Du "Printemps des peuples" au "Printemps arabe",
Laurent Gaudé revisite d'une plume alerte et pleine d'emphase un siècle et demi d'Histoire du continent européen, terre qui reste synonyme d'espoir pour des millions de réfugiés fuyant les conflits au Moyen-Orient.
Dans ce siècle des colonisations et des deux guerres mondiales (1848-1945), les personnages honnis, les figures repoussoirs ne manquent pas : les explorateurs, les administrateurs des colonies (Binger, Gouraud...), les souverains (la reine Victoria, le roi Leopold II), les généraux (Lothar von Trotha, grand massacreur des Hereros en Namibie, Graziani, conquérant de la Libye pour Mussolini), et j'en passe...
Les héros positifs sont les révolutionnaires (Mazzini, Garibaldi...), les scientifiques et les artistes, au premier rang desquels figurent bien évidemment les écrivains.
Dans ce bestiaire foisonnant, Gaudé distribue les bons et les mauvais points, relègue à sa gauche comme un Christ en majesté les réprouvés de l'Histoire et accueille à sa dextre les figures saintes dignes de le rejoindre dans le Paradis des idées.
L'embarrassant
Rudyard Kipling, chantre de l'armée des Indes dans ses nouvelles et ses
poèmes, est toutefois racheté par le destin fatal de son fils John, disparu au champ d'honneur à Loos-en-Gohelle pendant la Grande Guerre. L'auteur de "
L'Homme qui voulut être roi" , fou de douleur, peut ainsi figurer parmi les cohortes des victimes de la folie du XXème siècle : les sacrifiés des guerres et des génocides, les déportés, les exilés, les colonisés, les séparés de la guerre froide, les opprimés, les réprimés de Budapest et de Prague...
Ce grand récit en vers libre, qui ne manque d'ailleurs pas de verve ni de souffle, était-il vraiment utile quand il dénonce les errements de l'Europe ? L'est-il davantage quand il appelle avec une naïveté désarmante à l'avènement d'une Europe fraternelle, libre et indépendante ?