Il me semble que l'idée de départ de cette Confession d'un automate mangeur d'opium, c'est de revenir aux racines du genre. Et il ne fait pas un pli que nous avons là un roman de genre « fantaisie victorienne » ¬– ce qui serait plutôt un bon point, Lulu aime les genres. On y décèlerait même une pointe de militantisme à prouver l'existence/cohérence d'une catégorie dont on ne sait jamais trop si elle existe en dehors des fantasmes de Gothic Lolitas. Militantisme qui tient dans la reprise systématique de thèmes estampillés steampunk : la ville pré-tentaculaire, l'histoire un peu revisitée, la technique qui fait des taches (d'encre, de cambouis, de charbon, de substance inconnue mais über nocive pour le gentleman), le dandy et son corollaire, la Demoiselle En Détresse/infâme séductrice de rigueur, des méchants grotesques, voire des savants fous à bacchantes, et le twist surnaturel qui fait doucement glisser l'ensemble vers la SFFF. Jusque là, tout est bon, y compris une bonne vieille intrigue de meurtre, le name dropping de saison, le combat de l'homme contre la machine, le combat de l'homme contre la folie de l'homme, le combat de l'homme contre les conneries de sa compagne, et même ! même ! une douce brise saphique. On se demande un peu ce que cela vient faire là, mais après tout pourquoi les protagonistes devraient-ils toujours être hétéros ? Cela fait beaucoup d'éléments à relier, on voit les sutures par moment et à vrai dire, on étouffe un peu entre l'Exposition universelle, la politique européenne avant la Triple Entente, les expéditions au Siam et au Tonkin… D'autant plus que le roman évolue sur un rythme très rapide de chapitres assez courts où s'alternent les points de vue de la soeur et du frère, jouant ainsi sur le cliffhanger perpétuel. Intéressant, mais lassant à haute dose. On ne doute pas que les deux auteurs se sont amusés à jouer à « faire steampunk », à en rajouter au maximum dans le rebondissement quitte à taquiner les limites de l'incohérence, à faire des clins d'oeil à la littérature de l'époque (le médecin aliéniste évoque lourdement le Dr Seward de Dracula, par exemple), voire au cinéma contemporain (à coup de grosse vilaine araignée machine, par exemple). de plus, le name dropping pré-cité, c'est bien, ça fait sautiller la lectrice qui se croit cultivée, etc. C'est encore mieux quand la référence est faite à bon escient. Par exemple, les protagonistes vont un moment quérir l'aide du romancier et nouvelliste
Villiers de l'Isle Adam, auteur entre autres de L'Eve future, roman centrée sur l'idée de femme parfaite, ergo mécanique. On voit l'évidente corrélation, la raison du choix de ce monsieur… L'utilisation pèche gravement, cela dit, vu que les auteurs n'en font presque rien. Je veux dire que, à part ce lien assez tenu, cela pour être n'importe qui, Villiers,
Rabelais, ou ma concierge, pareil. Idem pour le titre, calqué sur les célèbres Confessions d'un anglais mangeur d'opium qui valurent des pages enflammées à
Musset ou à
Baudelaire. Ici, l'opiomane est automate : la belle affaire ! Mais moi, je me suis ennuyée. le fond de l'intrigue n'est pas passionnant, il n'y a pas de mystère à proprement parler : on y perd beaucoup en captation de l'auditoire. Je pense avoir sauté des pages, ce qui est un peu un comble pour un roman d'aventure. Et dans le même temps, j'ai regretté à plusieurs reprises que les auteurs ne soient pas allés plus loin dans le décalage. Ce Paris-là ressemble trop au nôtre, les différences ne changent pas vraiment la donne ; même si l'on sait que l'uchronie n'est pas le but, on aurait aimé un cadre qui donne un peu plus à rêver.
Bref, ce roman n'est pas pour moi. Il est divertissant, enlevé, glisse sans problème et même les ficelles font sourire. Il demande un peu de culture, mais pas trop… Je me suis demandé en quelle mesure ce n'était pas un pastiche, un exercice de style. Et je crains que le fait de ne pas pouvoir trancher si c'est le cas ne plaide pas en la faveur de notre Automate…
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