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Rémy Lambrechts (Traducteur)
EAN : 9782020611961
720 pages
Seuil (01/10/2003)
3.76/5   1014 notes
Résumé :
La famille Lambert est une famille comme les autres : derrière son apparente bonhomie se cachent des désirs parfois inavouables ... De déchirures en réconciliations, Enid, Alfred et leurs trois enfants tentent de donner un sens à leurs contradictions. Et si on ne naissait que pour corriger les erreurs de ses parents ?
Un roman-fleuve à l'humour féroce, dont la puissance balaye tout sur son passage.

« On le sentait : quelque chose de terrible a... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (101) Voir plus Ajouter une critique
3,76

sur 1014 notes
Voilà, ça c'est ce que j'appelle de la Littérature. Un écrit qui a du souffle, de l'ambition, de l'intelligence, de l'imagination, du vocabulaire, du style. Qui engendre toute une gamme de sensations : émotion, agacement, rire, malaise, admiration et même suspense. Et qui ne prend pas le lecteur pour un c…
Ouf, n'en jetez plus, me direz-vous, c'est bien trop pour un seul homme, ou un seul livre. Difficile à croire qu'on trouvera tout cela dans Les Corrections, quand on sait que la trame consiste banalement à nous parler d'une famille banale, issue banalement de la classe moyenne supérieure d'une non moins banale ville du Midwest américain. Et pourtant…
Or donc, dans la famille Lambert, je demande les parents, al et Enid, vieillissant dans leur maison encombrée par une accumulation de 40 ans de choses inutiles et/ou inutilisables. Al, le patriarche, glisse dangereusement sur la pente de Parkinson et de la démence sénile. Lui qui n'a jamais su exprimer ses sentiments, le voilà prisonnier d'un corps et d'un esprit défaillants. Enid, sa femme souvent insupportable de morale bêtifiante et obsessionnellement attachée à sauvegarder les apparences, est tout aussi obsédée par l'idée de réunir une dernière fois la famille pour Noël.
J'appelle ensuite la jeune génération, guère plus brillante : Gary, Chip et Denise, la quarantaine aujourd'hui, se sont empressés de fuir le foyer étouffant pour éviter de reproduire les erreurs des parents, coupables de n'avoir su créer un cadre familial harmonieux et aimant. Mais les « corrections » voulues par les rejetons ne s'avèrent pas plus efficaces. Chip, professeur d'université raté et viré, s'embarque dans d'improbables tribulations « magouillantes » en Lituanie. Gary, dont on pourrait croire qu'il a « réussi sa vie » et est le seul être sensé de la famille, a si peur de sombrer dans la dépression qu'il en devient paranoïaque. Denise, la petite dernière, jamais à court d'idées de recettes pour le restaurant gastronomique dont elle est le chef, se trouve bien dépourvue quand il s'agit de savoir qui elle est vraiment.
Et ça se chamaille, ça s'engueule, ça se critique (ouvertement ou non, peu importe, pourvu que les voisins n'en sachent rien), ça se déteste, ça s'entraide, ça se laisse tomber, enfin bref, ça s'aime même si ça ne s'en rend pas compte. Une famille formidable ? Que nenni, on est loin de la vision idyllique. Au contraire, la plume est trempée dans un cynisme vitriolé plutôt que dans le coulis de guimauve. L'analyse est réaliste, brassant les thèmes des relations familiales principalement, mais aussi du capitalisme, de la vieillesse, de la maladie et des conventions sociales, alternant humour corrosif à la hache (ahh, les conversations téléphoniques entre Gary et sa mère…les déboires de Chip…), effroi distillé au bistouri glacé (les délires d'al font froid dans le dos), et en fin de compte et entre les lignes, compassion distribuée à la petite cuillère.
