Elles ont prêté serment. Elles sont les vierges jurées. Quel est ce phénomène qui, au coeur des Balkans, est à l'origine de ce roman ?
Emmanuelle Favier nous embarque au nord de l'Albanie, dans ce premier roman époustouflant "
le courage qu'il faut aux rivières " paru en 2017 aux Editions Albin Michel.
Manushe, âgée de 45 ans, vit dans un village dont les traditions franchement archaïques, ont fait d'elle une vierge jurée.
p. 17 : " La communauté restait figée dans sa composition et sa structure depuis plusieurs siècles, les fils remplaçant les pères, les filles les mères, en un éternel recommencement de visages et de fonctions. Même les anomalies comme celle que Manushe pouvait représenter étaient coulées dans le moule de la normalité généalogique et de la perpétuation d'un ordre. "
En ayant renoncé au mariage, elle a renoncé à sa condition de femme.
p. 23 : " Plus tard, lorsque sa mère lui expliqua que la promise obéissait au code, que c'était comme un jeu, qu'elle faisait semblant de ne pas vouloir quitter sa famille et de résister à ceux qui l'emmenaient vers son futur mari mais qu'elle n'était pas réellement malheureuse, Manushe ne voulut pas y croire. La détresse de la future épouse l'avait tant ébranlée qu'elle n'en dormit pas de la nuit. "
Elle a donc prêté serment de virginité au sein de la communauté. Habillée comme un homme, elle prétend donc aux mêmes droits qu'eux ainsi qu'aux mêmes responsabilités.
L'arrivée d'Adrian dans le village va bousculer ces lourdes traditions. Soudain mal à l'aise sous ce costume d'homme, Manushe va remettre en question son statut, incapable de travestir plus longtemps sa féminité, face à l'étranger qui la déstabilise tant.
p. 33 : " Remontant jusqu'à son visage, elle sentit s'annihiler tous ses efforts d'abstraction, prise au piège de son être social, miroir de sa relation à autrui qui ne pouvait exister en soi. "
Ne pouvant résister à cette attirance envers Adrian, elle va donc trahir son serment en succombant, incapable d'y émettre la moindre résistance.
p. 41 : " Une inquiétude agitait Manushe derrière l'exaltation où la mettait cette nouvelle vie. Pour la première fois, elle avait quelque chose à perdre. "
Mais Adrian cache un passé douloureux... Cette relation cachée sera-t-elle viable dans un village dont les traditions balayent toute notion de liberté et d'émancipation ?
p. 50 : " Homme ou femme, elle avait besoin de cet être qui avait fait basculer sa vie de manière irrévocable et qui la tenait en son pouvoir, absolument. "
Peu connu du grand public, ce phénomène des "vierges jurées" en Albanie a attisé ma curiosité tout au long du roman, m'entraînant sur les traces de ces femmes, victimes de traditions patriarcales abominables. Si elles sont respectées par leur statut, elles n'en restent pas moins des êtres humains, et par conséquent des êtres tributaires d'émotions et de sentiments.
Une histoire d'amour bouleversante, qui tranche littéralement avec l'implacabilité de leurs conditions. Un combat de femmes....pour exister.
L'utilisation de la métaphore entre l'image de la rivière et la condition de la femme, contribue à une sorte d'intemporalité et d'universalité, fil conducteur de ce roman.
L'écriture est très sensible, à la fois lyrique et puissante. Maîtrisée, elle alterne entre conte et réalité, dans un souci constant de maintenir une tension qui fait toute la réussite de ce livre.
Ce premier roman d'Emmanuelle est une très belle surprise, tant par la forme que par le fond. Une auteur prometteuse à suivre...
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