ANKETAM étendit les bras comme pour embrasser le monde. Il se haussa sur la pointe des pieds, cambra le dos et laissa échapper un bâillement prodigieux qui exprimait en quelque sorte toute la satisfaction, tout le plaisir qui lui emplissaient l’âme. Il éprouvait un léger tiraillement dans les épaules, une douleur sourde au creux des reins qui lui rappelaient qu’il n’était plus l’homme qu’il avait été vingt ans avant ; mais il refusa d’y prêter attention et s’étira de plus belle.
Il était encore vigoureux, songeait-il. Assez fort pour accomplir sa journée de travail au profit du Chef sans atteindre un degré de fatigue qui l’eût empêché de se décontracter et de jouir de la vie ensuite. À quarante-cinq ans, il avait encore devant lui quinze bonnes années avant qu’on l’affecte à des boulots mineurs mais nécessaires, sorte de justification symbolique de son entretien dans son vieil âge.
Il reposa les talons sur le sol et jeta un regard circulaire sur les champs de pousses vertes qui l’entouraient. Au moins cette partie de la tâche était-elle accomplie. Le bord inférieur du soleil affleurait à peine la ligne d’horizon à l’ouest et toutes les semences étaient en place. Anketam n’avait pas à regretter la sueur de son équipe pour achever la plantation, mais à présent les serres étaient toutes vides et prêtes pour la préparation de la récolte suivante dès que celle en cours aurait grandi jusqu’à maturité. Toutefois, cela pouvait attendre. En travaillant juste un peu plus dur, juste un peu plus longtemps tous les jours, lui et son équipe avaient réussi la transplantation quatre bons jours avant la date prévue, ce qui signifiait quatre journées qu’il pourrait consacrer à la pêche, à la chasse, ou simplement à la paresse. Peu importait au Chef comment chacun occupait ses loisirs, du moment que le boulot était fait.
D’un coup de pouce, il repoussa en arrière son chapeau à larges bords pour regarder le ciel. Il y avait bien quelques nuages au-dessus de sa tête, mais pas de menace de pluie, ce qui était une bonne chose. Dans cette partie de Xédii, les pluies de printemps étaient parfois violentes et emportaient les pousses transplantées avant qu’elles aient eu le temps de bien prendre racine. Si la pluie attendait encore une dizaine de jours, songeait Anketam, après, elle pourrait se déchaîner à pleins seaux.