J'ai mis un peu de temps pour venir à
Romain Gary et, à vrai dire, je ne connais encore que fort incomplètement sa bibliographie dont je ne sais pas encore tout ce qu'elle me réserve, ni quand je m'y plongerai plus ardemment. Ce que je sais en revanche, c'est que je m'étais promis, après «
Les Racines du Ciel » et «
La Vie devant Soi » que, sans attendre et coûte que coûte, je lirai «
Les Cerfs-Volants » pour le tout le bien qu'on m'en a dit mais surtout pour son résumé et pour la beauté de sa couverture. Je savais que je ne serai pas déçue…
Le coup au coeur fut si grand que s'en est presque désespérant… Et je me dis qu'après ça, il me faudra du temps pour avoir envie d'un autre roman de
Romain Gary… Qu'après ça, les autres seront toujours un peu moins… Moins poétique, moins douloureux, moins intense… Je suis peut-être injuste et hâtive mais je n'y peux rien. J'ai eu trop de bleu, trop de ciel et trop de lumière le temps de ma lecture pour ne pas la juger si forte qu'elle en surpasse forcément les autres. Aux racines du ciel, j'ai préféré sa nuée et ses tempêtes, surtout quand on craint de ne pas avoir
la vie devant soi…
«
Les Cerfs-Volants » est d'une intensité et d'une beauté bouleversantes et c'est d'autant plus troublant quand on sait que ce roman fut le dernier pour son auteur qui quelques mois à peine après sa parution décida de mettre fin à ses jours. J'espère qu'il a trouvé le bleu à son tour, loin du gris de ce monde qui devait lui faire tant de mal… Testament littéraire «
Les Cerfs-Volants » ? Peut-être bien tant on semble y retrouver les thèmes chers à son auteur : l'amour bien sûr, encore et toujours, l'amour absolu ; le pouvoir infini de l'imagination et de la poésie, la guerre, la fraternité, l'espoir en l'avenir malgré tout et envers et contre tout, la liberté d'agir et de penser, la liberté tout court… Testament de lumière et de beauté… C'est étrange de se dire qu'un texte si lumineux puisse avoir été écrit peu avant que son auteur ne se donne la mort… ça fait comme une épine dans le coeur, une boule au ventre…
Romain Gary nous a offert tout l'espoir qui lui restait, tout le beau et la lumière. «
Les Cerfs-Volants » sont un cadeau.
Le roman est une magnifique histoire d'amour doublé d'un récit historique passionnant qui court de l'aube des années 30 – cette aube qui ne tint aucune de ses promesses- à 1945 et s'empare donc de cette époque noire qu'il fait revivre grâce à des personnages flamboyants, touchants et parfois décalés, une bonne dose de suspense et un sens certain du romanesque et un ton, une langue à nulle autre pareil, subtil mélange d'humour et de gravité, de dureté et de poésie. Grâce, enfin, à une imagination stupéfiante.
Le petit Ludo a à peine dix ans lorsqu'il rencontre la belle et fantasque Lila, petite aristocrate polonaise en villégiature dans la Normandie du petit orphelin qu'élève seul un oncle rentré cabossé de Verdun et qu'on dit fantasque dans le pays. L'homme est un original, un doux illuminé, un poète à sa manière : quand son travail d'employé des postes lui en laisse le temps, il fabrique -par dizaines- des cerfs-volants qu'il pare des couleurs les plus chatoyantes et qu'il fait voler comme des oiseaux dans un ciel de plus en plus lourd.
Ludo sait, dès leur première rencontre, qu'il n'aimera jamais que Lila et qu'il ne pourra plus vivre sans elle. Amour fou, amour d'enfant qui colore et conditionne sa vie entière. Pour se rendre digne de sa Lila, il fera tout. Tout et même devenir un héros de cette France qui rend les armes en 1940 et qui devra résister. Cette histoire touchée par la grâce permet à Gary qui fut compagnon de la Libération de parler une dernière fois de la Seconde Guerre Mondiale, de sa barbarie, de ceux qui ont résisté. de parler d'espoir et de liberté, de quête plus grande que soi. «
Les Cerfs-Volants » dénoncent l'absurdité de la guerre et la bêtise crasse de l'être humain autant qu'il célèbre la vie, l'amour et ces gens qui ne se clament d'aucune chapelle, qui ont fait ce qu'ils estimaient devoir faire. Ces gens un peu bancals aussi, un peu à l'ouest.
Tout est beau dans ce roman, tout est intense.
L'amour fou, Lilia et Ludo bien sûr, mais
les cerfs-volants aussi, symboles de vie et de résistance contre la barbarie, légers malgré le poids du ciel et de la peur. Colorés malgré le gris. Et des couleurs, dieu sait qu'il en faut pour vivre. Il est des cerfs-volants comme des fleurs ou des oiseaux, il en faut. Hier et aujourd'hui encore. Encore et toujours, chercher un cerf-volant et s'y agripper…
Les Cerfs-Volants et les personnages secondaires qui broient le coeur : Bruno, Hans. L'inénarrable et non moins truculent Duprat pour qui cuisiner est aussi résister.
Ambroise Fleury enfin. le résistant, le pacifiste, le rêveur, le faiseur de cerfs-volants, l'oncle de Ludo. J'ai une affection toute particulière pour les rêveurs. Ce monde est si peu fait pour eux, il les piétine tellement et pourtant on a tellement besoin d'eux… Et puis, parce que moi aussi, j'ai eu un oncle qui est devenu mon père quand j'ai perdu le mien, j'ai une tendresse pour tous ces oncles aimants de la littérature, ces pères de sang et d'élection. Et le mien, d'oncle, il a en lui quelque chose d'Ambroise Fleury,
les cerfs-volants en moins, les fleurs et les oiseaux en plus.