Les corrections : un sans faute
A première vue, ce livre fait un peu peur : près de 700 pages et de bonnes critiques ! Ça sent l'ennui ou la déception.
Or, rien de tout ça. Ce livre est un coup de coeur.
L'histoire de la famille Lambert qui est racontée ici est à la fois tristement ordinaire et formidablement unique.
Et dans le jeu de cette famille, on va demander :
- Alfred, le père, emprisonné dans sa maladie, dont chaque évasion est une souffrance ;
- Sa femme, Enid, tragiquement accrochée à ses rêves de réussite, de morale et d'harmonie familiale. Son obsession à réunir tous les enfants le jour de Noël est un des fils rouges du récit.
- Un des fils, Chip, ex-universitaire libidineux et néo-scénariste raté ;
- L'autre fils Gary, banquier, fils modèle et paranoïaque. Il estime de son devoir de remettre de l'ordre dans tout ce fatras familial ;
- Et enfin, la fille Denise, ambitieuse et travailleuse, ex-grand chef cuisinier qui provoque des crises en découvrant un pan nouveau de sa personnalité.
Il y aura-t-il de la gêne à Noël ?
Gary prendra-t-il les rênes à Noël ?
Chaque membre de la famille Lambert est ausculté, disséqué.
A travers les générations, les mêmes névroses, la même recherche de l'identité, les mêmes territoires secrets que chacun va explorer à sa manière. La nouvelle génération qui s'est enfuie de l'épicentre familial de
Saint Jude dans le Mid-west corrigera-t-elle ce qu'elle reproche à la précédente ? Qui sont ces enfants qui veulent des "choses radicalement, honteusement différentes" de celles de leurs parents ?
Au-delà du destin familial, le livre parle aussi bien sûr, de l'Amérique et pose de nombreuses questions.
- Qui acceptera de paraître "moins cool", juste ordinaire, d'être "les bons citoyens du coeur de l'Amérique : conducteurs de monospaces saint judéens affichant un surpoids de 15 ou 20 kilos, avec des pulls de couleur pastel, des autocollants antiavortement et des cheveux coupés en brosse " ?
- "Et si le grand ordre matérialiste améliorait réellement la vie des opprimés ? ".
Un des tours de force de ce roman est de rendre crédible chaque personnage. Un autre est d'instiller en permanence l''humour, la tendresse et parfois, le désespoir le plus noir.
Certaines scènes sont drôlatiques (les soupers à bord du navire de croisière, les escroqueries de Chip qui promet à de futurs investisseurs en Lituanie, de pouvoir nommer les magistrats et les juges ou d'accéder aux écoutes téléphoniques de l''Etat !) ; d'autres, proches du cauchemar (et en particulier les hallucinations causées par la maladie de Parkinson du père) et d'autres encore, extrêmement poignantes (le repas interminable du jeune Chip, la révélation du secret gardé par le père, ses derniers instants de cruelle lucidité, l'attente de la mère du retour de Chip).
Une petite interrogation toutefois : page 293, une phrase est incompréhensible qui semble faire parler l'antipathique Caroline, femme de Gary, à sa place. le traducteur s'est-il endormi ?
Je recommande sans réserve ce roman, peu commun. Si vous entrez dans cette histoire, vous allez y prendre beaucoup de plaisir.