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Honte : « Sentiment pénible excité dans l'âme par la conscience d'une faute commise et la confusion, le trouble qu'on en ressent ».

Premier livre d'Annie Ernaux que je lis et mes impressions sont mitigées, à l'image de cette confusion entre ce que je m'attendais à lire et ce que j'ai lu. L'auteure se souvient d'une drame survenu dans sa maison familiale en juin 1952, j'aurai imaginé que la suite allait tourner dans la honte de cette image mais l'auteure part dans les souvenirs des années cinquante. Elle pointe du doigt les us et coutumes de cette époque sans lien apparent avec le 15 juin 1952. Quelque chose m'échappe et me dérange dans ce récit. Où est la honte d'avoir habité une époque et de la voir évoluer, grandir avec son temps. Il n'y a pas vraiment de jugement, juste une suite de moralité, de bonne conduite, de schéma propre à ces années. Chaque temps a ses avantages et inconvénients. le tout est d'avoir le recul nécessaire pour vivre en accord avec soi-même.

En conclusion, je n'ai pas compris où voulait en venir Annie Ernaux, honte à moi! Quant à la plume, elle m'a plutôt laissée de marbre, je n'ai pu m'attacher au récit ni aux images, une espèce de litanie en arrière sans réel rapport avec la honte telle que je la définis moi personnellement.
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Croisée il y a quelques temps à la télé, cette femme détonnait. Envie de lire à quoi ressemblait ce qu'elle écrivait. Mais l'auto-fiction, ce n'est pas vraiment mon truc. Finaud, j'en ai choisi un pas épais, écrit gros.

Et puis ce matin, je la découvre prix Nobel. Alors pour ne pas avoir l'air sot dans les salons de Babelio, j'ai lu La honte. Où elle raconte en détail l'année de ses douze ans, quand elle a découvert à son désavantage les différences sociales.

Déjà, elle est pas gênée celle-là, elle nous raconte sa petite cuisine d'écrivain en train de faire son livre. Ce sont des paragraphes intercalés, mis entre parenthèses. Qu'est-ce que j'm'en fous, moi, j'veux qu'on m'raconte une histoire, pas comment on l'a écrit.

Mais ce n'est pas si bête, finalement, cela nous rapproche de la fillette qu'elle fut en nous rapprochant de sa difficulté à s'en souvenir plus de quarante ans après.
Mine de rien, elle atteint une précision impressionnante, entre les détails factuels et les souvenirs de sentiments qu'ils font remonter. Dans un style sans affect, le plus neutre possible en apparence. Et pourtant, on finit par ressentir les émotions de cette fillette.
Remarquable.

Bon, cela fait et cela dit, je retourne aux oeuvres complètes de Flannery O'Connor qui ont beaucoup plus d'intérêt à mes yeux.
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Lorsque j'étais en formation d'éducateur spécialisé, on m'a beaucoup demandé de raconter mon parcours de vie, ce qui m'avait amené à choisir ce métier. Sans doute parce qu'il y a ce qui est considéré comme des "mauvaises raisons" de choisir ce métier, comme par exemple résoudre ses soucis personnels, les traumatismes en lien avec sa propre histoire. A l'occasion d'un entretien avec ma référente de formation, et après que j'ai retracé mon parcours familial, elle m'avait conseillé la lecture de la honte d'Annie Ernaux pour mieux comprendre et analyser mes motivations. Ce devait être en 2008 ou 2009...

Comme vous le voyez, je suis prompt à suivre les recommandations de mes formateurs puisque je viens enfin de terminer ma lecture (130 pages, j'ai toujours eu du mal avec les pavés...). Trêve de plaisanterie, malgré l'écart des années, l'envie de savoir ce qui avait motivé cette recommandation m'intéressait en commençant cette lecture. La révélation ne fut pas transcendantale ! le fait que cette formatrice soit sociologue avait dû beaucoup jouer, la démarche d'ethnologue de soi-même que revendique Ernaux devait beaucoup lui plaire... à elle...

