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130 pages
‎Paris Aubert et Lavigne (01/01/1841)
5/5   1 notes
Résumé :
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8530262x/f73.image

Récit sarcastique d'un provincial en voyage pour deux mois à Paris.

Illustré par 65 vignettes de Gavarni.
Eugène GUINOT utilise un nom d'emprunt : Pierre Durand, pour cette oeuvre.
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
« Il est sur terre une infernale cuve,
On la nomme Paris ; c'est une large étuve,
Une fosse de pierre aux immenses contours
Qu'une eau jaune et terreuse enferme à triples tours ;
C'est un volcan fumeux et toujours en haleine
Qui remue à longs flots de la matière humaine ;
Un précipice ouvert à la corruption
Où la fange descend de toute nation,
Et qui de temps en temps, plein d'une vase immonde,
Soulevant ses bouillons déborde sur le monde. »
(Auguste Barbier - Iambes et Poèmes - La cuve)

Malgré les plus infâmes descriptions, quelques provinciaux curieux s'aventuraient parfois à Paris pour un long voyage. Durant deux mois, on suivra les traces d'un provincial moyen et l'on se demande ce qui le motive tant à voyager seul et si longtemps en cette ville de corruption, de faste et de débauche… C'est qu'il « songe à l'avenir, au retour, où il charmera les ennuis de la province en décrivant les splendeurs parisiennes. On voyage non pour le plaisir de voyager, mais pour le bonheur de raconter. »

Voici comment Paris accueille les provinciaux armés d'enthousiasme et d'exaltation :

À peine descendu de voiture, un inspecteur des impôts déploie sa plus agréable hospitalité en fouillant brutalement la valise du provincial et lui fait payer des droits de douane avec amende pour n'avoir pas déclaré… Un seul et unique saucisson ! (Il y avait encore des droits de douane entre départements à cette époque)

N'ayant nulle part où loger, le naïf et oisif provincial se dirige en toute insouciance et confiance dans un splendide hôtel où il sera abreuvé de luxe « on a vous dit les trappes qui s'ouvraient à minuit ; les assassins qui entraient le poignard à la main (…) Eh bien ! Toute cette épouvantable chronique n'est rien auprès des périls qui attendent en plein jour l'imprudent voyageur égaré dans les brillants hôtels de nos quartiers les mieux habités, périls d'autant plus grands, d'autant plus inévitables, qu'ils se cachent traîtreusement sous le masque de la bienveillance la plus pure et de la politesse la plus attentive »

Qui dit luxe à Paris dit nécessairement prix cachés, quelle indécence il y aurait à parler d'argent… le provincial avait sous-estimé de 20 fois le coût de cette somptueuse nuit.

Quand au contraire les prix sont affichés, et même vantés, c'est douteux… Sauf pour notre candide provincial qui abaisse ses gardes, endormi par « les fumées du luxe qui lui montent au cerveau » au quartier du palais-Royal.
« Il voudrait mettre des bagues à tous ses doigts, se barder la poitrine de chaînes d'or (…)
En passant devant la boutique du tailleur, il entend le démon de la coquetterie lui souffler à l'oreille des paroles de tentation (…) plus loin ce sont des gilets brodés en or et en perle… »

Il s'empresse alors dès qu'il voit le moindre attrape-nigaud « GRANDE Liquidation !! 75 POUR CENT DE RABAIS !!!!! » et il paye aussi cher que partout ailleurs, malgré le rabais, encouragé aux dépenses par les réflexions méprisantes du tailleur « Nous habillons tous les lions du jockey's-club. Monsieur arrive de province, cela se voit ; mais rassurez-vous, en sortant d'ici vous serez méconnaissable »

Toutes les fourberies, mêmes les plus grossières, lui réussissent : un industriel vend des contre-marques en pleine rue sur un étalage sauvage, entouré de 3 complices qui complimentent et admirent tout haut la richesse des objets et la modicité des prix… le provincial se hâte d'accourir, craignant que les faux clients n'achètent tout… Fort heureusement, les 3 complices sont des gens forts polis qui s'empressent de lui laisser le champ libre dès qu'il se présente.

Même les restaurants économiques et abordables déploient beaucoup d'imagination et de techniques pour redorer leur établissement : certains clients fidèles, en contrepartie de réductions, acceptent de se faire accueillir et appeler tout haut : « mon général »… Ou encore « Ah ! La séance de la chambre est finie ; voilà Monsieur le baron ! »

Heureusement que l'on peut compter sur quelques parisiens aguerris et bienveillants : un foulard du provincial est subtilisé en pleine rue ; un parisien qui était à ses côtés, à tout vu sans réagir et dit flegmatiquement au provincial qu'il vient de se faire voler.
« Mais la morale publique ! Vous pouviez du moins le dénoncer, le signaler… tous les honnêtes gens se seraient précipités sur le malfaiteur »
« Oui, on l'aurait pris, on l'aurait traduit en police correctionnelle, et j'aurais été obligé d'aller déposer comme témoin du fait. Cela m'aurait coûté une journée à passer au palais de justice. Et cela pour votre foulard, merci. »

