Avec ce dixième tome de la série des "Treasury of murder",
Rick Geary abandonne le dix-neuvième siècle pour passer au vingtième siècle. Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre : le récit de l'enquête relative à l'enlèvement du fils de Charles Lindbergh. Par ordre de parution, le tome précédent de la série est
The saga of the Bloody Benders (The infamous homicidal family of Labette County, Kansas). le suivant est Famous Players, the mysterious death of William Desmond Taylor.
Pour ce tome, Geary a adopté la même structure que les précédents. Pour commencer quelques cartes et schémas : plan du premier étage de la maison des Lindbergh, carte très schématique du New Jersey, carte schématique du Bronx. La narration est composée de 7 chapitres. (1) The Lone Eagle - L'auteur rappelle l'exploit de Charles Lindbergh, évoque son mariage, et sa propriété dans le New Jersey. (2) The crime - L'histoire évoque les circonstances de l'enlèvement de Charles Augstus Lindbergh (âgé de 20 mois) le 27 février 1932, la découverte de son absence par les parents, leurs réactions, les traces laissées par le kidnappeur, les premières mesures prises par la police. (3) The ransom - Les contacts avec le ravisseur s'avèrent compliqués et John Condon se présente pour remplir les fonctions d'intermédiaire. (4) The manhunt - La traque s'organise et finit par aboutir à un individu dépensant l'argent de la rançon : Richard Hauptman. (5) The accused - Après l'arrestation d'Hauptman, la police peut compléter son travail d'enquête en se renseignant sur la vie de ce monsieur, et en fouillant sa maison. (6) The trial of the century - le récit expose les principaux faits marquants du procès d'Hauptman. (7) Did he do it ? - La justice a tranché sur la culpabilité d'Hauptman, mais des doutes subsistent.
En passant du dix-neuvième siècle au vingtième siècle,
Rick Geary aborde des affaires qui sont plus sensibles, qui évoquent plus de souvenirs (plus ou moins vagues) pour les lecteurs. L'enlèvement du petit Lindbergh a été qualifié de crime du siècle aux États-Unis, et conserve encore ce qualificatif aujourd'hui. En termes de narration, Geary reste fidèle à son principe posé dès le départ de la série : des phrases courtes, informatives, et factuelles. Les illustrations en noir & blanc sont à l'unisson : elles sont fonctionnelles, elles sont là pour montrer un protagoniste, un lieu, un objet. Il y a très peu de scène s'étalant sur plusieurs cases (exception faite des 2 rendez-vous entre le docteur Condon et le supposé ravisseur). Les images oscillent entre une simple représentation de ce que mentionne le texte (une phrase évoque le démontage du garage d'Hauptman, l'image montre les murs démontés, et un ouvrier en train de creuser le sol du garage), à une mise en scène donnant vie à une phrase (la mairie de Flemington prise d'assaut par des dizaines de journalistes), en passant par un dessin très basique (le texte mentionne un rabot, l'image montre le modèle de rabot évoqué). Comme dans les autres ouvrages de cette série, le texte porte toute la narration, et les images viennent en appui pour montrer. Geary ordonne les faits de manière linéaire et chronologique, les images suivent le rythme imposé par cette forme de rapport bien structuré.
Si vous ne connaissez rien de ce crime du siècle, ou tout juste 2 ou 3 éléments superficiels, il s'agit d'une lecture palpitante, édifiante, et ahurissante. Tout en relatant les faits de manière objective et simple,
Rick Geary effectue un travail de composition d'autant plus remarquable qu'il est discret. Il donne la sensation au lecteur de découvrir les faits avec toute leur ambigüité. À la fois il expose clairement chaque événement, à la fois il montre que chaque fait est plus déstabilisant que le précédent. Dire que la réalité dépasse la fiction relève du cliché, et pourtant chaque nouveau fait est plus déconcertant que le précédent, génère plus de questions qu'il n'apporte de réponses. Geary rapporte avec honnêteté toutes les zones d'ombre, toutes les questions sans réponse, tous les comportements les moins compréhensibles. Il n'a pas pour ambition de présenter une solution probable ; au contraire, il met en évidence tous les faits contradictoires, tous les doutes. Comme dans les tomes précédents, au travers des faits énoncés, le lecteur découvre des éléments sous-jacents de la société de cette époque. Il y a bien sûr l'incroyable popularité dont jouit Charles Lindbergh, mais également l'importance de la presse, et déjà des journalistes prêts à faire beaucoup de choses pour disposer ou découvrir une information avant tous les concurrents. Il y a également des points de jonction avec des faits historiques tels que les conséquences de la crise de 1929, l'emprisonnement d'al Capone, ou l'interdiction faite aux citoyens américains de conserver leur or chez eux (Executive Order 6102 du 05/04/1933).
Si vous découvrez les circonstances de cette affaire, le récit de
Rick Geary en constitue un résumé imparable et très bien construit. le dessin de couverture permet également d'apprécier l'humour pince-sans-rire de Geary qui marie un élément essentiel de l'enlèvement (les spécificités de l'échelle utilisée) avec un point de vue sarcastique sur le derrière du ravisseur. Cette lecture vous donnera alors envie d'en savoir plus et de consulter la page correspondante sur wikipedia en anglais. À cette occasion, vous découvrirez que ceux qui connaissaient déjà les étapes de ce crime en savent plus que ce que contient ce tome. C'est sa limite : en évoquant une affaire du vingtième siècle, Geary se heurte au fait que les témoignages abondent (surtout pour un crime aussi célèbre) et qu'il n'a pas pu tout caser dans ces pages. Il n'en reste pas moins une synthèse très vivante, et recélant quelques points de vue subjectifs, passant inaperçus dans une structure narrative finalement plus sophistiquée qu'il n'y paraît.