver ses traditions ancestrales. Elle propose plutôt un carnet d'esquisses croquant affectueusement les habitants de la réserve de Turtle Mountain. Leurs luttes prennent ainsi vie de façon très intime.

Le roman est structuré autour de deux personnages dont on suit les destins parallèles,  : Thomas, donc, et Pixie dite Patrice, jeune femme de dix-neuf ans qui travaille dans la même usine de pierres d'horlogerie que Thomas sur la réserve. Les deux ont quelque chose d'a priori très stéréotypée et pourtant on est immédiatement en empathie avec eux. Lui si bon, droit et parfait, qu'il en pourrait devenir ennuyeux ; elle si résolument battante qu'elle semble miraculeusement insubmersible même lorsqu'il s'agit de partir en mode guérilla urbaine retrouver sa soeur Vera. Deux personnages forts mais pas seulement, avec eux suivent les cercles sans cesse élargis de leurs relations.

En fait toute la puissance du récit naît des personnages, tournoie autour d'eux, de leurs émotions, de leurs colères, de leurs interactions foisonnantes. Ce sont eux qui guident la narration et l'imposent. Ce sont les maitres absolus du roman. Et ils sont très nombreux. Tellement qu'on pourrait décrocher de ce récit kaléidoscopique, être étourdi par l'alternance de chapitres courts changeant souvent de perspective narrative, chacun avec des cadences très fluctuantes. Au contraire, chaque nouveau personnage rajoute une couche d'intérêt et permette à l'auteur d'embrasser de nombreuses thématiques au-delà de la lutte contre le Termination Act : amour, identité, culture amérindienne, enlèvements et assassinats des femmes autochtones etc dans des tonalités très différentes passant de la tragédie la plus sombre à un sens du comique assumé. L'histoire est incarnée dans chaque parcelle écrite.

J'ai refermé ce roman très émue par son engagement lumineux et vibrant, empli d'une vitalité complice. Ce livre donne du courage, c'est un appel à l'Humanité sans lamento convoquant l'intelligence du lecteur à méditer sur le sens d'une lutte juste.
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« Celui qui veille » le nouveau roman de Louise Erdrich est un événement, comme à chaque parution chez Albin Michel d'un de ses livres. Celui-ci encore davantage, car il a été récompensé du Prix Pulitzer 2021. Un roman choral où l'on retrouve la voix si singulière et sublime de l'auteure, son style d'écriture tout en subtilité, délicatesse et émotion mais sans omettre de dire les choses, de les dénoncer avec force. La grande voix du roman américain contemporain, s'intéresse une nouvelle fois aux peuples Indiens et à leur sort dans cette histoire troublée et peuplée de fantômes des massacres perpétrés contre les Indiens par les États-Unis. Placé ensuite dans des réserves, les Indiens ont été forcés à l'assimilation avant qu'une loi inique, venant de Washington, ne cherche à bouleverser une énième fois les traités dûment signés entre les peuples indiens et Washington, l'État fédéral. Librement inspiré de la lutte pour la préservation des droits de son peuple de son grand père maternel dans les années 1950, Louise Erdrich nous plonge, nous immerge dans ce débat bouillonnant.

Deux histoires se croisent dans ce beau roman. La première est celle de Thomas Wazhashk qui est veilleur de nuit dans une usine de pierres d'horlogerie de la réserve de Turtle Mountain. Mais il est également, le président du conseil tribal de Turtle Mountain, celui qui veille sur son peuple et qui va se lever, vent debout, contre la résolution du Congrès des États-Unis stipulant que les Indiens allaient être émancipés. Ce terme « émancipation » fait réfléchir Thomas qui comprend la supercherie et la duperie se cachant derrière ces termes employés. « Émancipations », ils n'étaient pourtant pas des esclaves. Les émanciper de leurs statuts d'Indiens, les émanciper de leurs terres. En fait, on souhaitait ni plus ni moins que les libérer des traités que son père Biboon, et son grand père avant lui, avaient signés. Des traités censés durer pour toujours. Pour Thomas, il fallait lutter pour que la tribu reste « un problème » et pas pour que leurs statuts d'Indiens ne leurs soient ôtés. Au fond, la duplicité du Congrès est situé dans cette envie de vendre les terres des Indiens pour les « relocaliser » ailleurs. C'est un dialogue de sourd qui s'installe, un combat de longue haleine qui est parfaitement retranscrit ici, car on le sent, c'est un sujet qui tient à coeur à Louise Edrich puisque qu'elle nous parle de cette figure tutélaire de ce grand père maternel et de son peuple : les Chippewas.

