Écrivain, journaliste et chroniqueur radio,
Jean-Louis Ezine est né en 1948 à Cabourg. Critique littéraire au Nouvel Observateur, il est membre de la tribune littéraire du Masque et la plume sur France Inter et tient une chronique quotidienne sur France Culture. Il a publié un roman en 2003,
Un ténébreux (Seuil), ainsi que plusieurs livres d'entretiens avec des écrivains.
Les Taiseux est son premier livre aux Éditions Gallimard.
Jean -Louis Ezine, je l'entends régulièrement au Masque et la Plume. Ezine de Pontault- Combault et du Pays d'Auge, Ezine le cycliste, Ezine qui très souvent n'a pas lu le livre dont on parle. Ou l'a lu, mais parle de tout à fait autre chose.. Beaucoup d'humour, un petit côté j'men foutiste qui n'a rien pour me déplaire, et un grand amour de la littérature.
Je ne l'écouterais plus de la même façon,
Jean Louis Ezine.
Lors de la fameuse tempête de 99,
Jean Louis Ezine a foncé sur sa maison de Pontault-Combault voir si les arbres de son enfance avaient résisté. Ce sont les seuls témoins restants .Avec la tombe de sa mère, qui est allée se noyer bien calmement après des années d'internement et d'électrochocs.
Ezine, il s'appelle, le nom d'un homme qu'il hait et auquel il n'a jamais adressé la parole . Ce monsieur Ezine, il buvait et cognait sec, et mère et fils se cachaient dans le chenil pour lui échapper.
Et pourtant.. Il avait un père,
Jean- Louis, un père qui l'a aimé , enfin, d'après les éléments que lui fournit sa mère progressivement, un mot, une photo, un ticket de bus.
"Je t'ai tout donné. Elle m'a donné toutes les traces. Elle n'a rien gardé pour elle. Pourtant les mots me manquent. Pourquoi perd-on la mémoire de ce qui vous attache au monde? Pourquoi meurt-on à la mémoire? Je suis né d'une ombre. D'une ombre qui me photographie et me capture dans son incognito. Qui me suit partout comme mon ombre et ne me lâche jamais."
Et ce livre va être le récit d'une quête du père -et de ses origines réelles et non fantasmées comme elles l'ont été toute sa jeunesse jusqu'à ce que enfin- et une seule fois- il réussisse à croiser son père très peu de temps avant sa mort accidentelle.
La terrible honte du bâtard, ce besoin de reconnaissance continu:
"Ce qu'il lui faut, au bâtard, c'est une légitimité. Il n'a pas été reconnu d'un seul. Aussi veut-il l'être par tous.C'est humain. Ce n'est jamais qu'un dédommagement, une indemnité symbolique, pas une réparation: il n'y a pas d'alternative au néant. C'est juste un fantasme, une façon de compenser. Quant au néant dont je traite ici, il n'a aucune saveur métaphysique . C'est simplement la certitude que rien ni personne ne peut vous apporter ce qui vous manque, et donc ne peut vous tirer de là.
... Maman aurait voulu que je fasse poète."
C‘est peut être raté, quoiqu'il n‘ait pas dit son dernier mot,ce
Jean Louis Ezine,fils de Robert Demaine et de Jeannine Bunel, mais j'ai trouvé que ce magnifique récit autobiographique était celui d'un excellent écrivain.
Avec cet éternel goût de la digression, qui le fait partir au fil des pages dans des histoires de traverse ,comme on s'engage dans les chemins normands.
Comme celle de Lothar Unbekannt :
"géant impétueux aux yeux pâles et larmoyants..qui disparut à Auberville un jour de grande lessive derrière un train de draps long comme un hangar, qu'une jeune femme alla le long de ce convoi frappait à l'aide d'une cuiller en bois."
Unbekannt et disparu..Forcément, cela lui parle à Ezine!
"Là s'arrête sa légende, quand bien même sa biographie se continuerait par des marches inconnaissables ,dans l'hypothèse où il aurait sauvé sa tête et fait retour au pays. Les archives concernant les combattants de la Première Guerre mondiale ont été détruites lors de la Seconde. Une guerre efface l'autre, malgré tout. Plus rien ne serait retrouvé de ce qui fut. Cependant, quel ressort soudain détendu dans l'âme de Robert le Maudit, son fils caché, lancera celui-ci dans la poussière allemande qu'il va mordre en vainqueur mortifié et le projettera tel un furieux ,en 1945, par les duchés de Souabe et de Bavière, jusque dans les montagnes d'Autriche, sans jamais demander son chemin ni laisser le moindre indice sous les chevilles de son blindé? de quel crime réclame-t-il vengeance? de la malédiction de vivre, lui qui avait demandé une corde à sa mère?
L'étrange aveuglement dans lequel chacun se tient ici-bas, vis-à vis de l'héritage qui le fait être ce qu'il est, n'est sans doute que la légitime conséquence de l'obligation d'avoir à vivre à son compte, malgré tout. Mais nous sommes les fantômes d'inconnus qui n'en ont pas fini avec la hantise. Ils déposent en nous un monde que nous feignons de gouverner en propriétaires, quand nous ne l'ignorons pas, et qui nous anime par de complexes procédures, aussi sûrement que le fil actionne la marionnette."
Nous y revoilà.. Et le voilà aussitôt reparti pour une autre histoire, qui n‘a bien sûr rien d'innocent. Toutes parlent d'identité, et c'est très émouvant et beau.
A lire en écoutant Schubert.