Je n'y ai pas été indifférent non plus, l'idée de s'auto-examiner, d'explorer ses souvenirs, son passé comme on le ferait avec un sujet universitaire est plutôt géniale. J'ai retrouvé dans le projet des parallèles avec Modiano et son obsession de la mémoire avec une différence certaine de style tout de même. Ernaux revendique une écriture plate, neutre, sans métaphores, recherchant l'objectivité dans l'analyse des faits. Il y a également une certaine volonté d'exhaustivité, de précision qui aboutit parfois à un sentiment d'exagération quand elle explicite des comportements qui nous semblent des évidences... jusqu'à ce qu'on se rende compte que ce ne sont des évidences que parce que l'on partage avec elle précisément ces mêmes expériences. Et la boucle est ainsi bouclée peut-être des raisons qui ont poussé ma formatrice à m'inciter à cette lecture : une éducation dans la religion catholique, une origine plutôt modeste (mais loin du dénuement de celle d'Ernaux) une volonté parentale de progresser hors de ses origines sociales... le parallèle s'arrête là puisque la honte ressentie par l'auteur est plutôt une fierté de mon côté du parcours familial, avec peut-être seulement une légère culpabilité de ne pas avoir continué l'"ascension" en réalisant mon projet initial de devenir avocat.

La culpabilité justement, c'est sans doute ce qui manque dans l'analyse. Annie Ernaux évoque ce sentiment de honte qui l'aurait bloqué et dont elle fait remonter l'origine à un évènement traumatisant qui aurait en quelque sorte "déclenché" ce sentiment chez elle et aurait fait qu'elle aurait alors systématiquement ressenti l'écart entre ce que sa vie était censée être selon les standards de l'éducation catholique et donc forcément bourgeoise qu'elle suivait... et ce qu'elle vivait au quotidien dans son milieu populaire. Mais je pense que cette "honte" est renforcée par la culpabilité générale que la religion nous incite à ressentir, puisque nous sommes toujours à la recherche des choses que nous avons mal faites afin de nourrir la confession de nos pêchés, confession dont elle relate d'ailleurs bien le mécanisme au sein de son établissement scolaire.

Au final, l'expérience de lecture a été plutôt intéressante mais je n'ai pas non plus accroché totalement à l'écriture, cette platitude revendiquée créant pour moi une distance alors que je suis habitué professionnellement à m'intéresser humainement aux personnes et aux parcours. L'idée de transformer les êtres humains en objets universitaires me frustre sans doute trop, j'ai besoin de sentiments, de chair, ce que ne m'a pas offert ici Ernaux. Expérience à renouveler, j'ai mis du temps à m'accrocher aux propositions de Modiano, cela sera peut-être comparable avec Ernaux.
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C'est un livre tout petit, tout modeste et que j'ai apprécié et dévoré très rapidement, trop sans doute car je pense reprendre cette lecture en réfléchissant à tout ce qui y est dit. La honte, c'est ce sentiment que beaucoup d'entre nous ( génération 50/60) connaissent, quand on a été élevé par des parents très moralistes, et dans des institutions où le "péché" occupe la plus grande place: Honte de son corps, honte de la modestie de ses parents, honte des faits dont on est témoin et qui ne nous sont pas expliqués au moment où cela devrait être. Cette "honte" a fait très rapidement place à la culpabilité... Annie Ernaux s'en fait le porte parole. un très beau livre.
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L'idée d'Annie Ernaux est que le fait d'écrire est une action interdite devant entrainer un châtiment. Peut être celui de ne plus pouvoir écrire quoi que ce soit ensuite.
La pub, quoi, c'est interdit, donc je le fais.
On est tous pendus à ses lèvres : va-t-elle y arriver, ou non ?
Sauf que depuis qu'elle a réussi à écrire ce récit, elle a l'impression qu'il s'agit d'un événement banal, plus fréquent que l'on ne pense dans les familles : son père a voulu tuer sa mère quand elle avait 12 ans.
Pas cool pour celle qui veut choquer en écrivant.
Peut-être le récit, tout récit, rend normal n'importe quel acte, y compris le plus dramatique. Alors là, bam, ce qu'elle va écrire serait-il normal ?
Vous avez dit normal ?
Le récit ne crée pas la réalité, il la cherche, les mots doivent se plier dans cet acte auto-ethnologique qui est de chercher sa propre vérité.
Le sentiment de honte (social, un peu beurk, la chemise de nuit pleine d'urine de sa mère) est aussi un sentiment de honte éprouvée à 12 ans, : il lui a été impossible d'en parler, et sans doute aucun livre n'arrivera à être à la hauteur de ce que la petite Annie a éprouvé.
Lorsque le père s'emporte, et elle se sent responsable : « il n'y avait de faute ni de coupable nulle part. Je devais seulement empêcher que mon père tue ma mère et aille en prison. »
Comme d'habitude, ce qui l'intéresse en premier lieu c'est le fait non de l'avoir vécu, mais de pouvoir l'écrire.
Or personne ne peut entendre une chose aussi énorme, la possibilité d'un meurtre. Écrire, c'est rendre normal n'importe quel acte même dramatique.
« J'ai toujours eu envie d'écrire des livres dont il me soit ensuite impossible de parler, qui rendent le regard d'autrui insoutenable. Mais quelle honte pourrait m'apporter l'écriture d'un livre qui soit à la hauteur de ce que j'ai éprouvé dans ma douzième année. »

