L'image de ce papa docteur vu avec beaucoup de fraîcheur et de détachement a quelque chose à la fois de très contemporain et de daté. Il emporte dans sa serviette médicale tout un pan de l'histoire déchirante de ces médeçins de famille qui étaient bien souvent en s'introduisant ainsi dans les foyers un vrai évènement social à chaque visite, non seulement il connaissait tout par coeur de la santé de ses patients qu'il suivait avec abnégation et science, mais c'était quelqu'un qui était reçu sur la base d'une confiance absolue -on s'en remettait à son médeçin -, d'un certain charisme, il venait du monde du savoir, de l'empirisme aussi, tout généraliste qu'il était. S'est-on soucié un jour de leur propre santé à ceux-la même qui étaient considérés comme des sur-hommes à qui on donnait le bon dieu sans confession, le regard du fils ici paraît presque inquisiteur..
J'ai des réminiscences de notre médeçin de famille qui était un homme extraordinaire. C'est le souvenir du gamin que j'étais que je conserve : il exerçait jusqu'à plus soif, et je crois qu'il a été emporté par la maladie le brave homme qui avait un aspect fragile comme ça, à la manière de
Tchékhov, je le voyais tout frêle, tout blanc d'une paleur étrange, -quelle ironie du sort - car à un moment donné il a disparu de
ma vie au moment même où nous avons quitté son périmètre d'action pour aller s'installer ailleurs et moi plus encore, comme une fin de cycle !..
Le médeçin du livre me fait penser au facteur que j'ai connu dans ma Bretagne profonde, qui montait les côtes à pied, tellement la malle avant de son vélo était chargée de
nouvelles, bonnes, mauvaises, de plis divers et variés, de mandats .. Il portait à son cou comme un joug la pochette en cuir qu'il ne fallait pas perdre d'un oeil : c'étaient les mandats en cash - je n'ose même pas imaginer le risque de porter ça aujourd'hui ! Il fallait qu'il affiche une mine zelée, mais je sentais bien qu'il était usé avant l'heure, qu'il prenait sur lui, sur sa santé ; je le voyais bien -bien qu'imparfaitement à mon jeune âge - puisqu'il s'arrêtait presque que dans chaque foyer à prendre un café quand ce n'était pas un fond de "la goutte" qui le grisait et lui permettait sans doute de terminer sa tournée. Mon regard s'arrêtait sur lui tendrement, cela me paraissait mystérieux et intimidant, et déjà sûrement les premiers édifices d'une vie adulte que je projetais en toute innocence. Ce n'était pas ce qu'on appelle quelqu'un de sobre, mais il avait un coeur extraordinaire du genre à tout donner et s'il avait pu ne prodiguer que des bonnes
nouvelles, il l'aurait fait à n'en pas douter, mais il savait dans le fond que la vie n'était pas facile pour personne : il en avait sa part à enfourcher sa bicyclette de facteur, par tout temps, avec comme impératif de porter sa tenue aussi rèche qu'une tenue de soldat été comme hiver. Voilà de quoi on se souvient de ces hommes qui ne sont pas toujours des exemples à suivre mais qui ont marqué notre enfance par des qualités d'abnégation au travail au delà du commun !..