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sur 102 notes
"Quand Hitler arriva au pouvoir, j'étais dans mon bain". Au début des années 2000, en Australie, Ruth est une vieille dame à la mémoire volatile et à la santé défaillante. Pourtant, l'arrivée d'un paquet par la poste va soudain faire rejaillir les souvenirs d'une époque douloureuse. Il s'agit des Mémoires et des derniers écrits de Ernst Toller, mort à New York en 1939 et compagnon de route et de résistance des années 30.

Par des allers et retours entre ces écrits et les souvenirs retrouvés de Ruth, l'auteur nous ramène en Allemagne, en pleine montée du nazisme, avec la prise de pouvoir d'Hitler et la négation progressive de toute démocratie. Ruth a grandi sur les ruines de la guerre de 14-18 et son adolescence a été guidée par un engagement pacifiste et un espoir de révolution inspiré de celle de la Russie. Mariée à Hans, un journaliste satirique, elle admire sa cousine, Dora Fabian, engagée pour cette cause qu'elle entend défendre à tout prix aux côtés d'intellectuels dont Ernst Toller avec lequel elle vit une histoire passionnelle mais contrariée par leurs deux personnalités indépendantes. Bientôt repéré et menacé par les nazis, le petit groupe est forcé à l'exil comme des milliers d'allemands qui fuient le régime hitlérien.

Depuis Londres, ils tentent d'organiser une chaîne d'informations pour alerter les gouvernements européens des véritables visées d'Hitler alors que les Anglais et les Français persistent à le considérer comme un chef d'état tout à fait normal. Dora est la plus engagée, celle qui prend le plus de risques et qui parviendra notamment à sauver les écrits de Toller et même à les faire sortir d'Allemagne. Pourtant, l'opinion publique reste sourde. Les mouvements des réfugiés sont entravés par leur statut qui leur interdit toute action ou prise de parole politique mais ils réussissent malgré tout à se procurer et à diffuser des informations qui mettent en lumière les mensonges d'Hitler qui, malgré les termes du traité de Versailles est en train de reconstituer une armée et de l'équiper de matériel dernier cri. le Reich continue à avancer ses pions, menaçant, jusque sur le sol britannique.

Dans ce contexte dramatique, alors que chaque destin est sur un fil, les personnages se battent entre amours et trahisons, complots et mensonges, guidés par un idéal de vérité et un espoir de liberté. L'auteur rend ici un bel hommage à ces combattants qui ne sont pas souvent mis en lumière en littérature. Inspiré d'une histoire vraie, basé sur une documentation méticuleuse recensée en fin d'ouvrage, ce roman qui se lit comme un polar est aussi poignant qu'instructif.

On espère qu'il y aura toujours des Ruth, des Toller et des Dora pour alerter. On espère que la prochaine fois ils seront écoutés et réussiront là où ils ont malheureusement échoué : éviter la guerre.

Un roman riche et très éclairant sur la condition des réfugiés que ce soit pour des raisons politiques ou pour échapper à l'antisémitisme. Des personnages magnifiques et terriblement romanesques. Une belle réussite.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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J'avais lu de la même romancière, il y a quelques années, "Stasiland" qui m'avait laissé un très bon souvenir. J'étais donc très impatiente de découvrir son nouveau roman "Tout ce que je suis".

Anna Funder raconte le parcours de quatre jeunes intellectuels allemands réfugiés à Londres pour fuir le régime nazi naissant. Fuir ne veut pas dire l'occulter, car ils sont déterminés à dénoncer au monde le danger potentiel que représente le nazisme. le problème, c'est qu'en Angleterre, les réfugiés ne doivent pas avoir d'activités politiques ni professionnelles. Il est très compliqué de survivre et de s'exprimer. Ajouter à cela la présence d'agents du régime hitlérien qui, pernicieusement, cherchent à les déstabiliser, les persécuter et à les supprimer.

Le récit alterne entre les confidences de Ruth, une vieille dame en fin de vie résident en Australie et celles d'Ernst Toller, écrivain réfugié aux Etats-Unis à la fin des années 30.

Si d'un point de vue historique (la plupart des personnages évoqués ont réellement existé), on apprend beaucoup de choses, d'un point de vue littéraire, le parti pris narratif de l'auteure rend l'histoire confuse et difficile à suivre. J'ai personnellement eu des difficultés à m'attacher aux personnages. Ce n'est qu' à la fin de l'ouvrage que l'émotion surgit, hélas, tardivement.