Elle se fait pour cela l'ethnologue d'elle-même, son unique souci, et de son milieu, citant les expressions, qu'elle croit être «  de son milieu » alors qu'elles sont «  de notre temps. »
La honte, pour un ethnologue, ne pas savoir de quoi elle parle, avoir honte d'un passé pas du tout honteux (à part son histoire d'essai de meurtre) bref essayer de nous faire pleurer sur ce monde d'avant la consommation.
Nous ne coupons pas à l'évocation des règles désirées et des serviettes hygiéniques, c'est un grand leit motiv de notre autrice préférée et, qui sait, le secret succès vis-à-vis des jurés du Nobel ?
Allez savoir.


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Je poursuis mon exploration de l'oeuvre d'Annie Ernaux par ce récit publié en 1997.

Encore un exemple parfait de ce que Ernaux sait faire mieux que nulle autre, mêler ses souvenirs personnels et la vie sociale, ambition qu'elle résume dans cette dernière phrase formidable de son Discours de réception du Prix Nobel 2022 « Pour inscrire ma voix de femme et de transfuge social dans ce qui se présente toujours comme un lieu d'émancipation, la littérature. »

En exergue de ce livre, elle met ces deux phrases de Paul Auster, auteur que j'aime tant et dont je viens d'apprendre avec tristesse qu'il lutte contre le cancer.
Des phrases si belles et éclairantes sur le travail littéraire d'Annie Ernaux:
«Le langage n'est pas la vérité. Il est notre manière d'exister dans l'univers. »

Ce récit débute par cette révélation très dure.
« Mon père à voulu tuer ma mère, un dimanche de juin, en début de l'après midi ».
Suit alors la relation de l'événement, dans toute sa brutalité, la stupeur de l'enfant qui avait alors douze ans en 1952, et la cassure qu'il a provoquée chez elle.
Et puis l'incompréhension, l'impossibilité de mettre des mots sur ce qui est survenu ce dimanche de juin 1952.

Alors, l'autrice se livre à une sorte de quête cathartique sur ces années-là, pour essayer de saisir, de donner un sens à l'innommable qui s'est produit ce jour-là.
S'en suit la description précise de la vie de son quartier pauvre au sein de cette petite ville nommée Y. (Il s'agit d'Yvetot), la vie de ses parents, et surtout de sa vie dans une école privée, où sa mère, croyante fervente, a voulu l'inscrire, dans l'idée de lui donner une éducation et un avenir d'une vie meilleure que la sienne. Et le récit parle aussi des relations, au sein de l'école privée,avec les camarades de classe issues de la bourgeoisie de la ville.
C'est une description prodigieusement juste que nous donne Annie Ernaux de la vie du début des années 50, et, bien qu'étant un peu plus jeune, mais ayant vécu dans les années 50 au sein d'un quartier ouvrier, certes du Nord de la France et non en Normandie, cette évocation a réveillé en moi les conditions de vie de cette époque, que j'ai côtoyées sans pour autant qu'elles aient été si dures que celles de la narratrice.