Nous sommes dans le Dakota du Nord en 1953, (lieu de naissance de Louise Erdrich), et c'est ici que la grande histoire, celle de Thomas rejoint un autre récit : la quête de Pixie pour retrouver à Minneapolis sa soeur aînée Vera et son bébé. Celle-ci n'a plus donné signe de vie depuis des mois. Pour la première fois Pixie va quitter la réserve. Elle est la nièce de Thomas et une employée chippewas de l'usine. Elle a une forme de singularité et d'innocence car elle souhaite faire des études et ne veut, pour le moment, ni mari, ni enfants. Elle a un père alcoolique quittant le foyer familial. Une grande pauvreté dans ces réserves mais aussi la fierté de maintenir la langue chippewas, les traditions qui cohabitent avec leurs nouveaux usages instaurés par les hommes blancs. Il y a une profonde méfiance face à ces hommes qui leur ont bien trop souvent menti. Pixie fabrique elle-même sa valise car elle n'a pas l'argent pour en acheter une, chez elle, il n'y a pas d'électricité mais par contre, il y a l'amour d'une mère : Zhaanat. Les femmes ont un rôle très important dans le roman de Louise Erdrich. Elles sont les gardiennes des traditions, des valeurs de leur peuple, protectrice de leurs époux et de leurs enfants comme Rose, la femme de Thomas. Nul manichéisme pour autant, la complexité des rapports humains entre les Indiens eux-mêmes est parfaitement rendu. Pixie est un personnage de jeune fille fort attachant. Deux hommes aiment passionnément Pixie : un professeur de boxe blanc, Barnes, qu'elle n'aime pas. L'autre homme est lui aussi boxeur et il s'appelle Wood Mountain, un colosse au grand coeur. Cette histoire, celle de Pixie est celle qui m'a le plus passionné. le combat de Pixie et celui de Thomas, leur courage, leur abnégation m'ont profondément ému.

C'est assurément un de ces romans que l'on n'oublie pas. Magnifiquement écrites, ces deux histoires n'en formant qu'une, vont vous bouleverser. Louise Erdrich renoue avec ce qu'elle sait faire de mieux, parler de l'histoire des peuples indiens, leur offrir par sa plume, une voix qui ne s'éteindra pas , celle de la littérature intemporelle comme vecteur puissant d'expression du mal être mais aussi de la beauté de la culture indienne.
Lien : https://thedude524.com/2022/..
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Sur les maigres terres que cinq siècles de domination leur a laissées, ils tentent de survivre. Démunis mais encore riches d'une culture ancestrale qui les identifient. Or c'est ce dernier bastion que le gouvernement fédéral veut abattre. Une assimilation, une « termination » selon le terme anglais. le renoncement à leur identité, un statut de citoyen américain, et la condamnation certaine à la mendicité.

Thomas n'en veut pas. Ni lui ni aucun de ses pairs. S'il cultive ses terres le jour, il travaille aussi la nuit pour nourrir sa famille. C'est au cours de ces veilles qui le privent d'un sommeil réparateur jusqu'à l'hallucination, qu'il élabore une stratégie pour défendre les droits de sa tribu auprès des instances gouvernementales.

Patrice lutte aussi. Elle améliore le quotidien de sa famille avec le maigre salaire que lui octroie l'usine de pierres d'horlogerie et essaie même de faire des économies pour un jour reprendre ses études. D'autres combats animent ses journées : retrouver sa soeur Vera, dont on est sans nouvelles depuis son départ à la ville, et protéger sa famille des exactions avinées de son père. Il lui reste peu de temps pour les questions intimes qu'elle se pose.

Plongeant au coeur de ses racines, Louise Erdrich donne une fois de plus la parole au peuple de ses ancêtres, qui, à force de ténacité, est parvenu à persister dans le paysage nord-américain. Spoliés de leurs terres, mis au ban de la société, les indiens ont payé très cher l'invasion du continent.

On parcourt avec empathie l'histoire de cette poignée de résistants du Dakota du nord, prêts à payer de leur personne pour défendre leur légitimité.

Superbe roman choral, animé d'une conviction profonde, déclarant avec fermeté mais sans violence l'injustice faite aux premiers votes du continent américain.

