L'homme est un être intelligent. Le progrès est sa raison d'être, sa fin… Cela étant, comment un homme vraiment… enfin bref, un homme – comment pourrait-il accepter de se battre, consentir, même tacitement, à cette régression qu'est la guerre ?…
Pitié pour nous, forçats de guerre qui n’avions pas voulu cela, pour nous qui étions des hommes et qui désespérons de jamais le redevenir !
Ce que nous avons déjà fait... En vérité, c'est plus qu'on ne pouvait demander à des hommes. Et nous l'avons fait.
Ce que nous avons fait, c'est plus qu'on ne pouvait demander à des hommes et nous l'avons fait
A la jumelle, je vois sur un chemin deux blessés qui se traînent, deux Français. Un des uhlans les a aperçus. Il a mis pied à terre, s'avance vers eux. Je suis la scène de toute mon attention. Le voici qui les aborde, qui leur parle ; et tous les trois se mettent en marche cers un gros buisson voisin de la route, l'Allemand entre les deux Français, les soutenant, les exhortant sans doute de la voix. Et là, précautionneusement, le grand cavalier gris aide les nôtres à s'étendre. Il est courbé vers eux, il ne se relève pas ; je suis certain qu'il les panse. (p 49)
_ guerrière, l'Allemagne ? Barbare, l'Allemagne ? Qu'en savez-vous ?...
Puisque la guerre, décidément, s'accroche au monde comme un chancre, qui sait si ne viendra un temps où le monde aura pris l'habitude de continuer à vivre avec cette saleté sur lui ? Les choses iraient leur train, comprends-tu, la guerre étant là, tolérée, acceptée. Et ce serait le train normal des choses que les hommes jeunes fussent condamnés à mort
Qu'est-ce que nous sommes ? Des Français à qui leur pays a demandé de le défendre, ou simplement des brutes de combat ?
Chaque pas qu'ils font les rapproche de ce coin de terre où l'on meurt aujourd'hui, et ils marchent. Ils vont entrer là-dedans, chacun avec son corps vivant ; et ce corps soulevé de terreur agira, fera les gestes de la bataille ; les yeux viseront, le doigt appuiera sur la détente du lebel ; et cela durera, aussi longtemps qu'il sera nécessaire, malgré les balles obstinées qui sifflent, miaulent, claquent sans arrêt, malgré l'affreux bruit mat qu'elles font lorsqu'elles frappent et s'enfoncent – un bruit qui fait tourner la tête et qui semble dire : « Tiens, regarde ! » Et ils regarderont ; ils verront le camarade s'affaisser ; ils se diront : « Tout à l'heure, peut-être, ce sera moi ; dans une heure, dans une minute, pendant cette seconde qui passe, ce sera moi. » Et ils auront peur dans toute leur chair. Ils auront peur, c'est certain, c'est fatal ; mais, ayant peur, ils resteront
Et je me demandais avec un affreux serrement de cœur, en regardant cette foule harassée, ces reins ployés, ces fronts inclinés vers la terre, lesquels de ces enfants habillés en soldats portaient déjà, ce soir, leur cadavre sur leur dos ?