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3,68

sur 916 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Je l'ai comme vous, ressenti , elle a picoté mes joues , elle a étranglé ma voix, blêmit mon visage , haché mes mots, elle m'a figé et fait trembler..

Mais au delà de toutes ces manifestations extérieures , fait irruption  en moi l'inconnu d'une émotion naturelle.

Elle m'a enfoncé dans l'impuissance  et l'impossibilité de pouvoir y répondre.

Sur le socle des ressentis humains , elle est indicible , aux origines souvent ignorées et inexpliquées.

Elle, c'est la honte...

Alors parlons d'elle ...sans honte!

La honte, cette offense que l'on se fait à soi même inconsciemment , qui vous surprend au détour d'un événement et suscite une véritable réaction d'humiliation.

Ingrate, avilissante, toxique, elle piège la fragile sphère de nos prétendues connaissances de soi.

Un affront , une confusion visibles par tous et partout.

C'est du moins , ce qui est éprouvé lorsque impunément , elle nous met le feu aux joues et que l'on voudrait juste à ce moment se terrer dans un trou..


La honte, une affaire de regard , un sentiment vécu que l'on éprouve  presque jamais face à soi même mais bien face aux autres à chaque fois que nous sommes en décalage avec une réalité , des normes sociales , des pensées uniformisées.

Souvent traduite comme un traumatisme devant la réprobation, une révélation de nos différences .

La lanterne intérieure d'une certaine conscience ou prise de conscience.

Une chute, une dégringolade de soi même.

Impossible à effacer , n'appelant aucun mécanisme de réflexion , elle est la poussée involontaire qui tétanise le corps et l'âme.

L'être entier sombre dans cet inavouable , aucune issue, aucune dérobade possible.

Juste l'affronter, la canaliser ou l'ignorer..

La honte a un impact sur une multitude de traits de notre personnalité et de ses mécanismes de défense.

Une pudeur démasquée , ce que l'on a pas choisi d'être ou de vivre et que l'on subit en profonde appréhension de soi.

Se savoir su, se voir vu..

Levier de conscience, reconnaissance, atteinte à l'intimité , à l'intégrité..

Elle a souvent été l'acolyte de la faute, de l'erreur..

On peut lui prêter mille variantes.

La honte est elle un reflux de nos refoulés?

Est elle un enseignement, un espace de lucidité ?

Est elle à l'origine d'une mésestime de soi?

Mais surtout , une fois passée , la honte a t-elle bonne mémoire?

La honte , cette énigme sans résolution...


A travers ce récit bref et autobiographique, Annie Ernaux passe au crible le phénomène de la honte, de sa honte..

Elle va traquer sa mémoire , forcer le souvenir, analyser avec une précision chirurgicale ce qui l'a conduite à ce sentiment qui ne l'a plus jamais quitté.

Un incipit violent , nous jette instantanément dans le vif du sujet , nous dévoilant d'emblée la fracture de cette vie , séquence dramatique déclenchant le phénomène d'une honte fatale et collante.

Un dimanche comme tant d'autres de cette année 1952..

Un geste, une situation, une image fugace vont à tout jamais marqué l'existence d'Annie Ernaux.

Dans une cave , son père va tenter de tuer  sa mère.

Scène surréaliste , l'autrice n'évoquera que succintement  ce geste d'agression, elle ne cherche ni à le comprendre ni à l'analyser.

A ce moment précis, elle va alors basculer dans une réalité étrange et pesante, celle de la honte, en permanence , qui sera le prétexte tragique à la découverte d'un phénomène de honte sociale.

Cette année 1952, elle va s'efforcer de la revivre comme quelque chose d'inachevé , peut être même en espérant y déterrer des faits oubliés , une compréhension qu'il lui aurait échappée

Un besoin compulsif de tout passer au peigne fin dans les moindres détails.

La double difficulté de narrer et de se reconnaitre dans cet autoportrait.

Elle évoquera alors les lieux de son enfance , son éducation dans cette école catholique et ainsi les dessous de l'hypocrisie sociale et religieuse

Cette prise de conscience de sa condition sociale va devenir alors le berceau de la honte.

Elle comprendra les non dits , le poids des apparences comme un rideau qu'elle viendrait de lever.

La honte ne l'a plus jamais quitté depuis ce jour.

Forte de l'expérience du souvenir , elle nous offre un récit fort , sans fioritures.

Authentique, elle aborde de façon simple et humble la complexité de ce sujet.

Elle nous affranchit de nos propres hontes , les rendant ainsi plus légères et plus acceptables.

La honte se vit seule mais se révèle par l'autre..



"Il était normal d'avoir honte , comme d'une conséquence inscrite dans le métier de mes parents , leurs difficultés d'argent , leur passé d'ouvriers , nôtre façon d'être .

Dans la scène du dimanche de juin , la honte est devenue un mode de vie pour moi.