Mieux encore, un parisien flâneur et chic, ayant repéré le provincial égaré, s'offre de lui tenir compagnie mais ne veut en réalité que s'en moquer, le mystifier. Il s'agit d'un « mystificateur » qui le plus souvent amuse la galerie dans les soirées élégantes, mais qui se plait aussi à ridiculiser et mystifier quiconque, sans même un public pour le constater, comme cela… « Quelque mystificateur exerçant gratuitement pour l'amour de l'art »
Le mystificateur lui pointe du doigt Balzac dans une rue quelconque, un grand homme maigre achetant des gants… le provincial sautille de joie et d'étonnements et se précipite dans la boutique pour être au plus près du faux Balzac… Même chose pour George Sand qui est vraiment un homme, aux allures modestes. Tout cela est gobé avec émerveillement par le provincial.
« Je connais un endroit fort bien et à très bon compte : c'est chez Very… »
« Je le connais de réputation - on m'avait dit que c'était très cher »
« Ce n'est cher qu'au rez-de-chaussée… pas dans les cabinets privés à l'étage »

Rassuré du précieux conseil, le provincial festoie sans limite au restaurant comme s'il s'agissait d'un vulgaire buffet à volonté. Ce n'est qu'en recevant la pharamineuse note à la fin du diner que le provincial se rendra compte de la duperie.

Ah Paris… Ses splendeurs et ses misères… Comment ne pas venir en aide au misérable qui, devant vos yeux, veut mettre fin à ses jours, trop pauvre pour survivre : 
"Malheureux ! Qu'allez-vous faire !"
"Laissez-moi ! La vie m'est un insupportable fardeau ! Je suis un ancien militaire ruiné et sans ressources… Il y a deux jours que je n'ai pas mangé ! (…)"
"Tenez, mon brave, acceptez ce léger secours, et prenez courage."
Le brave accepte dix francs et se précipite dans les bras de son bienfaiteur pour lui témoigner sa reconnaissance.
En plus du don de dix francs qu'il vient de faire, il se fait une fois encore volé au moment où le brillant suicidaire comédien le câline chaudement.

Ce n'est pas tout de visiter les monuments et de s'habiller en parisien, il lui faut encore des activités dignes d'un parisien fashionnable.
Là encore, le provincial est reconnut très vite.
Les meilleures représentations à l'Opéra ou au théâtre ne s'achètent pas simplement à la billetterie. Une foule de provinciaux dont notre pauvre bêta, attendent des heures entières pour se voir sèchement rejetés… Toutes les places ayant déjà été réservées.
Il reste toujours des moyens officieux de se réserver une place… Il y a tout un abominable trafic de billets pré-réservés en masse et revendus à prix exorbitant, parfois même sous la violence. Notre provincial est entraîné dans un passage sombre, profond, voûté et enveloppé d'une douzaine d'hommes à figures sinistres le prenant au collet pour lui vendre au prix le plus fort le simple billet.

Une fois à l'intérieur du théâtre, même vêtu comme un parisien à la mode, « on reconnaît aisément le provincial, à sa pose, à sa manière d'écouter, à son cure-dent qu'il a gardé, à l'abandon avec lequel ses impressions se trahissent. Il rit aux éclats ; il pleure tout haut ; il gémit ouvertement sur la vertu persécutée ; il témoigne officiellement son approbation sur les bons sentiments, et il foudroie le vice par de sévères exclamations. S'il est content d'un acteur ou d'un chanteur, il applaudit à outrance sans attendre qu'il ait finit de dire sa réplique ou de chanter son air ; s'il est mécontent, il tire de sa poche une clef forée et il souffle dedans sans se soucier de l'opinion publique »

Le provincial ne pouvait enfin quitter Paris sans avoir connu le grand monde ! Il s'invite à de mauvais banquets de poètes, se fait remarquer par sa crédulité et est invité par des baronnes, comtesses … « Diable … il paraît que je perce ! » se dit-il.
« Je me plais à recevoir les étrangers de distinction et à leur faire les honneurs de la haute société parisienne » lui dit une des baronnes.
Tout est encore mensonge, faux nobles ou aristocrates, ou noble fauché abusant de sa confiance. On ira jusqu'à lui proposer un emploi de sous-préfet en contrepartie de quelques avances de fonds… le temps de… L'expérience coûte cher à notre provincial, ruiné, la curiosité satisfaite et les illusions dissipées.
« Adieu Paris, ville curieuse mais ruineuse ! Adieu ! Je suis enchanté de te connaître au physique et au moral ; j'emporte avec moi un trésor de souvenirs, de longs récits à faire, de merveilles à raconter : mais il me faudra deux ans d'économies pour combler le déficit que deux mois passés dans ton sein ont fait à ma fortune »

Tout cela est délicieusement sarcastique, cruel, caustique… et brillamment conté ! le provincial est traîné par l'auteur comme une vulgaire souris tenu par la queue et baladé à toutes les proies parisiennes sans la moindre pitié. Il y a quelques caricatures bien sûr mais avec des fonds de vérité et des anecdotes ou détails piquants qui en disent long sur le Paris démoniaque.
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