Faire l'amour est parfois une chose simple et banale, mais c'est parfois problématique et presque impossible. Deux êtres unissent leurs espoirs, leurs attentes, leurs névroses t leurs désirs ; c'est un peu comme deux mondes qui se télescopent.
Envisager l'avenir me donnait le vertige-comme de regarder dans un puits noir à mes pieds sans en voir le fond .
Avec des maisons , on peut démolir et rebâtir . Pas avec les êtres humains .
Nous ne grandissons jamais assez pour nous passer de lamour de nos parents.
Je ne sais pas pourquoi un souvenir d'enfance me revint. Nous faisions une promenade à vélo et je restais à la traîne. J'avais beau pédaler de toutes mes forces, mes parents s'éloignaient inexorablement. Ils m'attendaient, mais à peine étaient-ils repartis que la distance grandissait de nouveau. Je pédalais, pédalais, pleurant de rage et de fatigue. A la fin de la promenade, mon père vérifia ma bicyclette et s'aperçut qu'un frein s'était coincé sur la jante. Cela illustre bien les fois où les choses deviennent trop pénibles. J'avais maintenant l'impression que ma mère avait passé des années les freins serrés et que, depuis que Kerry était amoureuse, ils se débloquaient.
Avant, je me demandais comment on savait que c'était le véritable amour. Plus maintenant.
Les jours passèrent. Puis les semaines. Quoi qu'on fasse, le temps s'écoule toujours.
Je sortis tout de même. Je ne pouvais rester dans mon appartement.
Mon appartement! Comment me sentir chez moi avec la crème à
raser de Brendan dans ma salle de bains, la télévision de Kerry sur
mon étagère, leur musique à fond, leur lait de soja dans mon frigo,
leurs pyjama et chemise de nuit suspendus derrière mon canapé ?
Je parcourus le Heath à grandes enjambées, piétinant les feuilles
mortes, soufflant de petits nuages de buée. C’était une merveilleuse
journée, j’avais rencontré un type qui me plaisait, j’aurais dû être
heureuse - or, j’avais cette boule au creux de l’estomac, brûlante
comme de l’acide. Je ne pouvais m’empêcher de penser à Brendan
sur le siège de mes toilettes, allongé dans ma baignoire, mangeant à
deux pas de moi, allant blottir sa tête dans le cou de Kerry, de ma
mèrem, ses cheveux sur ma brosse, sa main sur mon épaule, son
haleine contre ma joue. Je frissonnai, et accélérai l’allure afin
d’éteindre ma rage et d’ oublier mon dégoût
Je m’enjoignis d’être polie et amicale pour faire plaisir à Kerry. Je
shootai dans un tas de marrons que je regardai zigzaguer. Juste quel-
ques jours, une semaine ou deux, et ils emménageraient dans leur
nouvelle maison ; ils seraient occupés à la décorer, à préparer leur
mariage, je les verrais à peine. Mais, j’avais beau me persuader, je
l’entendais encore me parler de ma jolie bouche, je me rappelais ses
lèvres baveuses sur ma joue et la nausée me saisissait aussitôt.
J'ai peur qu'un jour je ne cesse de te parler, parce que, ce jour-là, tu seras vraiment mort.
(...) la souffrance est parfois un fléau, parfois un cadeau, et qu'on peut toujours s'arranger pour qu'elle tourne du bon côté.