A la limite , je ne la percevais même plus , elle était dans le corps même/"





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La Honte est un ouvrage court, pourtant dense. Dans ce livre, Annie Ernaux se livre à un exercice différent d'autres de ses oeuvres comme La Place ou Les Armoires vides. Elle n'offre pas un récit-analyse sur plusieurs années. Cette fois, elle part d'un évènement marquant, en juin 1952, et montre comment cet événement a marqué un tournant, une effraction dans sa vie, comment elle est passée d'une perception d'elle et de son environnement à une autre perception. Elle décrit bien plus la naissance de la honte, que la honte elle-même, qu'on retrouve dans bien d'autres livres.
En s'attachant à décrire cette année 1952, elle fournit du coup moults détails sur les objets, les lieux, les phrases, bien plus que dans les 2 autres livres cités ci-dessus.
J'ai beaucoup aimé ce livre, il est fondamental pour saisir l'oeuvre complète d'Annie Ernaux (tous ses ouvrages sont fondamentaux. Oui d'accord je suis un peu "fan"). Il éclaire bien plus les lectures sur les violences de classes qu'elle évoque souvent.
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9❤/10

Ce fut une lecture remplie d'émotion. Annie Ernaux a une plume légère et épurée. Son écriture a été très critiquée pour son « manque de style ». Cependant, il s'agit d'un choix personnel qu'elle a pris dès son premier livre. En effet, elle a déclaré : « j'écris pour que mon père puisse me lire », elle effectue alors un grand travail de reformulation et d'épuration.

On sent, comme elle le dit elle-même, que ce livre a été libérateur. En effet, Annie Ernaux a ressenti la honte durant son enfance et l'a toujours tu. À travers ce roman elle exprime la honte de sa classe sociale, de ses parents pas assez « durs » pour l'époque.

Le roman débute, un peu à la Camus, par la phrase : « Mon père a voulu tuer ma mère un dimanche de juin, au début de l'après-midi. ». Par la suite, l'autrice consacre son roman aux conséquences de cette rupture et à comprendre pourquoi elle a ressenti la honte. En effet, ce jour de juin 1952 montre la fin de son innocence et son entrée dans la honte. Les répercussions ont lieu notamment dans son école privée catholique où elle n'arrive plus à se concentrer, où elle s'indigne contre les films et livres interdits, ou encore où elle commence à ressentir la honte de son corps.

Un autre aspect de ce roman est l'analyse topographique, sociologique, linguistique, de sa petite ville d' »Y. » qui se remet difficilement et lentement de la guerre et des bombardements. Ainsi, on ressent une grande méfiance entre les différentes classes sociales. En effet, « tout le monde surveille tout le monde », le contrôle social est encadré par une morale collective et une forte pression sociale. Cet environnement n'est pas propice à extériorisation de la honte. Annie Ernaux va alors la garder en elle jusqu'à l'âge adulte.

Un des points négatifs que j'ai relevé est que ce roman est décousu et il est parfois difficile de continuer à s'attacher aux personnages. Cependant, ce n'est pas la visée de l'écrivaine, elle cherche plutôt l'exposition de faits vécus dans son enfance pour tenter de comprendre d'où vient ce fort sentiment de honte. Son but est davantage de livrer un récit intime qui pourrait avoir un intérêt général. En effet, il me semble que le lecteur pourrait comprendre des choses de lui en lisant La honte. C'est un roman qui cherche à faire réfléchir et montrer qu'on n'est pas seul dans la honte, ou plus fortement, qui nous incite à nous aussi nous délivrer de nos anciennes hontes enfouies…

voir plus sur https://iletaitdeuxfoislhistoire.home.blog/
Lien : https://iletaitdeuxfoislhist..
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Je poursuis inlassablement et agréablement mon exploration de l'univers d'Annie Ernaux qui parvient à chacun de ses ouvrages à combiner dans un même allant les métiers d'auteure, d'ethnologue du soi, d'historienne contemporaine et de sociologue en employant une langue sobre et précise.

Dit comme ça ça ne donne peut-être pas très envie et pourtant... Peu de livres m'ont autant émus ces derniers mois que ceux d'Annie Ernaux tant, en parlant fidèlement de sa vie, de sa région et de son temps, elle me renvoie aux miens et à ces ressentis qui ont fait mes conforts et mes inconforts.

Lire Annie Ernaux quand on est un baby-boomer issu d'un milieu modeste, c'est comme embarquer dans une machine à remonter le temps, c'est comme un voyage à la rencontre de soi, c'est reparcourir son histoire pour mieux en comprendre les tenants et les aboutissants.