560 pages Albin-Michel 5 janvier 2022
Sélection janvier Grand Prix Elle 2022
Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Le « Termination Act » est une loi votée en 1953 et 1954 par le Congrès américain, destinée à "libérer les Indiens de la tutelle fédérale". Rompant avec la loi de Réorganisation Indienne de 1934, cette loi tend à mettre fin à l'existence des tribus indiennes pour les fondre dans la société américaine. Elle a ainsi causé la disparition de nombreuses réserves, dont les habitants ont été dispersés.

En s'inspirant de l'histoire de son propre grand-père et du combat qu'il a mené contre cette loi, Louise Erdrich fait débuter son histoire en septembre 1953, dans le Dakota du Nord, et nous invite à suivre toute une palette de personnages, dont Thomas Wazhashk, indien Chippewa de la réserve de Turtle Mountain, veilleur de nuit à la tombée du jour et président du Bureau des affaires indiennes en journée. Déterminé à défendre les droits de sa communauté et le peu de territoire qu'on leur a laissé, Thomas est prêt à se déplacer jusqu'à Washington pour se faire entendre.

Celui qui veille, c'est bien évidemment Thomas, mais tout ne tourne pas autour de lui. On fait connaissance avec tout un tas d'autres personnages aussi intéressants les uns que les autres, des Indiens pour la plupart, mais aussi de quelques Blancs. Il y a Patrice, jeune femme déterminée à retrouver sa soeur disparue ; Wood Mountain, boxeur au grand coeur ; Barnes, professeur de mathématiques et entraîneur de boxe en quête d'amour ; Juggie Blue, la cuisinière ; Roderick, le fantôme ; LaBatte, le poisseux ; Louis et ses feuilles de pétition ; Vera, la soeur disparue ; et bien d'autres encore. C'est l'ensemble d'une communauté que l'on suit, dans leur lutte contre le Congrès, mais aussi dans leur vie quotidienne. Ils se connaissent tous et ont tous plus ou moins des liens de parenté. Chacun traîne son histoire, ses problèmes, ses préoccupations, ses rêves...

Ils sont nombreux oui, mais on les apprivoise, on apprend à les apprécier au fur et à mesure qu'on apprend à les connaître. On fait de leur combat le nôtre, on aimerait s'investir nous aussi, on leur souhaite d'obtenir gain de cause.

Louise Erdrich nous propose là un roman tel que je les aime : complet, méticuleusement travaillé tant sur la forme que sur le fond. Elle connaît clairement son sujet et sait nous en parler de telle sorte qu'on a l'impression d'être nous-mêmes concernés. À la fois fiction biographique et roman historique, elle donne la voix à ses nombreux personnages, qu'on entend distinctement. Grâce à son travail minutieux, elle nous offre un contexte historique immersif, des personnages bien fouillés (pour la plupart), une histoire brillante (bien que ce terme soit en contradiction avec les sujets abordés), une lecture addictive. Elle use d'une plume par ailleurs à la fois déterminée et envoûtante, octroyant une certaine intensité, une certaine puissance à son récit, tant dans les ressentis des personnages, dans leurs relations aux autres, ou encore dans leur mode de vie, leurs traditions et leurs croyances.

Ce roman foisonnant peut faire peur au premier abord, au vu de ses nombreux protagonistes, au vu du temps pris pour les mettre en scène chacun à leur tour, afin que chacun y trouve sa place, son rôle. Mais ne vous arrêtez pas à ça, vous ne le regretterez pas. Aucunement on ne se perd. Au contraire, la force de ce livre, c'est eux justement. On aime les voir interagir, évoluer, se battre, espérer, vivre, s'imposer à nous.

À l'origine, c'est "Dans le silence du vent" que je voulais lire, grâce aux récents et superbes retours de Nicola (@NicolaK) et de Chrystèle (@HordeDuContrevent). Mais comme il n'était pas dispo à la bibliothèque, je me suis rabattue sur "Celui qui veille", un peu par hasard, un peu pour sa couverture aussi. Alors merci les filles : sans vous, je ne connaîtrais toujours pas Louise Erdrich et ce serait sacrément dommage !
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Sur les terres de la réserve de Turtle Moutain en 1953 , dans le Dakota du Nord, Thomas s'apprête à se battre pour que la loi de "termination" ne passe pas . Cette loi priverait les indiens de leur terre , après les avoir privés de tant d'autres choses.

