Le mystère Sherlock

Durieux est le genre d'homme à sacrifier sa famille pour son travail. Mais heureusement pour sa famille, Durieux n'en a pas.

J'ai toujours eu la sensation que l'être humain habitait son corps à la manière d'un locataire, comme pour un appartement auquel il se serait habitué sans jamais vraiment se sentir chez lui. Une location qui se dégrade peu à peu et que le propriétaire, aux abonnés absents, ne rénove jamais, rendant l'habitat un peu plus inconfortable chaque année.

Le début de soirée fut assez morne, comme le sont souvent les moments passés à la chandelle, à quelques mètres de cinq cadavres, dans un groupe comprenant un serial killer.

La question qui se pose est donc : savons-nous lire les récits à énigme ? Regardons-nous vraiment ce qu'il faut regarder ? Ou nous laissons-nous manipuler par celui qui raconte l'histoire ?

"Puisque tout ce passait derrière lui et que sa parano commençait à se réveiller, le lieutenant Poséidon fit ce que des années d'entraînement au sein des troupes d'élite des soldats du feu lui avaient appris en termes de prise d'initiative et de réactivité: il se retourna."

Et ben dis donc, j'ai bien fait de ne jamais ouvrir un livre de ma vie ! Je savais bien que la lecture, c'était dangereux !

Au fond, c'est peut-être ça un mythe : un personnage dont le talent dépasse celui de son créateur, un être qui a d'avantage d'ampleur dans l’imaginaire collectif que dans celui de son géniteur, une figure que des écrivains successifs vont s'approprier dans l'espoir d'être celui qui saura enfin se hisser à son niveau.

C'était la flaque de sang qui faisait déborder le vase. (p. 293)

Si l'on y regarde de plus près, on dira que le professeur Moriarty est l'ancêtre des supervilains qui rivalisent de perversité dans les comics américains. Batman a son Joker démoniaque, Spiderman son Bouffon vert machiavélique, Holmes son Moriarty anglais. Mais là où le méchant américain se décarcasse pour trouver des costumes bigarrés et bien moulants, des pseudonymes aussi évocateurs que le Pingouin ou Mr Freeze, et des pouvoirs fascinants comme voler sur un skate-board ou creuser des trous sans pelle, le professeur Moriarty ne fait aucun effort. Un sex-appeal affligeant («Il est glabre, livide, la mine ascétique»), des hobbies consternants («Il a écrit un traité sur le binôme de Newton»), des gadgets rances («Il porta rapidement la main à sa poche et en sortit un calepin»), une stratégie publicitaire d'une médiocrité sidérante («Cet homme gangrène Londres et personne n'a entendu parler de lui»), voilà tout ce que peut offrir le vilain Moriarty (un prof de maths !). En résumé, c'est pas demain la veille qu'on trouvera sa figurine chez McDo.

Le meurtre moderne, c'est un peu comme là nouvelle cuisine : on va chercher des influences un peu partout, on fait des mélanges et, neuf fois sur dix, on est déçu. Là on avait un bon vieux crimes à l'ancienne, une valeur sûre. Le surin dans le palpitant, c'est le pot-au-feu du meurtre.