Alors oui, ce roman « mesure » 700 pages. Mais pour une fois, qualité rime avec quantité, malgré certaines longueurs. Mais attention, ce n'est pas un pavé « facile ». L'auteur est exigeant, il n'est pas du genre à enchaîner les romans commerciaux insipides vendus au rayon lecture du supermarché. Je reste admirative devant tant de talent : intelligence d'écriture, envolées littéraires, sens de la formule, saut passé/présent en deux mots sans rendre le récit chaotique. Il faut passer l'obstacle des premières pages déroutantes, s'accrocher parfois, ne pas renoncer car le jeu en vaut la chandelle : un grand roman par un grand auteur.
Les esprits chagrins trouveront ce roman prétentieux, indigeste ou déprimant. Moi je remercie Monsieur Franzen de tirer la littérature – et les lecteurs – vers le haut.
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Connaissez vous Jonathan Franzen ? Non ! dommage
Connaissez vous " les corrections" et la famille Lambert ? Re-non ! re-dommage
La spécialité de Jonathan Franzen c'est la famille, mais plutôt une famille qui part en vrille.
Prenez par exemple les Lambert, une famille qui aurait pu voter Trump en 2016, une famille du middle west comme tant d'autre.
Chez les Lambert il y a le père, Alfred, ingénieur à la retraite des chemins de fer. Il est plutôt taiseux Alfred, sa retraite il l'a passe dans son garage entre ses inventions et son fauteuil bleu qu'il quitte de moins en moins depuis qu'il a la maladie de Parkinson.
Enid la mère au foyer, celle qui fait tourner la maison. Enid est une femme d'un autre temps avec des idées biens arrêtées comme " pas de relation sexuelle avant le mariage". Son obsession, les fêtes de noël.
Pour l'instant le model familial à la sauce aigre douce de Franzen est à peu près normal, il y aurait peut-être quelques " corrections" à faire. La famille c'est comme une mécanique bien huilée, on peut entendre le doux ronronnement du moteur. Sauf qu'au moindre grain de sable la mécanique se grippe. Je vais vous présenter les grains de sables, les enfants Lambert.
Gary est le fils ainé, le chouchou de sa maman, son travail est d'acheter et vendre des actions boursières. Marié à Caroline et père de trois garçons.
Gary est matérialiste normal pour quelqu'un qui travaille dans la finance.
Il est plutôt fier de sa réussite sociale, il se croit indispensable, voudrait régenter son monde mais ne maitrise rien, surtout pas sa femme qui le mène par le bout du nez.
Chip le deuxième fils est le contraire de Gary, il manque d'assurance, comme si le frère ainé avait tiré la couverture à soi.
Ce professeur d'économie, licencié de l'université où il enseignait à des rêves d'écrivains.
Et pour finir je vous présente Denise, chef cuisinier dans un restaurant gastronomique de Philadelphie ou plutôt était car Denise a été licenciée pour faute grave.
Jonathan Franzen ne prend pas de gants, comme à son habitude il égratigne, il sait de façon habile rendre ses personnages agaçants voir insupportables. Avec " Les corrections " l'auteur de "Freedom" et de " Purity" nous renvoie à nous même et à nos travers. Un grand roman comme les écrivains américains savent le faire.
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L'analyse de la famille dysfonctionnelle, sujet battu et rebattu, trouve dans Les corrections les voies de l'excellence.

La complexité des relations entre les membres d'une famille et leur rapport au monde y sont décortiqués avec une précision et une pertinence formidables. Maladie, vieillesse, ambition, sexualité, amour, tout ce qui participe de la vie ordinaire des Lambert, américains moyens, est scruté avec une qualité dans l'observation qui lui confère une vraie valeur et une portée plus générale. Car chacun peut se retrouver dans ce roman ironique et cinglant, tendre et émouvant, d'une veine exceptionnelle.
A lire sans faute.
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Un grand roman américain que Les corrections ! L'auteur Jonathan Franzen nous présente la famille Lambert, en apparence bien ordinaire, qui vaut bien n'importe laquelle. Il fait même davantage : il la dissèque sous toutes ses coutures, révélant au grand jour un drame cruel et dérangeant mais ô combien fascinant. Au grand bonheur des lecteurs qui auront la patience et le courage de traverser ces quelques 700 pages.

