(...) mes yeux se lassent de courir sur la trace d'un autre, ce qu'il faut, c'est essayer d'arracher soi-même un miracle de vie et de beauté à la matière.
- Quelle époque ! murmura l'infirmière.
- Oui, dit le docteur. L'humanité de papa, c'est fini.
Ils avaient cet air calme et chez eux des gens de nulle part.
La bougie recroquevillée pousse un râle. La flamme se noie brusquement dans une petite mare de fraisse. Puis le jour entre lentement. Il se glisse entre les barreaux, coule le long du mur, échoue dans un coin. Il se tapit là et regarde Zvonar lui sourit et le jour lui répond une sorte de lueur rose, timide, à peine perceptible.
Rien de tel que l'indignation pour faire circuler votre sang plus vite.
- Il t'a torturé tous les jours pendant plus d'un an ! Il t'a martyrisé, il t'a crucifié ! Et au lieu d'appeler la police, tu lui apportes à manger tous les soirs ? Est-ce possible? Est-ce que je rêve ? Comment peux-tu faire ça ?
Sur le visage de la victime, l'expression de ruse profonde s'accentua, et du fond des âges s'éleva une voix millénaire qui fit dresser les cheveux sur la tête du tailleur et figea son cœur :
-Il m'a promis d'être plus gentil la prochaine fois !
Depuis quelques secondes, ils entendent Maria hurler sous le toit.[...] Elle et son gros ventre se tiennent dans la cuisine et hurlent : sans doute cherche-t-elle à avertir son amant.
- Je vais la calmer, décide Adrien
- Non, non ! Bave Panaït. Laisse-moi faire !
il rampe sur le toit et descend par la trappe. Il se relève et regarde Maria avec des yeux ronds. Maria est accroupie près de la porte. Elle tient son ventre à plein bras, comme un de ces paniers de linge qu'elle porte au lavoir.
- Ne le touche pas ! Hurle-t-elle. Le Fédor te tuera si tu le touches !
La vieille mère Christianu commence à hurler également. Elle admet qu'un mari batte sa femme, un père sa fille ou un frère sa sœur... C'est la famille. Mais elle n'admet pas les coups venant d'un étranger... Elle hurle.
- Vos gueules ! Ordonne Panaït.
Très excité, il tend ses mains vers les jupes de Maria. Mais Maria s'envole littéralement devant lui. Panaït en est très étonné. Il finit quand même par la coincer et commence à lui fouiller sous les jupes, en bavant. Mais il reçoit; au derrière , un coup de pied formidable et se retourne en hurlant.
[...]
- Je vais la calmer, moi, déclare posément le vieux Christianu : l'âge lui a appris la sagesse et la modération. Il descend par la trappe, ramasse un balai et commence à cogner. Maria hurle. La vieille mère Christianu se tait : les choses se passent régulièrement. Un frère peut battre sa sœur, ou un père sa fille... C'est la famille ! Mais elle regarde son mari avec crainte : le vieux tape dur, et elle n'a pas d'autre balai.
Nous, les hommes, nous ne sommes pas encore arrivés, nous prenons seulement le départ, il suffit d'aller de l'avant, un jour on sera vraiment quelqu'un.
Il avait rompu avec les autres, comme toujours lorsqu'on essaie en vain de rompre avec soi-même (p.16)
La seule tentation que personne n'est jamais parvenu à vaincre : celle de l'espoir.