"
Bois de fer", le petit dernier de
Mireille Gagné, raconte l'espoir d'une guérison, le cheminement entre jeunes bourgeons et fils électriques entravant, l'inquiétude de l'élagage et du sempiternel retour des noeuds, l'accueil et la protection d'un nid de corneilles.
"Mon écorce tire entre l'omoplate et la clavicule."
Ce livre d'une petite centaine de pages mérite qu'on s'y attarde longuement. En entretenant une curieuse ambivalence sur la nature du narrateur,
Mireille Gagné raconte l'espoir d'une guérison, son combat contre l'horizontalité et sa recherche de perspective(s). Chaque page est comme un morceau d'écorce, fait de crevasses et de sinuosités, toutes pleines de sens cachés. Patiemment, à force de relecture, alors que l'oeil s'use sur les phrases et en gratte la surface, dévoilant sa vulnérabilité, se révèlent de nouvelles essences...
"J'ai toujours cru que pour maintenir l'équilibre une part d'ombre s'avérait indispensable."
Avec un recul qui pourrait presque s'apparenter à du détachement, ou bien une certaine forme d'innocence ou de fatalisme assumé - mais qui de fait nous arrache d'agréables sourires - sont abordées les thématiques de la maladie, de l'inconnu, et donc de l'inquiétude qui en résulte ("La douleur est ailleurs. Voire ne signifie pas toucher à l'essentiel" / "je crains que l'ennemi ne se cache déjà à l'intérieur"). le flou narratif entretenu tout au long du livre donne à ces passages graves une étrangeté légère qui bouscule la lecture et nous oblige à nous y arrêter un moment pour cerner les véritables questionnements de l'auteure, les démons qui lui tournent autour et dedans. Alors que la femme-arbre s'enfonce toujours plus profondément dans ses tourments, rongée par un envahisseur inconnu, un fragile optimisme émerge de ses nombreuses inspections et introspections, de ses confrontations avec les chiropracteurs et horticulteurs, de ses observations du microcosme alentour pour s'inspirer ici de la communication des acacias ou là de l'entraide des épinettes, pour peut-être y déceler une main-branche tendue ("Vus d'en haut, qu'est ce qui nous différencie des pylônes électriques? En apparence, eux se tiennent par la main"). Mais en s'interrogeant sur la pluralité du vivant, elle creuse avant tout profondément en elle-même, pour y déceler, dans le pli d'un organe abîmé, l'espoir "qu'une partie de soi puisse être sauvée", le voeu secret de devenir "ce
bois de fer rare, impossible à fendre sous la hache".
Ainsi, en dévoilant ses failles et en exposant ses cicatrices,
Mireille Gagné écrit un texte poignant à la beauté fragile, parcouru par le doute mais où l'espoir n'est jamais feint.
"Il faut garder espoir qu'une partie de soi puisse être sauvée"
A l'image de son somptueux roman "
Le Lièvre d'Amérique", l'oeuvre de
Mireille Gagné se construit sur deux constantes fortes : un lien singulier et indéfectible avec le vivant dans lequel nous nous fondons (au point d'être une femme-arbre, et avant cela une femme génétiquement amplifiée) ; et ce qui selon moi est le plus évocateur et rare : son absolue sincérité envers nos vulnérabilités/nos "altérabilités", qui donne à ses livres une puissance qui transcende l'espace et le temps, et résonne fort fort fort.