Alfred Lambert, le patriarche, est un ingénieur-retraité d'une petite compagnie ferroviaire du Midwest américain. Un homme simple, foncièrement honnête mais surtout vieillissant, à la santé physique et mentale vacillantes, déclinantes. Cet homme malade, obstiné, qui n'en fait qu'à sa tête, se terre au sous-sol où il passe ses journées sur son vieux fauteuil laid. Sa femme Enid semble plus sympathique au premier abord. Mais elle dérange avec son insistance à vouloir sauver les apparences, à se mêler de tout et de rien, à picorer, à juger les gens selon ses valeurs d'un autre temps, figées, immuables. Et que dire de son obstination, de son obsession à vouloir rassembler tout son petit monde pour Noël sans le demander directement.

Puis il y a les enfants. Ils sont trois et ils ont fui leur petite ville de St. Jude (ou bien le nid familial ?). L'ainé, Gary, occupe une position enviable dans une boite de la Caroline du Nord. Marié, père de trois garçon, il a crée sa propre famille, parce que c'était la chose à faire. Mais il n'est pas nécessairement heureux, il lutte contre la dépression et cède devant les exigences de son épouse capricieuse. Aussi, il ne pense qu'à l'argent, le nouveau dieu des temps modernes. Il ne souhaite surtout pas finir comme son frère cadet, Chip. Ce dernier a été viré de son emploi de professeur d'université et survie grâce à des piges dans des journaux à New York. Il rêve de devenir écrivain mais ne subit que des revers et des déboires. Puis il y a Denise, plus stable en apparence, qui vit à Philadelphie. Après un mariage raté et un flirt avec le lesbianisme, elle concentre ses énergies à trouver des recettes pour son nouveau restaurant gastronomique (elle est chef) et à concilier tout le monde.

À eux cinq, les membres de cette famille dysfonctionnelle représentent différentes facettes de l'Amérique. Je crois que tout le monde peut s'identitifer à un des personnages, ou du moins y reconnaître quelqu'un de sa connaissance. Dans son roman, Franzen dresse un portrait impitoyable de cette classe moyenne supérieure, fait une critique sociale. Et c'est très réussi. Les Lambert sont autant victimes du sort (du destin) que des choix personnels qu'ils font. Ils se débattent dans un chaos dont ils sont à moitié responsables. Combien de fois ai-je lancé aux personnages (dans ma tête, bien sur) : « Fais pas ça ! Non ! » Inutilement, cela va de soi. Après tout, les Lambert sont tellement crédibles, complets, complexes. Ils sont humains !

Les corrections permet d'explorer des thèmes universels comme la vieillesse (et tout ce qu'elle entraine : déchéance, sénélité, sort réservé aux personnes âgées), la famille, l'argent, la quête de soi, etc. La vie tout court. Qui peut se vanter de ne pas se sentir concerté ? Et Franzen parvient nous interpeler encore davantage grâce à son style, qui mélange habilement humour (corrosif, cynique ou décapant, selon chacun) et intelligence. Il n'est pas moralisateur du tout, il ne s'appitoie pas sur les malheurs des Lambert comme tant d'autres l'auraient fait. Non, il ne fait que dérouler sous les yeux des lecteurs, avec un réalisme incroyable, leur histoire. Elle semble d'abord ordinaire et ennuyeuse (elle l'est un peu par moments, je pense à toutes pages sur les recherches et spéculations financières de Gary), mais elle se révèle compliquée, dure, éprouvante. Il faut s'y habituer, et ce, dès les premières pages. D'autant plus que l'auteur ne laisse que très peu de place à l'imagination. Tout y est décrit, raconté avec une froide précision. Bref, un ncontournable de la littérature américaine moderne, selon moi.
