Prêt à suivre un buddy movie façon mafia à travers un Chicago fayrique des années 1920 ? C'est ce que nous proposent
Anne Fakhouri et
Xavier Dollo (alias évidemment
Thomas Geha) dans
American Fays où la violence le dispute à la féérie attachante, dans une ambiance drôlement et férocement décalée.
1925, Chicago est non seulement en proie à la prohibition, mais elle est aussi le théâtre de nombreux règlements de compte autour de la question des fays qui pullulent malgré l'entrée des États-Unis dans l'ère industrielle. Les No Ears Four, le plus souvent employés par al Capone en personne, sont alors d'authentiques chasseurs de fays, ces êtres doués d'une essence non humaine, ces pixies, sirènes, nymphes et autres trolls et faunes. Tout le monde lâche sa Thompson le temps du tour de table : d'abord, présentons le patron du gang, Old Odd, enfayrisé contre son gré et donc sujet à d'incroyables crises d'asthme dès qu'il approche d'un fay (détecteur théoriquement infaillible !) ; puis vient l'assassin de service, Jack The Crap, mystérieux s'il en est, mais tout aussi efficace ; le petit chouchou de beaucoup sera sûrement le bellâtre d'origine française, un peu rêveur mais calculateur, Vincent « Bixente » Demons, alias Bix ; enfin, le bien nommé Bulldog joue, lui, les gros bras avec sa taille de géant et ses quelques réflexes de benêt, mais rassurons-nous tout de suite, son rôle sera parfois plus conséquent que d'uniquement défoncer des gueules et des portes. Quant à elles, les femmes ne sont pas totalement mises de côté, heureusement, avec Jude, la truculente tenancière d'un speakeasie (mi-bordel, mi-bar de quartier), ainsi que Rachel, le love-interest de cette aventure. Clairement, il y a du monde à qui s'attacher.
L'ambiance étant posée, le style vaut lui aussi son pesant de gnôle prohibée. Dès la scène d'introduction, le ton est donné. Un leprechaun s'est fait fay-monnayeur et le gang des No Ears Four l'a pris la main dans le sac de faux-billets. Ça ne rigole pas, mais on rigole. Les situations se veulent drôles, les réparties caustiques, les dialogues sont volontairement écrits façon Audiard et on s'attendrait même à croiser un « les cons, ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnaît ! » tellement certaines répliques sont bien senties. du point de vue de l'action, c'est tout pareil : ça flingue, ça poignarde et ça dépouille à tour de bras, mais c'est pour la bonne cause, alors on prend ! On prend même d'autant plus que des allusions en début de roman et en annexe finale lancent des pistes concernant un éventuel crossover avec un autre opus de fantasy des années 1930, ou du moins une sorte d'« univers partagé made in Critic ». À méditer, car ce roman écrit à quatre mains par un duo d'auteurs amis depuis plusieurs années prend ses racines dans une agréable nouvelle d'
Anne Fakhouri, «
du rififi entre les oreilles » (paru d'abord dans l'anthologie Elfes et Assassins), qui était du même acabit.
Au cours de l'histoire d'
American Fays, le lecteur pourra trouver l'enchaînement picaresque des retournements de situation un peu convenu et répétitif (caricaturons en un trio enquête – indice – action). de plus, la scène finale est plutôt longue au point d'étirer le dénouement d'une façon bizarre. Cela doit-il gâcher l'ensemble de la lecture ? Évidemment non, car l'immersion dans le monde des fays, des êtres féériques est réussie. Attendez-vous à croiser du vocabulaire fayrique/féérique par pelletées, car côté bestiaire, il y a de quoi faire ! Ce n'est pas pour rien si les auteurs remercient, entre autres nombreuses inspirations, les écrits de Pierre Dubois, elficologue de référence. Je ne suis habituellement pas fan de cette partie de la fantasy, toutefois cela fonctionne bien mieux quand on sent la féérie des contes s'immiscer dans le monde contemporain, certes cela passe ici par des rêveries, mais l'aspect du récit évoluant, le côté conte me va tout de suite mieux.
Les éditions Critic soignent donc le volume qui marque leurs cinq ans d'existence :
American Fays bénéficie d'une première édition soignée avec reliure toilée, couverture cartonnée et titre imprimé à chaud, ainsi que d'avant-premières, notamment aux Utopiales de Nantes 2014. le duo
Anne Fakhouri –
Xavier Dollo est réjouissant à plus d'un titre et mérite qu'on s'y intéresse.
[Davantage de contenus sur http://bibliocosme.wordpress.com/2014/11/10/
american-fays/ ]