Mon avis sur ce livre reste très mitigé.

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J'ai eu beaucoup de mal à rentrer dans ce roman. Un procédé de relation des souvenirs qui fait des allers-retours dans l'espace et dans le temps sans transition dans les chapitres et une première moitié qui traîne en longueur ont fait s'étioler ma concentration. Mais parvenu en sa seconde moitié, cette construction déstabilisante digérée, les événements relancent l'intérêt. On s'imprègne alors du dramatique de la situation.
C'est un roman à deux voix. Dont une s'est éteinte en 1939 à New York, celle d'Ernst Toller, un écrivain socialiste, juif allemand, exilé depuis l'arrivée d'Hitler au pouvoir en 1933. On comprend plus tard que les souvenirs qu'il dicte à sa jeune secrétaire le sont dans l'urgence de l'adieu.
La deuxième voix est celle de la narratrice principale, Ruth Becker, photographe de métier, militante de la cause des exilés et amie d'Ernst Toller. Tous deux veulent alerter le reste du monde sur la promesse des jours sombres qui plane sur l'Europe dans les intentions du dictateur. "Le monde va-t-il oublier ces efforts gigantesques que nous avons faits pour le sauver".
La solitude et la peur sont leur lot quotidien. Bien que réfugiés en Angleterre, ils ont compris que la mollesse des Européens ne les mettrait pas à l'abri des atteintes des Nazis. "La peur a le pouvoir de révéler le murmure du silence, le bruit de l'univers qui, tranquillement, se déplace pour vous accueillir." La mort de leur parente et amie Dora en sera la triste preuve. le savant maquillage en suicide de sa disparition sera l'argument de ceux dont la prudence sera synonyme de lâcheté. Ce roman tiré de faits réels est l'ultime témoignage d'une survivante de cette période, moins souvent évoquée que les horreurs qu'elle annonce, mais au cours de laquelle les Européens se sont cantonnés dans un immobilisme coupable face à l'ascension du monstre.
Intéressant, mais un peu fade quand même pour un thème aussi grave.
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Un livre sur la mémoire
Un livre à deux voix, celle de Ruth et de Toller, où les époques et les temps se mêlent, pour évoquer le souvenir de la figure centrale de ce roman, Dora, cousine de l'un et amour de l'autre. Ce roman est construit sur une double narration fort bien maîtrisée : la voix de Ruth, devenue presque centenaire qui raconte son quotidien, au présent, en 2002, en Australie. Elle souffre d'une mémoire immédiate déficiente mais, paradoxalement, se remémore d'anciens souvenirs qui nous laissent découvrir sa jeunesse aux côtés de sa cousine Dora. Ce récit au présent de Ruth est souvent drôle, d'une grande lucidité grâce à son goût de l'autodérision. Puis c'est Ernst Toller, dramaturge socialiste allemand, qui prend le relais du récit pour faire écho à la voix de Ruth. Dans une chambre d'hôtel, en 1939, à New-York, il apporte des modifications au récit autobiographique qu'il a écrit quelques années plus tôt en Allemagne, récit qui lui permet lui aussi de faire revivre Dora et qui passe alors à la 3e personne.
Pour ces deux personnages (ayant existé), le passé envahit peu à peu le présent et nous raconte l'histoire, la petite et la grande. On découvre alors de jeunes militants allemands – Ruth, Dora, Hans et bien d'autres – engagés dans la lutte contre la montée du nazisme alors qu'Hitler vient d'être nommé chancelier. C'est un combat sans merci qu'ils engagent contre l'oppression nazie, d'abord à Berlin, puis en exil à Londres, pour avertir le monde sur la menace grandissante du régime hitlérien. Ersnt Toller est en marge du réseau de ces militants, il est intellectuel engagé avant d'être militant mais ses souvenirs coïncident avec ceux de Ruth pour faire revivre Dora, qui est le personnage central de l'histoire, celle qui sera au coeur du réseau des résistants allemands, celle qui aura consacré sa vie et son énergie à ses convictions, sa foi en la liberté et son combat contre le nazisme. L'histoire de Dora nous est racontée à travers le prisme des souvenirs de Ruth et ceux de Toller, à travers les mots écrits par Toller et que lit Ruth. « Quelle sensation… de me retrouver dans la tête de Toller… à regarder Dora » dit Ruth.
Ce livre est formidablement écrit et documenté. Il nous éclaire sur une page méconnue de l'histoire, celle de la résistance allemande à l'aube de l'arrivée au pouvoir d'Hitler et de la montée du nazisme et nous rappelle au passage la révolution qu'a connue l'Allemagne après la première guerre mondiale en 1918-1919. « Tout ce que je suis » est un roman magnifique, formidablement enrichissant, dont la trame, inspirée de faits et de personnages réels, en renforce la puissance. Un vrai coup de coeur.
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Avec l'avènement du Troisième Reich, l'existence insouciante de Ruth, Hans, Ernst et Dora bascule. Persécutés, ces quatre jeunes Berlinois s'exilent en Angleterre. Depuis Londres, ils tentent d'alerter le monde, désespérément aveugle, sur la terrible menace que représentent Hiltler et le régime nazi.
Inspiré d'une histoire vraie, « Tout ce que je suis » met en lumière la destinée héroïque et tragique de ce petit groupe de militants qui organisèrent au péril de leur vie une résistance acharnée contre la cruauté indicible….

