Critique de Ninik
Ce recueil se dit être réunis sous le thème de la possession. C'est certes vrai, mais, plus qu'une thématique traversant les diverses nouvelles, il est plus question d'une présence en filigrane permettant de réunir ensemble ces histoires (toutes, au départ, publiées séparément en numérique) ensemble, dans un bel ouvrage papier. le titre du livre, « trio magique et duo infernal » fait référence aux deux parties de l'ouvrage, réunissant d'un côté trois histoires, et de l'autre deux. Cependant, le duo infernal fait forcément penser aux deux auteurs,
Olivier Lusetti (qui dirige la collection dans laquelle est publiée l'ouvrage) et
Aurélie Genêt, deux auteurs aimant, chacun à leur manière, la fantasy.
Plutôt que de parler de chaque nouvelle séparément, il est plus pertinent de se pencher sur chaque auteur.
Olivier Lusetti se révèle ainsi un peu décevant. Non que sa plume ne soit pas bonne, bien au contraire, ou que ses histoires ne soit pas agréables à lire. Non, le soucis vient d'ailleurs. Deux de ses histoires («
Les Epées de la colère » et « Au coeur de la rencontre ») sont annoncés comme étant en partie issues de son roman, «
La Promise des monarchies de l'ombre », et cela se sent. «
Les Epées de la colère » donne ainsi l'impression du teaser d'un film, détaillant exclusivement un combat. La plume est excellente, les personnages bien décrits, l'action dynamique, les descriptions prenantes, et cette nouvelle à elle-seule donne envie de se plonger dans son roman, mais hélas il manque quelque chose pour que le lecteur puisse apprécier cette scène comme une nouvelle à part entière.
Olivier Lusetti semble aimer la Chine (toutes ses histoires se déroulant dans une version fantasy de la Chine antique), et le monde parait bien construit, mais le lecteur n'en voit qu'un minuscule bout, et finalement l'histoire est un peu vaine, puisqu'un simple duel, certes avec de nombreux enjeux, mais qui ne seront qu'esquissés ici. « Au Coeur de la rencontre » possède le même problème, en plongeant son personnage dans un rêve où elle est tiraillée, tentée par une créature démoniaque. Là encore, l'auteur sait nous emmener dans son univers avec brio, mais l'histoire, de par son côté onirique, se termine, de même, en laissant trop de choses non achevées. Encore une fois, les enjeux sont esquissés, mais l'auteur, du fait de ce format un peu bande-annonce (un peu plus long que «
Les Epées de la colère »), laisse le lecteur sur sa faim. Même son histoire «
La Dernière Houri » ne va pas assez loin, alors que son récit est intriguant en diable, avec cette histoire de malédiction et d'apocalypse (qui par certains côtés fait penser au fascinant film « le Mur invisible », de Julian Pösler). Les ingrédients sont là, pourtant. Malédiction, prophétie, sensualité, violence, mais l'auteur ne semble pas adapté au format court, et c'est bien dommage. de plus, en utilisant, dans l'une de ses histoires, des onomatopées, il gâche un peu son effet. Cependant, les récits se lisent avec plaisir, donnant grandement envie de découvrir
Olivier Lusetti dans un roman.
Aurélie Genêt, de son côté, est bien plus à l'aise avec les nouvelles. Ses deux récits se révèlent très différents, mais possèdent des points communs. Dans les deux cas, l'histoire est très classique dans son scénario, mais transcendée par une plume passionnante.
La première de ses histoire est importante. En effet, «
le Trône d'Aldésie » se révèle être une introduction à son roman «
le Sang d'Aldésie », mais peut se lire de manière totalement indépendante. Dans son histoire,
Aurélie Genêt nous conte ainsi l'accession au trône du roi qui, trente ans plus tard, dirigera le royaume dans son roman. La plume est agréable et détaillée, mais sans que le lecteur ne se retrouve perdu. Si
Olivier Lusetti aime les univers chinois,
Aurélie Genêt nous plonge dans un monde plus occidental, en s'inspirant de la France du 17ème siècle, avec armes à feu rudimentaires, jeux de cours, complots et magie. le monde est vivant mais, contrairement à l'univers d'
Olivier Lusetti, le lecteur n'a pas l'impression qu'il manque des choses à son histoire.
Aurélie Genêt lance des pistes sur le passé du royaume et d'autres détails, lui donnant une vie, une patine historique, mais sans s'éloigner de son récit, resserré entre quelques personnages. Les protagonistes sont classiques, sans être caricaturaux, et attachants, et le lecteur se plonge avec plaisir dans cet univers. le seul défaut vient de la fin, trop brusque.
Aurélie Genêt s'attarde sur son histoire, prend le temps de raconter les pensées et les désirs de ses personnages, les tenants et les aboutissants de l'intrigue, et conclut hélas son récit en quelques paragraphes trop expéditifs. Dommage, mais cela ne gâche pas la lecture, et difficile, à la fin de cette nouvelle, de ne pas avoir envie, immédiatement, de se plonger dans son roman.
«
Les Yeux » change immédiatement de registre, avec de l'horreur contemporaine. Là encore, un récit très classique se déroule devant le lecteur. Un personnage adolescent, hanté par des démons, craint l'inéluctable. Mais
Aurélie Genêt décide, dans une démarche proche de celle de
Lovecraft (et, comme dans les histoires du maître, des horreurs indicibles attendent dans l'ombre, guettant l'humanité), de nous plonger dans un récit à la première personne. Nous suivons ainsi les pensées de cette jeune fille, ses craintes, ses doutes, ses terreurs. Et là encore, l'écriture de l'auteure fait des ravages. Précise, fluide, elle nous fait être hantée par les terreurs de la narratrice et, bien que le lecteur sache très bien comment va progresser le récit, comment il va se terminer, il ne peut que frissonner, au fil des pages. Rarement la descente dans une simple cave n'aura été si dérangeante, et
Aurélie Genêt parvient à créer une ambiance délicieusement malsaine et à provoquer la frayeur chez le lecteur. La fin, utilisant des extraits de journal intime, continue sa filiation lovecraftienne (en toute modestie bien sur), mais amène un achèvement, aussi ouvert que dérangeant, qui ne peut que fasciner le lecteur, qui aura du mal à ne pas être hanté par ce récit magnifique.
Au final, «
Trio magique et duo infernal, volume 1 : la possession » est un très bon recueil qui se lit vite. Certes pas parfait, il mérite amplement le détour pour les deux histoires d'
Aurélie Genêt, mais tous les récits sont agréables, celles d'
Olivier Lusetti donnant envie de découvrir ce qu'il peut faire d'un récit plus long. Ce recueil, en optant pour se terminer par «
Les Yeux » restera de plus longuement dans les mémoires, tant les pensées troublantes et effrayées, tant la conclusion prévisible du récit, sont bien amenés.
Aurélie Genêt, aussi bien à l'aise dans la fantasy que dans l'horreur la plus dérangeante, qui évite tout côté graphique et sanglant, est une auteure à suivre, indubitablement.
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