Une jeune femme, paumée, accepte, par amour, de transporter le cadavre d'un ami dans un camion frigorifique. Problème, en fait, le corps cachait de la drogue. Elle écope d'une peine de prison longue, très longue. le temps de comprendre et digérer cette « sentence ». Grâce à un dictionnaire, le premier d'une longue série de livres.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que Tookie, le personnage central de ce roman, qui dit « je » et nous raconte son histoire, est cash. Elle est à fleur de peau : passé de droguée, complètement perdue ; passage en prison rédempteur d'une certaine manière. Mais cela n'enlève rien au caractère entier de cette femme qui se crée un passage dans la vie à coup d'épaules malgré les incertitudes. Elle n'est pas du style à se jeter des fleurs, comme le montrent les premières lignes dont j'ai parlé dimanche dernier : « je peux vous dire ceci : je suis moche. Pas comme ces héroïnes de films ou de romans écrits par des hommes, dont la beauté se révèle soudain, aussi éblouissante qu'édifiante. Je n'ai rien de pédagogique. Et pas non plus de beauté intérieure. » Les choses sont claires, Tookie ne nous fera pas le coup de la blonde évaporée qui s'extasie sur tous et toutes. Elle est fragile et ses fêlures ressortent régulièrement, amplifiant les coups qu'elle reçoit de la part du monde.
Et des coups, elle va en recevoir. Pour commencer, elle est amérindienne. Ce qui n'est pas vraiment un avantage dans des États-Unis où subsistent des relents de racisme (comme en France et ailleurs). Elle travaille dans une librairie spécialisée dans les livres traitant des Indiens d'Amérique : romans autochtones, poésie autochtone, témoignages autochtones,… Les ventes sont dans l'ensemble juste correctes avec des hauts et beaucoup de bas. Donc précarité financière. Et à tout cela vont s'ajouter le Covid et le meurtre de George Floyd. Car Tookie vit et travaille à Minneapolis, ville où s'est situé ce dernier drame.
Sans parler du fantôme. Car si je suis allé vers ce roman, alors que je ne connaissais absolument pas
Louise Erdrich malgré son prix Pullitzer (
Celui qui veille, 2021) et sa longue carrière d'écrivaine, c'est parce que j'en avais entendu parler dans des forums de SFFF. On évoquait son côté fantastique. Et, indéniablement, ce côté est présent. Sous les traits de Flora. Flora est une femme dont on apprend la mort page 49. Mais qui va emplir ce roman de sa présence étrange, voire terrifiante. Alors on n'est pas dans un livre d'horreur. Pas de scène sanglantes ou atroces. Mais certaines apparitions de ce fantôme peuvent mettre un peu mal à l'aise ? Une surtout. Cependant, Flora n'est pas le centre du récit, juste un élément qui revient de chapitre en chapitre et disparaît quelques temps. Il faut que l'on comprenne qui elle était de son vivant et ce qu'elle peut bien vouloir obtenir en hantant la librairie où travaillent Tookie et ses collègues et amies. L'occasion de plonger, indirectement, dans l'histoire de certains peuples indiens, dont les Ojibwés, les Dakotas, les Métis. Et les massacres et traitements indignes qu'ils ont subis. Comme lorsque certains Blancs allaient récupérer leurs cadavres pour faire de leurs squelettes des sortes de sculptures. Sans aucun respect pour les morts. Presque incroyable… et pourtant.
Et c'est ce que j'ai apprécié dans ce roman. J'y ai appris des choses. Plein. Et cela m'a donné des envies. Plein. Je ne sais pas celles que je réaliserai, mais un roman qui créé en moi des désirs de découvrir autre chose, ça me plait. Par contre, la narration manque, à mon avis, de structure. On suit Tookie dans son quotidien, à travers ses errances, ses réflexions, sa vie. Et parfois, l'ensemble paraît bien décousu. Mais cela ne m'a pas gêné tant j'ai adhéré rapidement au personnage et à son caractère fantasque, excessif. J'ai donc pris le récit comme il venait, sans me formaliser de certains raccourcis, de certains changements de cap.
En plus,
Louise Erdrich possède des goûts littéraires qui me plaisent. Elle distille au cours du récit plusieurs titres d'ouvrages ou d'auteurs qui lui plaisent (ou non, d'ailleurs : les oreilles de certains doivent siffler). Dont celui d'
Octavia E. Butler et de sa trilogie Xenogenesis que je suis en train de lire au fur et à mesure des publications : L'Aube et L'Initiation. On trouve à la fin du livre une « liste totalement partiale des livres préférés de Tookie ». Subjective à souhait !
La Sentence, si elle n'a pas été un coup de coeur, a été un beau moment de lecture pour moi. Avec des fulgurances qui m'ont fait regarder dans le vide durant plusieurs minutes, le temps de profiter au maximum des derniers mots lus. Avec aussi des passages au rythme bancal qui m'ont fait me demander où j'allais. Mais le bilan est globalement positif et je suis ravi des moments partagés avec Tookie, Pollux, Asema, Hetta et les autres. J'ai maintenant envie de lire d'autres romans de
Louise Erdrich. Et d'en savoir plus sur les Ojibwés. Et d'aller dans cette ville de Minneapolis, tester les soupes qui ont fait les délices de Tookie, un bon livre dans la poche.
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