La dernière page tournée, le livre fermé, j'étais « sonnée »… et pourtant j'avais pris la peine de le poser de temps à autre, pour que l'angoisse ou le bonheur me permette de reprendre souffle…. Je suis sortie dans le froid de cette journée de novembre, le soleil brillait encore, la mer resplendissait toujours, insensibles à ce que je venais de « vivre » durant près de 500 pages. La terre bien que marquée au fer rouge, ne s'est pas arrêtée de tourner, pire les conflits avaient succédé aux conflits même s'ils n'étaient plus mondiaux mais clairsemés de ci et là pour que chaque partie du globe ait sa portion de malheur.

Ce récit est mené de mains de maître par Anna Funder, une mine de documentation, un incroyable travail de recueil des informations historiques, politiques, et un talent incontestable de romancière. Elle nous balade à des niveaux chronologiques différents, sans avertissement, les souvenirs des uns se mêlent au présent des autres, les récits s'entremêlent, se rejoignent, s'éloignent donnant des versions différentes et pourtant dirigées vers une même perspective. Rien n'est laissé au hasard, l'intrigue politique, les événements historiques, une touche de romantisme, pour alléger l'impact des horreurs indicibles… Elle ne nous fait grâce de rien, ni de la « surdité » des gouvernants, aux appels au secours de ces militants, ni de la difficulté de l'exil de ces jeunes et moins jeunes allemands, premières victimes d'un fascisme naissant, ni de leur capacité à trahir leurs propres amis, leur faiblesse, leur égoïsme, mais aussi leur héroïsme.

Et l'on retrouve les fondements invariables de l'idéal humain quand celui-ci se dresse face à l'horreur et la barbarie. On retrouve les mêmes difficultés à s'organiser, les mêmes conflits d'intérêts, les hommes restent des hommes et même face à l'horreur alors que leur idéal est commun des luttes naissent, les orgueils se dessinent, les jalousies s'exercent… Les femmes qui font partie du combat sont « utilisées » un peu manipulées malgré l'importance de leur travail, et quand elles revêtent l'habit de l'éminence grise, elles sont mises à mal, sous-estimées et la seconde place leur est offerte… C'est Dora instigatrice essentielle de ce groupe de résistants, qui laisse la première place à … l'homme, l'intellectuel, le dramaturge, le romancier, celui qui marquera l'époque… Ruth femme fidèle, ne pourra que très difficilement admettre la trahison… Mais je n'irais pas plus loin, je conseille à tous de lire ce livre passionnant, et qui malgré la douleur, malgré la déception, fait chaud au coeur et remet les pendules à l'heure, même aujourd'hui…. Et puis, s'il faut le dire, et le redire, ces jeunes étaient allemands, et résistaient contre leurs gouvernants, même s'ils étaient en grande partie d'origine juive. J'aimerais d'ailleurs que l'on fasse plus de place à la littérature, pour la mémoire, de cette « résistance » allemande….
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Dans la plupart des romans, la narration respecte tout au long du récit le temps grammatical employé dès les premiers verbes. On découvre l'univers d'un personnage, le lecteur est comme immergé dans la vie de celui-ci – ses amours, ses tracas, ses faiblesses - puis viennent les dernières pages et l'on quitte ce personnage sur un bonheur, un mariage, un voyage : bref, sur un événement qui clôt glorieusement le récit et apporte une satisfaction attendue au lecteur. Cependant, après cette dernière page les personnages continuent d'exister - au moins dans l'imagination de l'écrivain - et libre à chacun de rêver la suite.
Tout ce que je suis déroge à ce schéma classique. Grâce à une double narration, les époques se croisent et les temps nous jouent des tours : le présent revit le passé, et le passé se souvient d'un passé lointain. Les personnages, découverts sous différents angles temporels, sont comme mis à nus. Anne Funder propose un récit minutieusement réfléchi et agréablement soigné, qui ne laisse aucune question en suspend lorsque l'on tourne la dernière page : il s'agit vraiment d'un excellent roman.