Cette analyse minutieuse de ce monde passé, va aboutir à ce constat très dur. Je reproduis une partie de ces phrases exceptionnelles de lucidité:
«J'ai mis au jour les codes et les règles des cercles où j'étais enfermée. J'ai répertorié les langages qui me traversaient et constituaient ma perception de moi-même et du monde. Nulle part, il n'y avait de place pour la scène du dimanche de juin……..
Nous avons cessé d'appartenir à la catégorie des gens corrects, qui ne boivent pas, ne se battent pas,….
Je suis devenue indigne de l'école privée, de son excellence et de sa perfection. Je suis entrée dans la honte. »

Annie Ernaux raconte dans cette dernière partie du livre, de façon dure et cruelle, les multiples faits, façons de se vêtir, de se parler avec violence, coutumes familiales, bref façon d'être, mais aussi ces épisodes de la vie, relations de ses parents avec l'école, voyage avec son père à Lourdes et Biarritz, etc…qui signifiaient un sentiment de déclassement, ou plutôt d'appartenir à une classe inférieure.
Et d'aboutir à ce constat sans complaisance:
« Il était normal d'avoir honte, comme d'une conséquence inscrite dans le métier de mes parents, leurs difficultés d'argent, leur passé d'ouvriers, leur façon d'être. »

Ce constat pessimiste très dur, sans complaisance, ne sera à la fin compensé par aucune note d'optimisme.
Annie Ernaux y fera simplement le constat que le seul lien qui l'unit à ce qu'elle fut alors, réside dans ce terrible dimanche du mois de juin 1952.
Et fidèle à l'un de ses choix d'écriture qu'elle explique dans son discours extraordinaire de réception du Prix Nobel, « d'une langue charriant colère et dérision, voire grossièreté », elle nous lance cette dernière phrase au goût de provocation:
« C'est elle (i.e. la scène du dimanche de juin 52) qui fait de cette petite fille et de moi la même, puisque l'orgasme où je ressens le plus mon identité et la permanence de mon être, je ne l'ai connu que deux ans après. »

Au plus j'avance dans la lecture des livres d'Annie Ernaux, au plus je suis admiratif de la force de sa démarche, de la dimension féministe et sociale de son oeuvre, et de l'exceptionnelle adéquation entre son choix d'écriture et son projet littéraire. Et bien triste de constater les reproches que l'on fait à son absence de style, à son propos qualifié d'égocentrique, voire de nombriliste.
Ce n'est pas du tout cela. L'oeuvre d'Annie Ernaux, elle se résume dans les trois mots qu'elle a choisi pour le titre du Quarto Gallimard qui rassemble une grande partie de ses textes: « Écrire la vie ». « La vie avec ses contenus qui sont les mêmes pour tous, mais que l'on éprouve de façon individuelle…. »
Et cette vie, c'est aussi ma vie, mon histoire, la vie de celles et ceux de ma génération et des générations suivantes, mais aussi la vie des femmes, celle du monde des déclassés, etc… En cela, les récits d'Annie Ernaux ont une portée universelle.
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Avec Annie Ernaux, on est souvent confronté à un regard aigu sur le passé, revisité à la lumière de l'analyse, de l'objectivité la plus rigoureuse, au-delà du souvenir. Cette année 1952, où elle fut le témoin, à 12 ans, d'une dispute particulièrement forte entre son père et sa mère fut le commencement d'une prise de conscience, du passage de l'enfance à l'adulte. Récit sans complaisance. Elle repasse au tamis cette époque pour en extraire les aspérités qui détermineront ensuite sa vie.
Son récit me touche beaucoup car elle y décrit la vie dans le Pays de Caux, dont je suis également issu. C'est curieux, car tout ce qu'elle décrit, semble comme figé, dans des habitudes, des traditions, mais elle ne semble n'en retirer aucun regret, ni aucune mélancolie. le pathos n'est pas là ! Il serait plutôt dans le déterminisme des événements. « C'était comme ça ! A partir de maintenant, ce sera autrement ! », semble-t-elle nous dire. La société évolue, c'est tout. Il faut s'y s'adapter tant bien que mal. Moi, ça me parle mais je comprends que ses récits puissent dérouter. On a du mal à s'y situer. C'est très sociologique.
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Une chronique de l'année 1952 vue par une petite fille provinciale de 12 ans de milieu modeste. Un récit touchant de justesse, qui me rappelle mes propres souvenirs, même si j'ai une dizaine d'années de moins que l'auteure. Je suis d'autant plus touché que le pays De Caux a aussi bercé ma jeunesse, le temps des vacances chez ma grand-mère, et que je viens de lire ce livre après une promenade dans Yvetôt. Et pourtant, je suis gêné par ce sentiment de honte un peu méprisante que je ne comprends pas. Cette époque a permis de formidables opportunités d'ascensions sociales dont l'auteure, comme moi même, avons profité, et dont nos parents étaient fiers. Bien sûr, les petites vexations sociales de l'époque pouvaient laisser un goût amer, mais ne sont elles pas encore plus frustrantes aujourd'hui où l'espoir d'une condition meilleure a plutôt régressé. L'auteure s'est sans doute effectivement sentie elle même méprisée, mais elle donne aussi l'impression de s'être complue de cette situation. Je remarque aussi qu'elle ne fait pratiquement pas état de celles qui étaient moins bien loties qu'elle. Je suis curieux de lire le retour à Yvetôt, que je vais emprunter dès que possible, espérant y trouver une analyse plus critique et la réaction des habitants de cette petite ville si décriée par l'auteure. Un livre qui m'a donc laissé â la fois enthousiaste pour les souvenirs qu'il me rappelle et très critique pour l'interprétation qui en est donnée. A vous de vous faire une idée par vous même.
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La honte définie comme la version sociale de la culpabilité.
Ce court texte d'Annie Ernaux revient sur une année particulière de son enfance: l'année 1952. C'est un jour de juin de cette année là que son père a frappé sa mère pour la faire mourir. Et l'auteure d'entourer ce fait majeur par toutes les circonstances factuelles de l'époque, où Annie, âgée de 12 ans sent "la honte" peu à peu la pénétrer, se diffuser en elle. Annie confrontée à deux mondes étanches : sa classe sociale, la famille, le petit commerce des parents, l'absence de culture et sa classe scolaire, élève brillante, assoiffée de culture et fréquentant les filles de l'autre monde.