Louise Erdrich a écrit un livre pour honorer la mémoire de son grand père, Thomas ici, mais aussi pour que l'histoire se souvienne de cette loi de termination qui sous ses aspects 'intégration' visait purement et simplement à faire main basse sur le peu que possédaient les indiens.

Au de là de l'histoire de Thomas, c'est toute la communauté que l'on va suivre . On imagine les conditions précaires , notamment des habitations , l'alcoolisme latent, la brutalité des moeurs, le racisme.
Il y a plusieurs livres dans ce livre en fait : le combat remarquable de Thomas certes , les rapports indiens/ américains , mais aussi les doutes d'une jeune fille, le volet un indien dans la ville , bien moins réjouissant que sa version cinématographique, les traditions, les rituels , la vie de la communauté au milieu du XXème siècle .
Beaucoup de raisons de lire ce livre . Je ne suis pas particulièrement sensible au style de l'auteur mais elle raconte très bien les histoires et a sans doute donné beaucoup d'elle même pour fusionner l'histoire familiale , L Histoire et la fiction.
Et c'est franchement une belle réussite.
Ce livre se conclut sur quelques mots de l'auteur qui a eux seuls valent la lecture .
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critiques presse (5)
LeFigaro
11 mai 2022
Fille d’une Indienne chippewa de Turtle Mountain, Louise Erdrich sait de quoi elle parle et envoie promener les mauvaises caricatures qui, depuis si longtemps, collent à la peau de ces autochtones méprisés, le plus souvent impuissants devant leurs droits bafoués.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Bibliobs
11 mai 2022
Sans aucun moyen financier face au rouleau compresseur fédéral, la lutte acharnée de Thomas offre au récit une solide colonne vertébrale. Mais ce sont les personnages féminins qui emportent l’adhésion [...].
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Depuis la parution de Love Medecine, vers le milieu des années 1980, l’écrivaine américaine Louise Erdrich n’a pas hésité à reprendre la plume pour nous offrir une œuvre aussi singulière que nécessaire.
Lire la critique sur le site : LeJournaldeQuebec
LeMonde
13 janvier 2022
Louise Erdrich nous invite […] à une méditation sur le langage. Sur le sens de ces mots modernes – assimilation, relocalisation, émancipation… –, termes « sobres et parfaitement inoffensifs » en apparence mais qui, à eux seuls, peuvent causer la ruine d’un peuple.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LaCroix
06 janvier 2022
Ce roman inspiré par son histoire familiale est le portrait d’une communauté amérindienne déterminée à vivre coûte que coûte.
Lire la critique sur le site : LaCroix
Citations et extraits (162) Voir plus Ajouter une citation
La beauté des feuilles avait disparu, un autre quart de la grande roue de l'année avait tourné. Les branches élégantes étaient nues. Il adorait ce moment où la véritable forme des arbres se révélait. Il dormait et dormait encore. Pouvait dormir tout un jour et toute une nuit. C'était étrange, se disait-il, qu'avec si peu de temps devant lui, il choisisse de le passer délicieusement inconscient. Il éprouvait pourtant toujours l'envie folle de s'abreuver à la grandeur du monde. Les jours les plus doux, quand il s'emmitouflait pour s'installer dehors sur sa petite chaise, il sentait le murmure des racines sous la terre. Les arbres buvaient une dernière goulée des grandes eaux coulant dans les profondeurs avant de s'endormir. S'endormir, comme lui. Sous cette couche d'eau, il percevait la présence d'autres êtres qui bougeaient si lentement que les humains n'avaient généralement pas conscience de leur existence. Mais lui détectait leurs mouvements, tout là-bas dessous. Et plus profond encore, bien plus profond, sous ces êtres, il y avait le feu de la création, enterré par les étoiles au centre de la terre.
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Harry vivait avec une chienne appelée Edith, brune, intelligente, d’apparence quelconque. Comme toujours lorsqu’un être humain vit seul avec un chien, Edith avait développé des dons de clairvoyance. Le temps que Harry arrive, elle savait qu’il avait ramassé quelqu’un sur la route. Elle attendait dans l’allée, en silence, sur le qui-vive. Elle s’approcha lorsqu’il se gara et se tint à ses côtés tandis qu’il plongeait à l’arrière du véhicule. Il en sortit l’autre être humain, tituba un peu en le soulevant dans ses bras, se redressa et se mit en marche. La façon dont Harry tenait cette femme fit comprendre à Edith qu’elle devrait monter la garde auprès d’elle.
Elle lui renifla les jambes : la femme portait les vêtements d’un homme qui cuisinait gras, elle avait dormi dans la neige et la menthe sauvage, près du cadavre d’une mouffette, elle avait récemment été en ville et, avant ça, sur l’eau. Il n’y avait pas de maladie en elle mais elle était perdue, désespérée, et elle choisirait peut-être de dormir pour toujours. Edith acceptait tout cela. Quand Harry porta la femme à l’intérieur, la chienne suivit. Au garde-à-vous, les oreilles mobilisées, elle le regarda déposer sa charge sur le canapé qu’elle-même s’appropriait souvent lorsqu’il dormait. C’était un long divan moelleux et la femme était petite. Edith voulait bien partager.
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Alors on en est là, se dit Thomas en fixant la froide succession de phrases de la proposition de loi. On a survécu à la variole, à la carabine à répétition, à la mitrailleuse Hotchkiss et à la tuberculose. À la grippe de 1918 et à quatre ou cinq guerres meurtrières sur le sol américain. Et c'est à une série de mots ternes que l'on va finalement succomber. Réallocation, intensification, termination, assurer, et cetera.
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Thomas ressassait le mémoire dans ses moindres détails

