Banlieue sud-est est le premier roman de
René Fallet écrit en 1946 et publié en 1947.
Ceux qui me suivent ici depuis quelques temps savent que j'aime beaucoup les romans de cet auteur presque oublié aujourd'hui. Pourquoi ? J'y trouve quelque chose de délicieusement désuet, un côté un peu anar et épicurien, un esprit libertaire qui ne se prend jamais au sérieux, avec un fond de tendresse et de poésie populaire. J'ai découvert
René Fallet à travers les billets qu'il chroniquait sur les
chansons de son ami Brassens, douze vinyles qui font partie d'une collection à laquelle je suis particulièrement attachée. Dans ses billets, on y trouve la verve qui lui est particulière.
Qui plus est dans ce roman, j'ai retrouvé la jeunesse, - ou du moins celle que j'imagine, de mes parents à l'époque où se déroule le récit.
René Fallet écrit ce roman alors qu'il n'est âgé que de dix-neuf ans. Il le situe à Villeneuve-Saint-Georges, dans la
banlieue sud-est de Paris, sa ville natale.
Le personnage principal est Bernard Lubin qui avec sa bande d'amis cherche le plaisir de vivre de la jeunesse malgré l'occupation, entre virées à la campagne, flirts avec les filles, disques de jazz achetés au marché noir, mais aussi bombardements, restrictions et Service du Travail Obligatoire. L'auteur aborde déjà les thèmes qui caractérisent toute son oeuvre, comme l'antimilitarisme, l'hédonisme, la critique du travail et une vision poétique du monde.
On y trouve cette adolescence zazoue chère à
Boris Vian.
Le roman démarre d'ailleurs dans cette atmosphère bon enfant et désinvolte, même si nous sommes en temps de guerre. Cela démarre comme un air de jazz ou de valse-musette.
La force du roman tient à cela. Ils s'appellent Bernard, Claude, Cous, Alix, Annie, Zézette...
René Fallet, que je soupçonne de ressembler comme deux gouttes d'eau à ce fameux Bernard Lubin, nous décrit le quotidien d'une bande de copains en 1944.
L'univers de Bernard Lubin, ce sont les filles, les bistrots, le cinéma, les bals, sans oublier les bons plans et les petites magouilles nécessaires pour se faire un peu d'argent de poche.
Et puis il y a l'amour, ou du moins quelque chose qui y ressemble de très près.
Annie aime Bernard qui aime Zézette qui aime Cous... Jusqu'alors, rien de nouveau depuis la nuit des temps. Mais pour Bernard, le désir envers Zézette devient presque obsessionnel. Il n'en peut plus...
La guerre est là et l'occupation aussi. Ce groupe de copains semble en être un peu indifférent, tandis qu'en 1944 peu d'individus sont encore engagés réellement dans la résistance et que la collaboration active demeure également relativement minoritaire. C'est plutôt une collaboration passive, certes parfois complaisante avec loccupant, parmi une large majorité de la population. Au début de 1944, les résistants de la dernière heure ne se sont pas encore manifestés. D'ailleurs, ils n'y songent pas encore car ce n'est pas du tout leur projection et ils en sont sans doute idéologiquement très éloignés pour beaucoup.
Cette bande de copains représente cette frange de la population d'alors qui n'était ni d'un bord, ni de l'autre, qui subissait l'occupation, bon an mal an...
Au-delà de l'hédonisme qui dicte ce récit, j'ai aimé les thèmes abordés tels que l'indifférence, la lâcheté, la révolte, la jalousie...
L'écriture de
René Fallet offre un style familier et parfois détonnant : il passe de la gouaille populo auréolée de l'argot du titi parisien au lyrisme parfois un peu exacerbé mais toujours très beau et magnifique.
La force du roman est qu'il va brusquement produire une tragédie contre toute attente. Parce que la guerre est là, elle est cela, elle recèle des émotions, des émotions qui vont s'éveiller, nous éveiller nous lecteurs, éveiller aussi les consciences qui sommeillent, éveiller l'inattendu, éveiller les personnages, permettre ce qu'un jeune homme de dix-huit ans est capable ou non de faire, agir. Agir ou non, c'est la question en tant de guerre.
Tout ce roman dit cela qui démarre avec la verve d'une conversation au bord du comptoir et avec sa fin digne d'une tragédie antique. C'est la beauté de ce roman bancal mais beau.
La bande-son du roman est désuète à souhait. J'y ai entendu des airs que fredonnaient mes parents entre eux : la valse à Dédé de Montmartre, ah le petit vin blanc, le plus tango du monde...
Et puis le jazz que j'aime de cette époque :
Louis Armstrong, Duke Ellington...
Je n'imaginais pas cette fin, une telle fin du roman, mais en tant de guerre on peut imaginer tout, les dédales de personnages qui se côtoient, se fuient, se perdent...
Banlieue sud-est est d'une belle et merveilleuse gravité.