« Un colis FedEx sur le paillasson. Je me penche tant bien que mal pour le ramasser, avec ma patte raide : imaginez une girafe chauve dans une robe de chambre sans nom... Je plains le passant qui pourrait m'apercevoir, pauvre gloire avec ses trois poils de cul sur la tête. Un frisson de plaisir pervers me traverse à cette idée, puis je me dis que les enfants pourraient me voir, et là, non merci, je n'ai aucune envie de les épouvanter. »

Le roman commence de manière inattendue par le récit teinté d'humour d'une dame presque centenaire qui raconte son quotidien au présent de l'indicatif. Si celui-ci n'a rien de drôle et semble morne et insipide, elle parvient à le rendre intéressant en maquillant sa souffrance ainsi que la détresse de sa vieillesse par une bonne dose d'autodérision comme seules les personnages âgées peuvent le faire. le récit est parfaitement honnête et le rire est franc. On tourne les pages et l'on découvre Ruth : sa maladie, sa maison, sa calvitie, sa femme de ménage. le récit s'attache aux plus petits détails et l'on s'impatiente quelque peu de ce récit qui piétine : qu'il est difficile de réaliser combien la vieillesse rend la vie fade et insignifiante.

« J'adore Central Park. En ce moment, un homme juché sur une caisse à savon harangue les passants, et tente de les rassembler comme des papiers chassés par le vent. Je connais ce sentiment, ces yeux qui hurlent « le monde m'appartient, arrêtez et écoutez moi, je peux tout vous révéler ». C'est cette promesse, d'une pensée tout juste éclose, d'une foi nouvelle, que fait l'Amérique à tous ses nouveaux arrivants. »

Le deuxième chapitre s'ouvre sur un nouveau personnage : Toller, qui prend le relais de la narration. Sa voix masculine est moins fraîche, moins drôle : il semble vieux et fatigué, engoncé dans le fauteuil d'une chambre d'hôtel. C'est un vieux bonhomme qui souhaite apporter quelques modifications au récit autobiographique qu'il a écrit quelques années plus tôt et ainsi faire revivre par la magie des mots son amour disparue. On découvre sa vie à l'hôtel, encore plus terriblement morne que la vie toute ridée menée par Ruth, et on fait brièvement connaissance avec sa secrétaire, Clara. Lorsque Toller commence à dicter quelques phrases à celle-ci, on comprend que non seulement son récit, mais également tout son existence sont imprégnés par la politique allemande et les deux grandes guerres.

« A l'été 1914, tout le monde voulait la guerre, moi compris. On nous disait que les Français avaient déjà attaqué, que les Russes se massaient à nos frontières. le Kaiser nous avait tous appelés à défendre la nation, quelle que soit notre appartenance politique ou religieuse. « Je ne connais plus de partis, je ne connais que des allemands... », avait-il déclaré, avant de poursuivre : « Mes chers Juifs... » Mes chers Juifs ! Quelle émotion pour nous d'être personnellement conviés au combat ! Cette guerre semblait sacrée et héroïque, pareille à ce qu'on nous avait enseigné à l'école. Quelque chose qui donnerait un sens à la vie et nous rendrait purs.
Qu'avions-nous fait, de toute notre existence, pour mériter ce genre de purification ? »

A ce stade du récit, le lecteur trépigne : nulle trace des quatre jeunes militants allemands présentés dans la quatrième de couverture, nulle évocation du régime nazi. le récit est lent, à l'image de ces deux narrateurs que l'on sent fatigués, physiquement comme intellectuellement – la lecture n'est donc pas captivante. Néanmoins, on s'étonne du choix d'une double narration par chapitres alternés – et la surprise est plus grande encore lorsque l'on découvre que soixante-trois années séparent ces deux récits : Toller confie ses pensées en 1939, alors que Ruth narre son assommante réalité en 2002.

