Le livre de
Ruth Bayer permet de revenir sur une scène incroyablement prolifique dans les années 80/90, en Angleterre principalement, avec comme pivot central la personnalité charismatique, et donc très attachante, de David Michael Bunting, plus connu chez les mélomanes sous le sobriquet de
David Tibet (il avait été surnommé ainsi, je crois m'en souvenir, parce qu'il écoutait toujours des cassettes de musique sacrée tibétaine alors qu'il squattait, dans les années 80, en compagnie de Douglas Pearce, qui s'était alors exclamé avec exaspération "oh, no, not tibet again!", ce qui décida de son surnom). Avec comme point de départ la célèbre photographie réalisée pour la pochette de l'album de Current 93 Earth covers earth, en 1987, et qui est la reproduction de celle du groupe hippie The Incredible String Band (voir leur album The Hangman's beautifull daughter de 1968), aux sessions plutôt comiques de 1994 avec Michael Cashmore et Steven Stapleton pour le merveilleux album Of Ruine Or Some Blazing Starre, sans oublier celles de 1990 où
David Tibet est bras dessus bras dessous avec Marc Almond, ce livre montre à quel point
David Tibet fut un aimant pour les musiciens les plus extravagants, les entités les plus singulières, incluant - pour ne citer que l'album All the little pretty horses - John Balance, de Coil, venu dire une phrase dans l'introduction ("Why can't we all just walk away"), ainsi que
Nick Cave qui vient clore le disque en reprenant la comptine qui donne son nom à l'album et récite ensuite un court passage des Pensées de Pascal sur un fond liturgique (le texte s'y prête... "Jésus est dans un jardin (...) / Il souffre cette peine et cet abandon dans l'horreur de la nuit). Loin des photographies qui font des rock stars des icônes intouchables, les photos de
Ruth Bayer sont naturelles, parfois naïves, captant l'instant présent dans toute sa fragilité, usant au fil des années du noir et blanc comme de la couleur, sans logique ni but précis, permettant ainsi de découvrir James Blackshaw ou Douglas Pearce dans toute leur authenticité : le premier posant malhabile dans le jardin de sa maison à Hastings (en 2015), le second avec son allure sérieuse et martiale dans le cimetière de Brookwood (en 1987) - deux périodes, deux attitudes, mais une même musique, celle de Current 93, qui n'a, en plus de trente ans d'activité, jamais cessé d'évoluer tout en restant un projet alliant trouble et attirance, ne serait-ce que pour les textes de
David Tibet, qui, pour certains disques, sont aussi longs qu'un roman (de quoi gagner le Nobel de littérature, ah ah).