16 ans après la publication de "Mille femmes blanches",
Jim Fergus donne une suite à cette histoire extraordinaire de femmes livrées aux Indiens cheyennes en 1875 pour partager leur vie dans le but de favoriser l'intégration. le livre avait été un best-seller à l'époque, 250 000 exemplaires aux USA, 400 000 en France tout d'abord, puis à ce jour 1 million d'exemplaires toutes éditions confondues.
Paru aux éditions du Cherche Midi, ce tome 2 compte 380 pages. La couverture est très réussie, il s'agit de la photo d'une amérindienne dont la prise de vue est contemporaine de l'époque du roman. Une note de l'auteur nous apprend que cette jeune femme (27 ans sur la photo), dénommée Pretty Nose, était une chef de guerre qui s'est battue en juin 1876 à la bataille de la Little Bighorn contre le général Custer. Cette photo a suffisamment inspiré
Jim Fergus pour que Pretty Nose devienne un des personnages de son nouveau roman.
A l'époque de "Mille femmes blanches",
Jim Fergus ne pensait pas donner une suite à l'histoire. Peu friand de suites, il avait d'ailleurs pris soin de faire disparaitre quasiment tous ses personnages de femmes, y compris May Dodd, la narratrice. Seules les deux jumelles Kelly, Margaret et Susan, avaient pu échapper au massacre alors que les soldats de Mackenzie détruisaient le village cheyenne de Little Wolf.
Ce nouveau roman reprend le cours du récit exactement là où il avait été interrompu. L'auteur a dû trouver un moyen scénaristique pour que l'on puisse suivre à nouveau les survivants de la bande cheyenne de Little Wolf, tout en introduisant de nouveaux personnages de femmes blanches.
Jim Fergus parvient très rapidement à susciter de nouveau l'intérêt et l'attention du lecteur, grâce à une introduction bien ficelée d'une dizaine de pages sous la plume d'un descendant de May. Celui-ci, premier lecteur des carnets qui constituent le livre, nous prépare d'ailleurs à être happés par le récit, puisqu'il relate sa propre lecture de cette manière :
« J'ai commencé à lire pour de bon, restant dans mon bureau jusqu'à la fin de la journée et la plus grande partie de la nuit. Je n'ai pris aucun appel au téléphone, n'ai répondu à aucun e-mail ou SMS, et n'ai arrêté qu'après avoir tourné la dernière page. »
S'agit-il de recommandations que l'auteur passe aux lecteurs ? Peut-être, en tous cas, c'est exactement ce que je vous souhaite.
Ceux qui ont lu le premier tome se souviennent sans doute que, pour l'essentiel, la narratrice était le personnage de May Dodd. Nous étions invités à lire le journal qu'elle avait tenu dès son départ vers l'Ouest. Ici,
Fergus reprend le principe en le perfectionnant, mais ce sont cette fois deux personnages qui tiennent journal. C'est habile, car cela permet de rompre une certaine linéarité du récit. de plus, l'histoire n'est plus univoque, cela ouvre à l'auteur des possibilités de jeux avec les deux points de vue. Il lui devient possible de ménager des effets, de faire avancer le récit par touches apportées par une narratrice qui seront ensuite précisées, amendées, expliquées, voire infirmées, par la seconde.
Le choix des narratrices est en lui-même intéressant, puisque la première voix est donnée à Margaret Kelly, un des personnages secondaires du roman précédent. le lien avec « Mille femmes blanches » est donc de cette manière clairement assuré. L'autre narratrice est un nouveau personnage, Molly McGill, arrivée chez les Indiens au début de ce livre avec un groupe d'une demi-douzaine d'autres femmes. Nous avons donc accès, tout au long de l'histoire, au point de vue des anciennes, qui ont déjà bien intégré la culture cheyenne, et au point de vue des nouvelles qui découvrent ce monde qui leur est étranger.
C'est un beau roman d'aventures, tout à fait recommandable.