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Une famille moyenne dans une ville moyenne décortiquée par la plume brillante de l'auteur, c'est du plaisir à l'état pur. Il y a l'odeur du vieux dans la maison familiale avec Alfred, le père, qui glisse doucement mais sûrement dans la démence sénile avec toutes les conséquences hygiéniques qui vont avec la maladie. Nous sommes avec lui dans son cerveau avec ses réactions, ses peurs, ses problèmes pour bouger correctement, plus de notions d'espace, de temps, mieux qu'un film d'horreur. Enid la mère, me fait beaucoup penser à la mienne, passe son temps à tout cacher, surtout le courrier, accumule objets inutiles et souvenirs. Inutile de lui demander, elle ne sait plus où les objets et le courrier sont rangés. Elle essaye de sauver les apparences, nie la maladie de son mari, ne pense qu'à faire des croisières, à fêter le prochain Noël dans sa maison avec tous ses enfants, n'écoute rien, n'en fait qu'à sa tête, adore faire culpabiliser ses enfants pour obtenir ce qu'elle veut, du grand art d'une mère loin d'être parfaite et très énervante. Les trois enfants ont quitté dès que possible ce foyer, chacun avec son fardeau, ses obsessions et surtout le désir de ne pas devenir comme les parents. Gary l'aîné, le plus clairvoyant, mais se battant avec ses propres démons, essayant de sauver sa propre famille du naufrage conjugal. Chip, brillant mais autodestructeur se mettant dans toutes les situations délicates comme si la normalité le rapprochait trop de sa famille. Denise, la petite dernière, peut être la plus stable, un appartement, un métier, mais des sentiments amoureux indécis. Si vous n'avez jamais lu du Jonathan Franzen, lancez-vous, c'est dérangeant, brillant et jouissif.
Lien : http://pyrouette.canalblog.c..
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Citations et extraits (74) Voir plus Ajouter une citation
"Sois maudit! lança Alfred. Ta place est en prison!"
L'étron s'étrangla de rire tout en glissant très lentement le long du mur, ses pseudopodes visqueux menaçant de couler sur les draps en contrebas. "J'ai l'impression, dit-il, que les personnalités anales comme la tienne veulent tout mettre en prison. Les marmots, par exemple, mauvaise affaire, mon vieux, ils font tomber ton bastringue de tes étagères, ils renversent de la nourriture sur le tapis, ils crient au cinéma, ils pissent à côté du pot. Au trou! Les Polynésiens, vieux, ils répandent du sable dans la maison, laissent des jus de poisson sur le mobilier, et toutes ces minettes pubescentes avec leurs doudounes à l'air? En prison! Et les dix-vingt ans, tant qu'on y est, tous ces ados en rut, je ne te dis pas pour l'insolence, vas-y pour la contrainte. Et les Nègres (sujet douloureux, Fred?), j'entends des hurlements exubérants et une grammaire surprenante, je sens de l'alcool de la variété maltée et de la sueur très riche, façon jus de crâne, et toutes ces danses et cette bringue et ces chanteurs qui miaulent comme des organes humidifiés avec de la salive et des gels spéciaux : à quoi sert une prison sinon à y jeter un Nègre? Et tes Jamaïcains, avec leurs joints, leurs gamins bedonnants, leurs barbecues quasi quotidiens, leur hantavirus charriés par les rats et leurs boissons sucrées avec des sang de porc au fond? Claque la porte de la cellule et avale la clé. Et les Chinois, vieux, ces légumes à te donner la chair de poule avec des noms bizarres, comme des godemichés maison que quelqu'un aurait oublié de laver après utilisation, un dollah, un dollah, et ces carpes fangeuses et ces oiseaux chanteurs écorchés vifs, et, allez, genre, la soupe de chien, les boulettes de caca à la noix et les bébés filles sont les spécialités nationales, et la bonde de porc, par quoi nous désignons ici l'anus d'un cochon, sans doute quelque chose de poilu et difficile à mâcher, la bonde de porc est un truc que les Chinois paient pour manger? Et si on atomisait simplement le milliard virgule deux qu'ils sont, hein? Commencer par le faire le ménage dans cette partie du monde. Et n'oublions pas les femmes en général, rien d'autre qu'un semis de Kleenex et de Tampax partout où elles vont. Et les tapettes avec leurs lubrifiants de cabinet médical, et les Méditerranéens avec leurs moustaches et leur ail, et les Français avec leurs porte-jarretelles et leurs fromages obscènes, et les prolos gratteurs de couille avec leurs voitures trafiquées et leurs rots de bière, et les Juifs avec leurs burettes circoncises et leur gefilte Fisch comme des étrons au naturel, et les HSP avec leurs hors-bord. leurs chevaux polo au cul baveux et leurs cigares à dégueuler? Hé, le truc drôle, Fred, les seuls gens qui échappent à ta prison sont les hommes d'origine nordique de la classe moyenne supérieure. Et tu me cherches des poux parce que je voudrais que ça marche à mon idée?
