Folie : un terme qui, avant d'être accepté dans toute la fragilité qu'il évoque, effraie, angoisse et isole celui qui en est qualifié. Pourtant, que de visages multiples se cachent derrière ce mot, autant que de pathologies distinctes aux variables symptômes et manifestations.
Lily vient de mourir dans l'établissement où elle était internée. Son fils Charlie est sollicité pour venir la reconnaître et effectuer les formalités suite au décès.
Il reçoit aussi les possessions de sa mère et parmi elles, une valise en osier qu'il n'a jamais oubliée. Une valise en jonc tressé qui recèle bien des richesses. Un écrin pour une mémoire infinie, des joies et des peines, des tourments, le gardien de trésors, de photographies, un antre pour abriter le souvenir…
A partir de ce qu'il y découvre – mais rien n'est réellement découverte pour lui puisqu'il connaît chaque cliché, chaque silhouette immortalisée, il connaît le signification de cette couronne de fleurs séchées, comme il sait la valeurs de ce recueil de poèmes – il débute le récit de l'histoire familiale, autour du personnage central de Lily et sur quatre générations...
Petite fille qui a vu le jour dans un champ, aussitôt bercée par le pépiement des oiseaux, et enveloppée de la senteur des fougères et autre chèvrefeuille, petite fille fantasque, curieuse, à l'imaginaire débordant et féerique mais petite fille différente, fragile toujours en équilibre qu'un souffle peut faire dériver.
Jeune fille volontaire, cultivée, si jolie qu'elle fait tourner tous les regards sauf celui de l'homme qui a épousé sa mère et qui l'ignore, la repousse, la cache même dans un grenier pour la faire disparaître et la vérité de sa maladie avec elle.
Une réalité à la vie qui s'effiloche parfois, sans que l'esprit n'en garde trace, une âme qui vole dans les nuages, elle n'en est pas moins une mère pleine d'attentions, un peu imprévisible mais qui fera de la petite enfance de son fils, un ruissellement de moments extraordinaires, un éloignement des conventions et une vie libre mais pour laquelle la fuite est souvent la seule solution pour reprendre pied.
Une vie baignée de musique, cette même musique sans laquelle, sa propre vie ne serait pas. Une vie de funambule, toujours en équilibre entre la clarté et la confusion, peuplée d'êtres qui la harcèlent...
Une jeune femme qui s'invente sans le regard d'un père tendre, décédé sans même savoir qu'elle serait, une jeune femme qui enfante sans homme à ses côtés, tout attentive à ce petit Charlie qu'elle guide dans une vie hors de la banalité.
De la disparition des êtres chers et de leur absence à affronter, solitude qui brise un peu plus de sa lucidité, de l'Histoire qui broie ceux que Lily chérit, ses défenses amoindries par tant d'adversité obligeront à son placement et à l'éloignement de son fils encore enfant…
Même en vous disant tout cela, je ne vous ai rien raconté de ce roman, tant les ramifications de l'intrigue sont nombreuses et inattendues. Elles mettent en lumière les différents membres de ces familles qui fusionnent écrivant l'histoire des existences et éclairant la lanterne de la destinée.
Timothy Findley est un grand écrivain, trop peu lu, qui possède l'art de conter. Il distille dans ce récit des thèmes qui lui sont chers : le regard du fils sur celle qui l'a mis au monde, le regard d'un fils lucide sur une mère qui l'est moins, les ravages de la première guerre mondiale, les vies anéanties, les mutilations atroces avec lesquelles il faut continuer à vivre, les troubles mentaux engendrés par les combats dans les tranchées et aussi le regard d'une société sur les êtres atteints de troubles neurologiques qu'il est préférable de cacher au reste du monde à défaut de disposer de traitement pour les aider.
Paradoxalement, dans les récits de
Timothy Findley, les "fous" sont très souvent bien plus attachants que ceux qui les condamnent et porteurs d'une bien plus grande humanité, tout amoureux de la nature et de ses créatures qu'ils sont. Ils vivent en marge mais comme on aimerait partager leur vision du monde et de la vie.
En refermant ce livre, je partage la condition d'orphelin de Charlie. Esseulée de la présence de cette femme digne, lumineuse et si généreuse, de celle pour qui une rose ou un oiseau enchante une journée bien davantage que la possession des choses matérielles et la stabilité d'une vie, de celle qui sait lire dans le chuchotement du quotidien, le bruissement des herbes et la caresse d'une libellule...