Je reste fan
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Suite de la place dans la même veine. Magistral de sobriété, de pudeur et d'honnêteté dans un style épuré et maîtrisé où l'essentiel tient en peu de phrases mais denses et simples. Une oeuvre vraie eT belle
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Une oeuvre magistrale d'Annie Ernaux dans le style d'Annie Ernaux. Ces phrases simples et dénuées de profusions métaphoriques, ces phrases des travailleurs couvrant la rudesse de leur condition, de leur histoire par une utilisation comptée des mots. Un peu qui parvient, de par son dépouillement, à littéralement nous frapper en plein coeur.
Une histoire dans laquelle beaucoup de personnes issues de ces classes ouvrières ou récemment "moyenisées" reconnaîtront ces sentiments, à la fois liés et paradoxaux, de honte et d'amour face à un décorum familial dont on se sent de plus en plus distant, tout en étant issu de celui-ci et en voulant à chaque instant lui rendre hommage.

Qui a dit que la simplicité ne pouvait nous retourner ?
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Cela commence un dimanche de juin 1952, le 15 exactement, à midi : « Mon père a voulu tuer ma mère. » C'est l'année du renouvellement de sa communion. Elle a 12 ans et s'en souvient encore. Les photos, peu nombreuses, alimentent ses souvenirs comme la liste des objets datant de cette année. Des cartes postales, un album, une petite trousse, la partition d'une chanson Voyage à Cuba, un missel… et son père qui disait : « tu vas me faire gagner malheur ». Elle se rend aux Archives de Rouen pour consulter Paris-Normandie de 1952, le journal de ses parents et redécouvre ce qui faisait l'actualité « Je connaissais la plupart des événements évoqués, la guerre d'Indochine, de Corée, les émeutes d'Orléansville, le plan Pinay mais je ne les aurais pas situés spécialement en 52… »
Elle passe ensuite à sa ville d'Y., une ville qu'elle ne peut nommer « le lieu d'origine sans nom où, quand j'y retourne, je suis aussitôt saisie par une torpeur qui m'ôte toute pensée, presque tout souvenir précis, comme s'il allait m'engloutir de nouveau. » Cela ne l'empêche pas de détailler la topographie de cette ville : rues, quartiers pour arriver « chez nous », l'épicerie-mercerie-café. Elle recense les expressions et les gestes du quotidien, se souvient « Tous les soirs de la semaine, à 7 h 20, La famille Duraton » et ajoute « Ici, rien ne se pense, tout s'accomplit. »
Elle nous livre un tableau détaillé, très complet de la société qui l'a vue grandir, décrit la politesse et la conduite à tenir pour une fille de commerçants, n'oubliant pas de confier ses sentiments. L'école privée catholique tient une grande place avec cette religion omniprésente, le mot laïc étant synonyme vague de mauvais. Sa mère est très assidue alors que son père fait le minimum.
Mêlée aux filles de l'école privée, petit à petit, elle a de plus en plus honte du métier de ses parents : « comme d'une conséquence inscrite dans le métier de mes parents, leurs difficultés d'argent, leur passé d'ouvriers, notre façon d'être. Dans la scène du dimanche de juin. La honte est devenue un mode de vie pour moi. »
Lien : http://notre-jardin-des-livr..
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les exhibitionnistes actuelles devraient prendre des leçons chez cette auteure lumineuse, humble et intègre. le récit est court et va à l'essentiel : l'injuste traitement (inconscient) que s'inflige l'innocent des crimes collectifs. Très émouvant.
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C'est un livre tout petit, tout modeste et que j'ai apprécié et dévoré très rapidement, trop sans doute car je pense reprendre cette lecture en réfléchissant à tout ce qui y est dit. La honte, c'est ce sentiment que beaucoup d'entre nous ( génération 50/60) connaissent, quand on a été élevé par des parents très moralistes, et dans des institutions où le "péché" occupe la plus grande place: Honte de son corps, honte de la modestie de ses parents, honte des faits dont on est témoin et qui ne nous sont pas expliqués au moment où cela devrait être. Cette "honte" a fait très rapidement place à la culpabilité... Annie Ernaux s'en fait le porte parole. un très beau livre.
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La Honte
Annie Ernaux, son enfance, l'épicerie de ses parents.
La honte c'est le récit d'un évènement particulier: une dispute entre ses parents qui tourne mal, la violence du père contre la mère, qui la choque de façon brutale, la peur qui s'insinue et la marque pour toujours... Mais la honte c'est aussi la mère en chemise de nuit qui lui ouvre la porte, un soir, de retour d'une sortie chez des amies... C'est le regard des autres, de la société, la honte de ses origines... Cette honte , qui lui colle à la peau, la hante et la poursuit de l'enfance à l'âge adulte. Écriture superbe, profonde, touchante, sans lyrisme,sans épanchement, simple, pure, qui nous parle directement, un auteur à découvrir!
A lire avec "La place" et "Une femme
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Le 15 mars 1952
Le 15 avril 1952
Le 15 mai 1952
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