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Gitanas Misevicius venait d'une famille de prêtres, de soldats et de fonctionnaires proches de la frontière russe. Son grand-père paternel, un juge local, avait échoué à une séance de questions-réponses avec les nouveaux administrateurs communistes en 1940 et été envoyé au goulag, accompagné de sa femme. On n'avait plus jamais entendu parler de lui. Le père de Gitanas possédait un bar à Vidiskés et il procura aide et réconfort aux partisans du mouvement de résistance (les soi-disant Frères de la Forêt) jusqu'à la fin des hostilités, en 1953.

Un an après la naissance de Gitanas, Vidiskés et huit municipalités environnantes furent vidées par le gouvernement fantoche pour laisser la place à la première de deux centrales nucléaires. Les quinze mille personnes ainsi déplacées ("pour des raisons de sécurité") furent relogées dans une petite ville flambant neuve complètement moderne, Khroutchevai, qui avait été construite en toute hâte dans la région des lacs, à l'ouest d'Ignaina.

" Assez lugubre, tout en parpaing, pas d'arbres, raconte Gitanas à Chip. Le nouveau bar de mon père avait un comptoir en parpaing, des alcôves en parpaing, des étagères en parpaing. L'économie socialiste planifiée de Biélorussie avait produit trop de parpaings et les donnait pour rien. Du moins, c'est ce qu'on nous racontait. Enfin, nous emménageons tous. Nous avions nos lits en parpaing, nos terrains de jeu avec des équipements en parpaing. Les années passent, j'ai dix ans, et soudain tout le monde à un père ou une mère atteint d'un cancer des poumons. Je dis bien tout le monde. Enfin, et voilà que mon père a une tumeur aux poumons et les autorités finissent par venir jeter un coup d’œil à Khroutchevai, et, baste, nous avons un problème de radon. Un gros problème de radon. Un désastreux putain de problème de radon, en fait. Parce qu'il s'avère que ces parpaings sont légèrement radioactifs ! Et le radon s'accumule dans toutes les pièces fermées de Khroutchevai. En particulier dans une pièce comme une salle de bar, où il n'y a pas beaucoup d'air, et où le patron reste toute la journée à fumer des cigarettes. Comme le faisait mon père, par exemple. Eh bien, la Biélorussie, qui est notre république socialiste sœur ( et que, soi dit en passant, nous, les Lituaniens, possédions autrefois), la Biélorussie dit qu'elle est vraiment désolée. Il devait y avoir un peu de pechblende dans ces parpaings, dit la Biélorussie. Grosse erreur. Désolée, désolée, désolée. Alors nous quittons tous Khroutchevai et mon père meurt, horriblement, dix minutes après minuit le lendemain de son anniversaire de mariage, parce qu'il ne voulait pas que ma maman se souvienne de sa mort le jour anniversaire de leur mariage, et trente années passent, Gorbatchev se retire, et nous allons enfin jeter un coup d’œil dans ces vieilles archives, et tu sais quoi ? Il n'y avait pas de bizarre surabondance de parpaings due à une erreur de planification. Il n'y avait pas de couille dans le plan quinquennal. Il y avait une politique délibérée de recyclage des déchets nucléaires de très faible intensité dans les matériaux de construction. Selon la théorie que le ciment des parpaings neutraliserait les radio-isotopes ! Mais les Biélorusses avaient des compteurs Geiger et ce fut la fin de ce rêve heureux de neutralisation, et un millier de trains de parpaings nous ont donc été gracieusement envoyés, à nous qui n'avions aucune raison de soupçonner que quelque chose n'allait pas..."
