Il est surpris de découvrir le plaisir de jouer sur le macadam et, en vertu du principe selon lequel plus on se montre mieux on se cache, la satisfaction de vaincre sa maladive timidité. Loin de Paris (il ne verra plus ses parents pendant cinq années), marchant de village en village, la sébile tendue vers d'improbables spectateurs, il fait soudain l'apprentissage quotidien du temps arrêté et de l'espace réinventé. Au loin, une vie se dessine, qui fonderait son propre gouvernement, créerait ses propres lois et offrirait du rêve aux femmes et aux hommes qui n'ont pas eu le privilège de se transformer ; qui n'auront jamais la chance de dormir à la belle étoile, dans la tiédeur d'un flanc dodu.
j'ai voulu exprimer ici la chance que nous avons d'être les contemporains de Bartabas. Je sais trop qu'il ne restera presque rien, lorsqu'il aura disparu, de ce qu'il a créé sous des chapiteaux de bois et de toile. Je sais aussi que les films de ses spectacles sont impuissants à restituer la magie du vivant, les parfums et les couleurs du cérémonial nocturne sont il est le spectral officiant. Déjà Zingaro, le frison que l'on croyait invincible, l'éternité en muscles noirs, est mort. Et puis je me méfie de Bartabas. Je le sais capable de s'éclipser aussi vite qu'il est apparu. Il ne sera jamais un rentier de l'art équestre, un fabriquant de sons et lumières, un institutionnel de la haute école. Il ne s'installera pas, si s'installer, c'est abdiquer.
Un homme qui cherche l'épure finit toujours par rejoindre le blanc marllarméen, le désert - chrétien ? musulman ? - du père de Foucauld, l'inatteignable solitude. Je rêvais donc de le portraiturer, de le saisir en mouvement, avant sa dissolution ou sa métempsychose.