Bonne nouvelle : nous sommes suffisamment pauvres pour demander que le gouvernement maintienne, et même améliore, le statu quo. Mauvaise nouvelle : nous sommes très pauvres. Bonne nouvelle : le comté, l’Etat et nos voisins des villes hors réserve ne veulent pas nous avoir sur les bras.

Mauvaise nouvelle : ce n’est pas seulement parce que nous sommes pauvres, mais aussi parce qu’ils ne nous aiment pas.

Bonne nouvelle : nous avons tous un toit sur la tête. Mauvaise nouvelle : 97 % de ces toits sont en papier goudronné. Bonne nouvelle : nous avons des écoles.

Mauvaise nouvelle : beaucoup d’entre nous sont illettrés. Bonne nouvelle : on a trouvé un remède au dernier fléau à s’être abattu sur nous, la tuberculose. Mauvaise nouvelle : beaucoup de parents en sont morts et leurs enfants ont grandi au pensionnat. Bonne nouvelle : nous avons ce mémoire. Mauvaise nouvelle : ce que dit ce mémoire.
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Comme à chaque changement de saison, Thomas donna une pincée de tabac à son père et lui réclama l’histoire de son nom. Cette histoire les liait l’un à l’autre puisque Thomas avait reçu pour nom de famille le prénom que portait son grand-père. Le vrai Wazhashk, l’originel, était un petit rat musqué.
« Au commencement, dit Biboon, le monde était recouvert d’eau. Le Créateur convoqua les meilleurs plongeurs parmi les animaux. Il envoya d’abord Pékan, la martre pêcheuse, qui était le plus forte d’entre eux, mais celle-ci remonta, en manque d’air, sans avoir trouvé le fond. Ensuite ce fut le tour de Mang, le plongeon huard, qui plongea comme plongent les huards.
(…) En dernier vint l’humble rat musqué, à l’appel du Créateur. Wazhashk. Le petit animal plongea. Il partit longtemps, très longtemps, puis son corps remonta à la surface. Il s’était noyé, mais une de ses pattes était fermée. Le Créateur ouvrit les doigts palmés et vit que le rat musqué avait rapporté un tout petit morceau du fond. Du contenu de cette patte minuscule, le Créateur tira la terre entière. »
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Premier épisode de notre nouveau format vidéo : DANS LES PAGES... de François Busnel !
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"Betty" de Tiffany McDaniel@EditionsGallmeister "Crossroads" de Jonathan Franzen @editionsdelolivier9469 "Les saisons de la nuit" de Colum McCann @universpoche "Water Music" de T. C. Boyle @editionsphebuslibretto2994 "La chorale des maitres bouchers" de Louise Erdrich @VideoAlbinMichel "Feuilles d'Herbe" de Walt Whitman @lesbelleslettres7227
Réalisation, montage et prise de son : Arthur Scanu Mastering : Antoine Daviaud
Merci @lagrandelibrairieet Ines de la Motte Saint-Pierre !
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