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Plus tôt dans la journée (...) Chip avait conclu qu'il se comportait comme un déprimé.
A présent, comme son téléphone se mettait à sonner, il se dit qu'un déprimé devrait continuer de regarder la télé en ignorant la sonnerie - devrait allumer une nouvelle cigarette et, sans la moindre émotion, regarder un nouveau dessin animé tandis que son répondeur prendrait le message s'il y en avait un.
Que son impulsion fût, au contraire, de bondir pour répondre au téléphone - qu'il puisse si facilement trahir le laborieux gâchis d'une journée - jetait un doute sur l'authenticité de sa souffrance. Il avait l'impression qu'il lui manquait la capacité de perdre toute appétence et tout lien avec la réalité comme les déprimés des livres et des films. Il lui sembla, au moment où il éteignit la télévision et se précipita à la cuisine, qu'il échouait même dans la tâche pitoyable de s'effondrer proprement.
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- Les mammifères sont arrivés quand le monde s'est refroidi. Du givre sur la citrouille. Des choses velues dans des tanières. Mais à présent nous avons un mammifère très malin qui arrache tout le carbone du sous-sol et le renvoie dans l'atmosphère.
- [...]
- Une fois que nous aurons brûlé tout le charbon, le pétrole et le gaz, dit le Dr Roth, nous aurons une atmosphère antique. Une atmosphère chaude et sale comme on n'en a plus vu depuis trois cents millions d'années. Une fois que nous aurons laissé le génie du carbone sortir de sa bouteille de pierre.
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Alfred était planté au milieu de la chambre de maître et se demandait pourquoi les tiroirs de sa commode étaient ouverts, qui les avait ouverts, s'il les avait ouverts lui-même. Il ne pouvait s'empêcher d'en vouloir à Enid de sa propre confusion. De la révéler par sa présence. D'exister, comme une personne qui aurait pu ouvrir ces tiroirs.
"Al ? Qu'est-ce que tu fais ?"
Il se tourna vers l'embrasure de la porte où elle était apparue. Il entama une phrase : "Je...", mais quand il était pris par surprise, chaque phrase devenait une aventure au fond des bois ; dès qu'il cessait d'apercevoir la lumière de la clairière dont il venait, il se rendait compte que les miettes qu'il avait semées pour s'en faire des points de repère avaient été mangées par des oiseaux, de silencieuses et prestes créatures qu'il ne voyait pas dans l'obscurité, mais qui étaient si nombreuses et si envahissantes par leur faim qu'il semblait qu'elles fussent l'obscurité, comme si l'obscurité n'était pas uniforme, n'était pas une absence de lumière, mais une matière grouillante et corpusculaire, et, à vrai dire, lorsque, adolescent studieux, il avait rencontré le mot "crépusculaire" dans l'anthologie de poésie anglaise de McKay, les corpuscules de la biologie avaient contaminé sa compréhension du terme si bien que durant toute sa vie d'adulte il avait vu dans le demi-jour une corpuscularité, comme celle du grain du film haute vitesse nécessaire pour faire des photos dans une faible lumière ambiante, comme celle d'un lugubre dépérissement ; d'où la panique d'un homme trahi au plus profond des bois dont l'obscurité était l'obscurité d’étourneaux occultant le couchant ou de fourmis noires assaillant un opossum mort, une obscurité qui ne se contentait pas d'exister, mais qui consommait activement les repères qu'il avait judicieusement établis afin de ne pas se perdre ; mais à l'instant de s'apercevoir qu'il était perdu, le temps devint merveilleusement lent et il découvrit des éternités jusque-là insoupçonnées dans l'espace séparant un mot du suivant, ou, plutôt, il devint captif de cet espace entre les mots et ne put qu'observer, immobile, le passage du temps sans lui, la partie gamine et irréfléchie de lui continuant de sombrer aveuglément à travers les bois tandis que lui, le piégé, l'Al adulte, observait dans un retrait bizarrement impersonnel afin de voir si le gosse frappé de panique pourrait, bien que ne sachant plus où il était ni à quel endroit il était entré dans la forêt des phrases, réussir encore à trouver à tâtons la clairière où Enid l'attendait, inconsciente de toute forêt - "Fais ma valise", s'entendit-il dire. Cela sonnait juste. Verbe, pronom possessif, nom. Voici qu'il avait une valise devant lui, importante confirmation. Il n'avait rien trahi.
