Les enfants perdus de Cape Town.
Curieusement, lorsque l'on parcourt de mémoire nos étagères du polar franchouillard, on peut citer quelques rares grands noms mais on oublie presque toujours
Caryl Férey. Peut-être est-ce dû à ce patronyme plein de 'y' et à la coloration très ethnique des polars de ce globe-trotter (Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud, Argentine, ...).
Pour nous rattraper on s'était promis, depuis le film de Jérôme Salle en 2013, de (re-)lire ce
Zulu qu'on avait un peu oublié depuis sa sortie en 2008.
À l'occasion de ces retrouvailles, le verdict est sans surprise : le bouquin gagne en épaisseur comme en densité et garde très confortablement l'avantage. le cinéma peut toujours courir après la 3D, l'écriture a plus d'une dimension en réserve !
Le récit prend son temps pour distiller les infos au fil des pages, pour fouiller plusieurs personnages secondaires, là où le film se concentrait rapidement sur le duo B&W des deux stars hollywoodiennes.
On garde quand même en mémoire de beaux décors de cinéma (les plages de Muizenberg ou de Noordhoek, les dunes de Sossusvlei dans le désert namibien) qui fournissaient l'occasion de fortes images, toujours imprimées sur nos rétines. Mais elles datent déjà de deux ans et l'écriture de
Caryl Férey est suffisamment forte pour plaquer ses propres paysages sur l'album photos du cinéaste, à la manière d'un palimpseste.
Contrairement au début laborieux de
Mapuche (bouquin qui évoquait les enfants perdus de la dictature en Argentine : ici on s'intéresse plutôt aux enfants perdus des townships), les premières pages de
Zulu nous accrochent immédiatement, sans doute parce que l'auteur se concentre sur ses différents personnages et son trio de flics et qu'il évite le guide du routard à Cape Town. Des personnages qui, justement, partagent avec leur ville au coeur de l'apartheid, une histoire puissante et tourmentée, celle d'un pays dur, sec, violent, qui s'est construit (et se construit encore) dans la douleur, un pays où les blancs se sont fait la guerre (celle des Boers) et où les noirs se sont entretués (le bouquin fait notamment référence à la rivalité - un doux euphémisme - entre l'Inkatha du zoulou Buthelezi et l'ANC du xhosa Mandela).
Au fil de nos lectures, on sait bien désormais que l'Afrique du Sud est un pays qui ne se décrypte pas en noir et blanc, ni entre gentils et méchants, et que la principale couleur de la Nation Arc-en-Ciel est bien le rouge. le rouge sang.
D'ailleurs
Caryl Férey ne faillit pas à sa réputation et nous assène quelques scènes insoutenables (tout comme dans
Mapuche d'ailleurs) : au ciné, fastoche, il suffit de fermer les yeux quelques secondes mais au fil des pages ce bon vieux truc ne marche pas et il n'est point d'échappatoire !
Mais qu'on ne se méprenne pas sur le message de
Férey : en dépit du passé tourmenté de ce pays, l'ultra violence dont il imbibe son bouquin et qui dessèche les coeurs de ses personnages est clairement annoncée comme celle de notre société mondialisée et ne doit que peu de chose aux gènes sud-africains et au folklore local.
Plus équilibré que l'histoire argentine de
Mapuche, plus dense et plus fouillé,
Zulu est sans doute l'un des meilleurs ethno-polars sur l'Afrique du Sud et vient parfaitement actualiser les tableaux de
Malla Nunn.
Pour celles et ceux qui aiment se faire secouer.
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