« le chat gratte à la porte ! Qui l'a laissé sortir ? Scratch, scratch.
Mein Gott, ce que j'ai mal au cul à force d'être assise. Ah, ben oui c'est vrai, je n'ai pas de chat. C'est une clé dans la serrure, quelqu'un qui entre.
Bev se tient devant moi, l'air contrarié. Par ma faute, c'est sûr. Quoique, à y regarder de plus près, d'autres options me paraissent possibles : sa teinture maison, d'un rose-orangé venu d'ailleurs, ou son oeil malade qui parpalège comme un fou aujourd'hui. A moins que ce ne soit sa voleuse de fille, Seena, une ex-infirmière accro à l'héroïne, dont le triste sort, je m'en suis rendue compte au fil des ans, est tellement terrible que Bev préfère éviter le sujet.
-Bon, alors, bougonne-t-elle, on prend racine ? »

Encore quelques pages et le mystère se dénoue par la magie de quelques phrases : on comprend et on jubile ! Car si le choix narratif d'Anne Funder est audacieux, il est surtout ingénieux.
Ruth commence à souffrir d'une dégénérescence de la mémoire qui se traduit par une quasi-incapacité à restituer des événements très récents – ainsi, elle ne parvient pas à se souvenir du nom du médecin qui la soigne - ainsi que par un reflux d'anciens souvenirs qui semblaient oubliés, mais qui resurgissent dans son esprit aussi nettement que s'il s'agissait de la réalité. Durant les premiers jours, ces souvenirs sont brefs et sont déclenchés par des éléments du présent – un bruit, une couleur, une odeur. Puis, progressivement, ces souvenirs s'allongent et empiètent de plus en plus sur le présent et la réalité de Ruth. Celle-ci se laisse submerger et n'essaie pas de reprendre le contrôle de sa mémoire, car ces souvenirs la font revivre et surtout, insuffle une nouvelle vie à des êtres chers disparus. Ainsi, le passé envahit le présent graduellement et le lecteur est emmené très naturellement dans le passé, alors qu'Hitler est sur le point d'être nommé chancelier.

« ...nous étions convaincus que le peuple, une fois correctement informé, reprendrait ses esprits et pencherait du côté de la liberté. Nous nous trompions : c'était sous-estimer le pouvoir de séduction du nazisme, ce dépassement du moi qu'il offrait, cet abandon, corps et âme, au collectif. »

On découvre quelques jeunes Allemands engagés dans la vie politique de leur pays : alors qu'Hitler est nommé chancelier, ils ne renoncent pas à leurs idéaux et poursuivent leur militantisme contre le régime nazi. C'est tout entier, corps et âme, qu'ils s'engagent dans leurs actions politiques, même dans l'exil, alors qu'ils n'ont plus ni maison, ni famille, ni vêtements, même dans la misère et la famine, même sous les menaces et l'oppression nazie: ces hommes et ces femmes donnent leur vie pour défendre leurs convictions. Ils souhaitent anticiper la guerre, changer l'opinion publique allemande, faire comprendre aux pays d'Europe qu'Hitler se prépare à les attaquer, mais le monde est sourd à leurs cris et aveugle à leurs écrits. Ils se démènent pour braver les interdits imposés par leur statut de réfugié et correspondre avec ceux qui sont encore en Allemagne et qui n'ont pas encore été emprisonnés ou assassinés - ces héros dont on ne parle jamais et grâce auxquels de précieux documents sont sortis des bureaux d'Hitler. Ruth, Dora, Hans et tant d'autres rassemblent des preuves, traduisent jours et nuits des courriers et rédigent des articles qu'ils parviennent à glisser dans la presse anglaise. « L'épée de Damoclès de l'expulsion se balançait au-dessus de nos têtes. »
Durant près de cinq cents pages, on suit leur terrible combat contre les injustices du Troisième Reich, mais aussi le combat qu'ils se livrent à eux-même pour ne pas sombrer dans la détresse et dans la peur, pour ne pas succomber à leurs propres démons.