Comme dans "La place" on retrouve ici cette ambiance provinciale des années '50 dans cette Normandie rurale. le thème de l'ascension sociale y trouve une bonne place, ce désir de sortir de son milieu, de vaincre la honte.

D'une écriture plate et ne véhiculant pas l'émotion, on retrouve là tout le talent d'Annie Ernaux qui se livre à un travail de mémoire, à une réflexion sur le mécanisme de la mémoire qui fait resurgir à partir d'un fait marquant, tous les instants, toutes les sensations, toutes les émotions du moment. Quelque chose de "proustien" finalement.
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« C'était le 15 juin 52. La première date précise et sûre de mon enfance (…) Mon père a voulu tuer ma mère »

Chacun porte ses traumatismes d'enfance, peu comparables les uns aux autres mais qu'importe : quelle que soit leur ampleur, la marque laissée est indélébile. À douze ans, la jeune Annie assiste dans la cave familiale à un acte, qu'on n'appelle pas à l'époque la violence conjugale.

Une scène qu'elle taira jusqu'à ce livre, sous le double effet de la peur et de la honte. Une honte plus large que cet acte, liée à son environnement familial et social, à toutes ces petites scènes du quotidien vécues comme des humiliations personnelles sans savoir qu'elles sont finalement partagées bien plus largement.

Puis un jour, devenue adulte, vient le moment de l'analyse, à froid. Dans La Honte, Annie Ernaux entreprend non pas de décrypter l'événement mais d'en soumettre les images du souvenir à un traitement subjectif et différencié, « être en somme ethnologue de moi-même ».

Cela donne un livre complexe, intimiste, catalogue de fulgurances de forces différentes, où le lecteur semble invité en spectateur (et non voyeur) du travail de l'auteure sur elle-même. Une réflexion sur le conditionnement et la manière dont les choses s'imposent à nous, car « ici rien ne se pense, tout s'accomplit. »
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Quand a lieu la dispute entre le père et la mère de la narratrice ?

Le 15 mars 1952
Le 15 avril 1952
Le 15 mai 1952
Le 15 juin 1952

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