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Vidéo de Jonathan Franzen
C'est l'un des mots de la langue française qui a le plus de synonymes dans le langage courant. Et pourtant, c'est bien souvent un sujet tabou dans notre société, dans la vie publique mais aussi dans la sphère privée.
Notre invitée du jour a pris le sujet de l'argent à bras-le-corps, en l'étudiant sous le prisme des inégalités hommes-femmes. Dans son ouvrage "Le Couple et l'Argent", en partant du constat que les hommes sont plus riches que les femmes, Titiou Lecoq montre que cela commence dès l'enfance et que le couple accentue encore les inégalités. Au fil de son enquête, elle démonte les mécanismes qui font que l'argent n'est pas neutre, et propose des solutions concrètes pour tout changer.
Elle nous en parle au fil d'un entretien où il sera question, entre autres, de son parcours, du féminisme, d'Honoré de Balzac et de quelques propositions de réformes. Et à l'issue de ce dialogue, nos libraires du rayon Sciences Humaines nous livreront quelques suggestions de lectures complémentaires.
Bibliographie :
- le Couple et l'Argent, de Titiou Lecoq (éd. L'Iconoclaste) https://www.librairiedialogues.fr/livre/21394690-le-couple-et-l-argent-pourquoi-les-hommes-sont--titiou-lecoq-l-iconoclaste
- Les Morues, de Titiou Lecoq (éd. le Livre de poche) https://www.librairiedialogues.fr/livre/4060997-les-morues-titiou-lecoq-le-livre-de-poche
- Honoré et moi, de Titiou Lecoq (éd. le Livre de poche) https://www.librairiedialogues.fr/livre/18464064-honore-et-moi-parce-qu-il-a-reussi-sa-vie-en-p--titiou-lecoq-le-livre-de-poche
- Les Grandes Oubliées, de Titiou Lecoq (éd. Folio) https://www.librairiedialogues.fr/livre/18955203-les-grandes-oubliees-pourquoi-l-histoire-a-eff--titiou-lecoq-l-iconoclaste
- Crossroads, de Jonathan Franzen (éd. L'Olivier) https://www.librairiedialogues.fr/livre/20911355-crossroads-jonathan-franzen-editions-de-l-olivier
- le Genre du capital, de Céline Bessière et Sibylle Gollac (éd. La Découverte) https://www.librairiedialogues.fr/livre/20926495-le-genre-du-capital-comment-la-famille-reprod--sibylle-gollac-celine-bessiere-la-decouverte
- le Coût de la virilité, de Lucie Peytavin (éd. le Livre de poche) https://www.librairiedialogues.fr/livre/18362655-le-cout-de-la-virilite-ce-que-la-france-econom--lucile-peytavin-anne-carriere
- le Prix à payer , de Lucile Quillet (éd. Les Liens qui libèrent) https://www.librairiedialogues.fr/livre/20915509-le-prix-a-payer-ce-que-le-couple-heterosexuel--lucile-quillet-editions-les-liens-qui-liberent
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