Le récit de Toller est différent mais tout aussi enrichissant. Détaché du réseau des militants, il est surtout dramaturge et poète avant d'être un militant socialiste. Grâce à ses pièces de théâtre, il transmet des messages forts au peuple et dénonce ainsi les injustices du Troisième Reich. Excellent orateur, il participe à de nombreuses conférences : il use ainsi de sa notoriété et de son charisme pour soutenir les actions des militants socialistes. Ses souvenirs coïncident avec ceux de Ruth et permettent de les étoffer car il s'attache plus à la psychologie des personnages et aux événements externes à cette lutte politique permanente.
Alors que les personnages décrits par Ruth sont forts et dynamiques, toujours dans la réflexion et dans l'action, le récit de Toller permet d'en montrer les faiblesses, et notamment celles de Dora qui est le personnage le plus fort de l'histoire. C'est elle qui est au coeur du réseau des résistants allemands, toute sa vie et toute son énergie sont consacrés à son combat contre Hitler et le nazisme. Elle fume cigarette sur cigarette, se ronge les ongles jusqu'au sang et ne dort quasiment plus depuis son exil forcé : sa chambre est envahie de dossiers et de piles de lettres qu'elle traduit, de journaux qu'elle étudie, et d'autres documents illégaux. Toller est son amant. Leur amour est puissant, mais les moeurs de l'époque prônent la liberté sexuelle et le détachement sentimental – alors ils taisent la profondeur de leurs sentiments et s'amusent de leur relation. Malheureusement, lorsque Dora décide de se donner toute entière à sa lutte, elle néglige sa vie sentimentale et oublie l'essentiel. Toller, bien qu'artiste engagé, souhaite vivre un amour intense et peut-être construire une vie de famille : c'est ainsi que petit à petit, leur relation s'étiole. Toller emménage avec une autre femme. C'est une défaite pour Dora, cette battante qui se dédie entièrement à une cause et oublie de se battre pour elle-même : le peu d'énergie qu'elle conservait pour Toller, elle le consacre alors à son combat. Ce n'est plus une femme, c'est l'incarnation même du militantisme social anti-nazi : elle fait le choix de mourir pour idées qu'elle défend. Car s'opposer à Hitler, c'est décider de mourir. le récit de Toller permet donc de donner plus de profondeur aux personnages et de réaliser l'ampleur de leurs sacrifices.

L'écriture d'Anna Funder est parfaite, chaque phrase est écrite avec intelligence. Malgré la complexité des événements politiques en Allemagne, le récit reste simple à comprendre et se lit avec une étonnante facilité. Les personnages apparaissent subtilement et prennent au fil des pages une vraie épaisseur : l'auteur s'attache à les décrire aussi bien physiquement que sur un plan psychologique, et leur investissement politique vient parfaire cette description. Rien n'est négligé ou laissé au hasard, la plume de l'auteur sert efficacement l'histoire. Tout semble si vrai ! J'avais l'impression de lire une autobiographie, tellement le récit est réaliste et les émotions vivantes ! L'écriture est si joliment travaillée qu'elle se laisse oublier, ce qui permet au lecteur de se concentrer sur l'histoire et de l'apprécier à sa juste valeur.

Tout ce que je suis est un roman très fort et très enrichissant. Enfin un roman traduit en français qui met en avant la lutte des allemands contre la montée du nazisme ! La résistance française est régulièrement mise à l'honneur dans les libraires, mais il est bien plus intéressant de se plonger dans la résistance allemande de l'avant-guerre ! Les Allemands ont si souvent été critiqués que l'on oublie les actes héroïques accomplis par ceux d'entre eux qui ont refusé de se plier à un gouvernement totalitaire et ont décidé de se battre pour sauver des vies. Il faut un courage immense et une force de volonté incroyable pour se battre contre des frères, des maris, des amis, des collègues, pour se battre contre son propre peuple au péril de sa vie. Déchus de leur nationalité, contraints à l'exil et menacés d'assassinats dans les camps de concentration, ces militants allemands n'ont jamais cessé de se battre pour la liberté et les droits individuels. Tout ce que je suis est un roman à la fois magnifique et tragique dont la trame est constituée de faits réels et de personnages ayant existé, ce qui renforce la valeur de l'ouvrage et sa puissance littéraire. C'est un livre que je relirai sans hésitation, une vraie excellente découverte, un coup de coeur exceptionnel.