La première partie relève de l'errance dans la grande prairie. le groupe que nous suivons sillonne les grandes étendues en tentant de retrouver d'autres groupes éparpillés après l'attaque des soldats. C'est le moment pour le lecteur d'en apprendre davantage sur la vie quotidienne des Cheyennes, leur organisation, leur hiérarchie sociale, leur mode de pensée, et leurs croyances. Un mode de vie qui dans cette seconde moitié du XIXe siècle leur échappe de plus en plus et dont ils ont l'intuition qu'il est amené à disparaître. Pendant ces pages d'errance nous traversons des paysages extraordinaires :
« Nos chevaux grimpent sur des langues de terre qui ressemble aux crêtes des vagues en pleine mer. Quand nous arrivons au sommet, d'extraordinaires panoramas s'étendent devant nous, à perte de vue. Les plaines et les collines ondoyantes sont ponctuées de formidables formations rocheuses, qui paraissent violemment s'élever de terre et se poursuivent jusqu'aux montagnes à l'horizon Devant ces paysages d'une splendeur inimaginable, terrifiante même, certaines d'entre nous retiennent leur souffle ou s'exclament bruyamment. »
Pourtant, à cette époque, ces grands espaces vierges le sont de moins en moins. La prairie est désormais un lieu où l'on fait de nombreuses mauvaises rencontres :
« D'abord, les soldats et les éclaireurs indiens qui parcourent le pays avec eux. Surtout des Crows, des Shoshones et des Pawnees, tous ennemis jurés des Cheyennes. Ensuite, il y a les Blancs : les colons, les chercheurs d'or, les spéculateurs avides de nouvelles terres, et les fermiers qui envahissent la région, souvent guidés par des Indiens de ces mêmes tribus, amies des Blancs. Enfin, la racaille suit toujours le mouvement. Des bandits, des voyous, des meurtriers qui s'en prennent aux plus faibles et aux plus vulnérables, comme une meute de loups traque un troupeau de bisons. Tu as peut-être l'impression qu'il n'y a personne ici, mais c'est une véritable invasion depuis qu'on a découvert de l'or dans les Black Hills. »
Une fois les différents groupes cheyennes réunis autour de Little Wolf, il leur devient nécessaire pour avoir une chance de résister aux Blancs de s'associer avec des tribus amies, les Arapaho et les Sioux du chef Crazy Horse. C'est alors la fin de l'errance pour nos personnages et le roman bascule désormais dans une période ou l'atmosphère se tend chaque jour davantage. La menace que fait peser l'armée américaine est de plus en plus réelle. Tous ont conscience de l'approche inéluctable de l'affrontement et on assiste aux préparatifs de la guerre.
Jim Fergus termine son roman le 25 juin 1876, juste avant la fameuse bataille de la Little Bighorn, l'épisode le plus célèbre de la guerre des Black Hills.
Jim Fergus insiste sur le fait que ce livre est un objet à part entière, qu'il l'a conçu pour être indépendant et qu'il n'est pas nécessaire d'avoir lu le précédent pour l'apprécier. C'est sans doute vrai, mais il n'en demeure pas moins, me semble-t-il, que la lecture du premier opus ajoute au plaisir de la lecture du second.
J'ai particulièrement apprécié l'utilisation du chant dans l'ouvrage. Les femmes blanches, comme les Cheyennes chantent beaucoup tout au long du récit. Et ces chants revêtent de nombreuses fonctions, ils permettent : d'affirmer l'identité, la culture de chacun ; de faciliter les échanges et la communication ; de passer outre la barrière des langues ; de se donner du coeur à l'ouvrage dans la vie quotidienne (montage, démontage des tepees, corvées d'eau, corvée de bois, …) ; et même de se signaler en cas de difficultés.
"
La vengeance des mères" constitue le deuxième tome de ce qui deviendra une trilogie. Lors d'une rencontre chez Babelio (merci à eux),
Jim Fergus a indiqué travailler déjà sur le troisième volume. Son intention est d'effectuer un grand saut dans le temps et de poursuivre son récit à l'époque contemporaine.