« Quand Hitler est arrivé au pouvoir le 30 janvier 1933, mon amie Ruth et ses amis ont fui l'Allemagne, et c'est en exil qu'ils ont tenté de faire tomber le dictateur. Ce livre retrace leur histoire, ou plutôt ma version de leur histoire. Ce livre en est une reconstitution à partir de fragments fossiles – un peu comme l'on pourrait garnir de peau et de plumes un assemblage d'os de dinosaures, pour tenter de se faire une idée de la bête dans son entier.(...) »


Je remercie l'équipe de Libfly ainsi que les éditions Héloïse d'Ormesson pour la confiance dont ils m'honorent.
Lien : http://reverieslitteraires.fr/
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Ce roman est inspiré par la vie d'Ernst Toller et d'autres intellectuels allemands qui dès l'avènement du Troisième Reich ont voulu vainement alerter l'opinion publique sur les menaces représentées par Hitler et le régime nazi. Persécutés, emprisonnés , torturés, assassinés. Certains purent s'exiler et témoigner, sur ce qui se passait en Allemagne et qui ne manquerait pas de se répercuter au delà des frontières.

Hans, va trahir les siens, Dora sera empoisonnée, Ruth emprisonnée en Allemagne jusqu'en 1939 puis part à l'étranger pour finalement s'installer aux États Unis.

Lecture un peu fastidieuse par les analepses et prolepses qui se multiplient.
Dommage que l'oeuvre de Toller ne soit pas plus mise en exergue.

Le caractère des personnages n'est pas assez approfondi, les descriptions de la vie quotidienne à Berlin restent superficielles, le climat délétère et la peur des opposants n'est pas assez perceptible, « L Histoire » pas assez mise en exergue à mon goût, il faut aller consulter d'autres sources pour mieux s'immerger dans l'époque .

Ruth est maintenant bien vieille quand elle reçoit le « testament » d'Ernst, les descriptions de sa décrépitude viennent, à mon avis percuter inutilement le récit, le rallongeant inutilement.

Une lecture intéressante si l'on prend la peine de l'enrichir par des recherches périphériques, mais peut être est-ce là aussi le but d'un livre celui de permettre au lecteur d'apporter sa contribution personnelle pour mieux se l'approprier ?
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Une évocation de la montée du nazisme et de la lutte courageuse menée par certains allemands contre ce parti. Un superbe roman émouvant. Mais il faut passer les premières pages pour commencer a comprendre la trame de l'histoire. Par contre, ce livre repose sur de bonnes bases historiques.
Et il nous rappelle au passage qu'il existait de opposants à la montée du nazisme et qu'ils ont été les premiers occupants des camps de concentration.
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On oublie trop souvent que les premiers à souffrir du nazisme furent les Allemands. (Lire à ce sujet La septième croix d'Anne Seghers qui dépeint bien le climat de paranoïa dans lequel vivaient nos voisins avant la guerre)
En l'occurrence, ce roman, basé sur des faits et des personnages réels, s'attache à suivre le destin de quelques jeunes intellectuels de gauche juifs allemands, des débuts de leur engagement politique, pleins d'espoirs et décidés à bâtir un monde meilleur sur les ruines de l'empire déchu, aux premières actions de résistance face au pouvoir hitlérien, puis en exil à Londres, tentant de dessiler les yeux (bien trop complaisants) de leur pays d'accueil face au péril nazi.
Le personnage de Dora est d'une grande force, solaire, et, comme son amant Toller et sa cousine Ruth , les deux narrateurs, on ne peut qu'être attiré dans son champ gravitationnel, entraîné à sa suite.
"Que" 3 étoiles et demie car ( lu en anglais donc je n'ai possiblement pas perçu toutes les subtilités) j'ai trouvé le début un peu longuet, Toller ne m'a pas semblé très sympathique, assez poseur et, finalement assez lâche. Ce qui le sauve c'est son amour pour cette étoile filante de Dora. Autre gros bémol : le personnage du traître est assez évident, trop facilement amené.
J'ai bien aimé Ruth, la vieille Ruth surtout.
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Comme un roman d'espionnage, un thriller politique, une tragédie (histoire d'amour qui finit mal), une histoire, vraie, seuls les liants sont créés par l'auteur. Les personnages ont réellement existé, le nazisme a existé, les opposants réfugiés à Londres aussi et les espions nazis infiltrés à Londres pour les empêcher "de nuire" aussi. Donc tous les éléments sont authentiques, la romancière a génialement créé le liant.
Invention romanesque et authenticité historique dans un véritable roman d'espionnage. Je retiens la vérité historique : une réalité atroce, mauvaise, tueuse, inexcusable.
Une lecture forte, dure, l'écriture ne fait pas de cadeau à l'horrible vérité.
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